ISF : discours de Jean-Philippe Delsol au Conseil constitutionnel

Publié le 22 septembre 2010 par Lecriducontribuable

M. le Président, Mesdames, Messieurs,

Dans nos mémoires, nous vous avons exposé aussi complètement que possible les raisons pour lesquelles l’absence de quotient familial  en matière d’ISF nous apparaissait inconstitutionnelle.

Devant vous je vais plutôt commencer par vous raconter une petite histoire.

Imaginez un couple ayant cinq enfants, en âge scolaire.

Pendant les vacances d’hiver, d’une durée de 15 jours, ils emmènent leurs enfants chez les grands-parents. Ils partent en avion. A l’aéroport, au comptoir d’embarquement ils font la queue. Chaque passager devant eux pose ses bagages et bénéficie d’une franchise de 20 kilos par personne. Ils arrivent au guichet, posent les bagages de toute la famille.

L’hôtesse leur dit : « Vous avez 45 kilos de bagage, il faudra donc payer 55 euros de surcharge ».

Ils expliquent qu’ils sont deux adultes et cinq enfants et considèrent qu’ils devraient donc avoir une franchise d’au moins deux fois 20 kilos plus éventuellement 20 kilos par enfant. L’hôtesse leur répond : « Non c’est 20 kilos par famille », puis : « Ah non, le règlement prévoit qu’effectivement chaque enfant peut bénéficier de 100 grammes supplémentaires, vous avez donc droit à 20,5 kilos. Vous ne me devez que 54,20 euros ».

Ce serait évidemment choquant.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

Au retour des vacances, les grands-parents mettent les enfants au train. Les deux parents vont les chercher à la gare. Ils ont deux voitures, mais aucune d’elles n’est assez grande pour accueillir les cinq enfants. Ils prennent donc leurs deux voitures. A la gare ils vont au « dépose-minute ». Madame rentre la première. Le gardien lui rappelle que les 20 premières minutes sont gratuites, les 20 suivantes à un euro, les 20 minutes d’après à deux euros, etc…

Monsieur arrive avec sa voiture quelques instants plus tard. Par un système d’identification électronique automatique et immédiat du relevé de la plaque d’immatriculation, le gardien comprend que Monsieur est le mari de Madame et qu’il s’agit de la deuxième voiture du couple qui rentre dans le parking. Il lui dit : « Monsieur, votre épouse étant déjà rentrée dans le parking, vous ne disposerez que de 10 minutes gratuites, les 10 minutes suivantes coûteront un euro, les 10 minutes d’après deux euros, etc… ».

Monsieur s’offusque et explique qu’il a cinq enfants et qu’il vient les chercher. Le gardien vérifie sur son ordinateur et répond à Monsieur qu’effectivement il a cinq enfants et que, dans ce cas, le règlement du parking, qui est bien bon, lui accorde 12 secondes supplémentaires de franchise par enfant, et qu’il bénéficie donc, non pas de 10 minutes, mais de 10 minutes et 30 secondes de franchise gratuite, chaque tranche supplémentaire étant de 10 minutes et 30 secondes.

Ce serait choquant.

C’est pourtant l’histoire de l’ISF.

Deux personnes ont chacune un patrimoine de 790 000 euros. Elles ne paient pas d’ISF. Elles se marient. L’année suivante, avec le même patrimoine, elles paient un ISF de 4888 euros.

10 ans plus tard, ces deux personnes, par suite d’héritage et de travail, ont accumulé cinq millions de patrimoine appartenant pour moitié à chacune, car elles sont mariées en séparation de biens.

Ce couple a cinq enfants, il doit payer un impôt sur la fortune de 38 552 euros. S’il n’avait pas d’enfant, il paierait un impôt de 39 292 euros. Une différence négligeable égale à 150 euros par enfant. Si ce couple divorçait, chacun reprenant ses 2,5 millions de patrimoine, chacun paierait un ISF de respectivement 10 992 euros pour celui qui aurait la charge des cinq enfants et 11 736 euros (pour celui qui ne l’aurait pas), soit un impôt au total de 22 728 euros, soit encore une différence de 15 824 euros avec l’impôt payé par le couple avec ses cinq enfants.

Ainsi en l’absence de coefficient familial entre les époux, il y a une violation manifeste de l’article premier de la Constitution de 1958 aux termes duquel : « La France… assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens. » ; violation aussi des articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 disposant respectivement que « Les hommes naissent et demeurent …égaux en droit » et que « La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

Le fait que deux personnes se marient, ou vivent d’ailleurs en concubinage notoire, ne les transforme pas en un citoyen unique. Chacune, heureusement, garde ses droits. Chacune vote. Chacune peut conserver la propriété de son patrimoine.

Pourquoi faudrait-il les taxer comme s’ils n’étaient qu’un ? C’est une notion totalement archaïque du couple. Une notion que d’ailleurs seul l’ISF retient. Car en matière d’impôt sur le revenu, il y a bien toujours deux parts pour les deux parents. Et à défaut qu’il y ait au moins deux parts pour les deux parents ou les deux concubins notoires, l’ISF ne nous parait pas constitutionnel.

Mais en l’absence de quotient familial prenant en compte les enfants, la règlementation sur l’ISF viole aussi l’article 13 de la Déclaration de 1789 : « … pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration une contribution commune est indispensable, elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés ».

Les 150 euros accordés pour chaque enfant ne prennent pas en compte le coût réel des enfants et les facultés de chacun, comme une juste répartition entre eux de la charge publique.

Jean-Philippe Delsol