Sur la Charte d’Amiens.

Publié le 24 septembre 2010 par Marx

 
   Je suis toujours étonné des interprétations faites à propos de la Charte d’Amiens de 1906 et tout dernièrement sur un article de nos amis de « La Sociale ». Selon certains et Jean louis Ernis qui signe l’article en question, qui a le mérite de soulever le problème et qui permet de lever des tabous et des croyances fortement ancrées, La Charte d’Amiens , c’est la victoire de la ligne réformiste sur la ligne révolutionnaire. La réalité est tout autre puisque c'est rigoureusement l'inverse qui se produit.
   La Charte Confédérale est la résolution adoptée à l’issue du Congrès de la CGT de 1906 à Amiens. Edouard Berth écrit entre autre , dans «  Les derniers aspects du Socialisme, page 12.
   «  La Charte d’Amiens eut pour objet essentiel d’enrayer un mouvement de dégénérescence  réformiste, de rompre avec le millerandisme, de remettre le syndicalisme sur la voie révolutionnaire. Le socialisme politique était alors engagé dans des voies réformistes, démocratiques, politiciennes, dans le plus détestable sens du mot ; les syndicalistes révolutionnaires, en déclarant que le syndicat était l’organe essentiel de la lutte des classes, voulurent se dégager de toute compromission avec un Parti Socialiste qui n’était plus qu’une cohue démocratique et qui avait perdu tout sens révolutionnaire ».
   Le débat au sein de la CGT et des groupes socialistes est bien antérieur. Il est déjà posé au Congrès de Lyon en 1901 de la CGT. Mais c’est au Congrès statutaire d’Amiens que la question fut posée avec toute l’ampleur de débat nécessaire . L’occasion en fut une proposition de la Fédération du textile, tendant à créer des délégations intermittentes ou permanentes entre le Comité Confédéral et le Parti Socialiste . Cette proposition n’obtint que 34 voix contre 774 et 37 bulletins blancs. Et le Congrès, par 830 mandats contre 8, vota la résolution dite de la Charte d’Amiens (article 2 constitutif de la CGT.) ainsi rédigé.
   La CGT regroupe en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.
   Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte des classes qui oppose sur le terrain économique les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière.
   Le Congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique.
   Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc…
   Mais cette besogne  n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il précise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance , sera dans l’avenir le groupe de production et de répartition, base de la réorganisation sociale.
   Le Congrès déclare que cette besogne quotidienne et d’avenir découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelque soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d'appartenir au groupement essentiel qu'est le syndicat .
   Comme conséquence , en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire les opinions qu’il professe au dehors.
   En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme  atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas , en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des Partis et des sectes qui , en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté la transformation sociale. Compère Morel .
   Les Congrès socialistes aborderont la question des rapports Parti Syndicat, à plusieurs reprises. Le Congrès d’Amiens se tient bien avant la scission de Tours et de l’internationale. Le léninisme introduit un rapport nouveau, parfaitement différent des conditions dans lesquelles  se déroule le Congrès de la CGT. L’organisation politique qui existe lors du Congrès, c’est la SFIO.
   L’internationale ouvrière social démocrate a une autre position. C’est la position que défend Jules Guesde, au nom de l’internationale. Position que ne partage pas Jean Jaurès. La ligne de l’internationale s’applique presque dans tous les pays , sauf en France et quelques autres et pas forcément pour les mêmes raisons. La social démocratie est liée au syndicat et elle parfois même subordonné à celui ci. Un raisonnement mécanique amène forcément à la simplification, Jaurès que l’on prétend réformiste, défend l’autonomie syndicale, donc l’autonomie est une position réformiste, d’autant plus que Guesde est prétendu révolutionnaire. Par opposition de l’un à l’autre, il est déduit que. Or c’est Guesde qui défend la ligne social démocrate, au nom de l’internationale et Guesde n’est pas Lénine. Les deux ont exprimé leurs positions respectives au sein de l’internationale ouvrière. Le débat se poursuivra des congrès suivants au sein de la SFIO.
   Au Congrès de Nancy en 1907 de la SFIO, la motion de la fédération du Cher fut votée par 167 mandats contre 141 à la motion de la Dordogne. La motion majoritaire se situe dans la ligne du Congrès syndical d’Amiens.
   Au Congrès international de Stuttgart du 16 au 24 08 1907, la résolution de la social démocratie fut votée par 222 voix ½ contre 18 voix ½. Les 18 voix ½ comprennent, la majorité française, 11 voix de la tendance Jaurès Vaillant, les syndicalistes italiens, 3voix et les 4voix ½ des Etats Unis.
   En 1912 Compère Morel et Ghesquière ouvrent à nouveau le débat depuis la Chambre des Députés et a l’issue du Congrès la Commission des résolutions nomme une sous commission composée de Jaurès, Compère Morel et Briquet afin de tempérer les ardeurs syndicales.  
« Ils appellent  l’attention des travailleurs sur les périls d’une propagande d’anti parlementarisme  et de violence systématique. » Voie qui tend à se développer dans l’action syndicale.
   Il y a d’autres paradoxes, puisque la CGT siège au sein de l’internationale socialiste, elle est également présente en 1919 au Congrès de Berne, qui est la première tentative de reconstruction de l’internationale suite à la guerre de 14-18.  Même du côté de Jaurès, lorsqu’il en appelle à la grève générale en France et Allemagne contre la guerre qui menace, avec son caractère évident de grève politique. C’est alors vers l’internationale qu’il se tourne. Jaurès et la CGT sont alors trahis par l’aile droite de la social démocratie allemande qui vote les crédits à la guerre.
   Vient ensuite, la politique « bolchevik » qui ne fait qu’appliquer la conception social démocrate avec en plus une internationale syndicale et la subordination du syndicat au Parti et à son avant garde éclairée. Ce concept est nouveau et absent au moment du Congrès d'Amiens et est conçu dans le cadre de la construction de la Troisième internationale. Il n’y a pas automaticité, l’un réformiste parce que l’autre révolutionnaire.
   Dans les faits, la Charte d’Amiens n’a jamais été respectée. Elle trouve une justification partielle également, dans les luttes que se livrèrent et c’est une des raisons de la position de Jaurès, les différents groupes socialistes entre eux, au sein même de la CGT et de l’action interne menée par les groupes anarcho syndicalistes. Après 1905 cette lutte se poursuit entre les différentes tendances de la SFIO et la Charte d’Amiens tente d’y mettre fin. Le revers de la médaille, c’est que l’antiparlementarisme déjà puissant au sein de la CGT se développe, de même que l’action violente, ce qui fait réagir Compère Morel et Ghéquière à la tribune de l’Assemblée Nationale et lors du Congrès qui suit.
   Quelques soient les périodes jusqu’à nos jours , la Charte d’Amiens n’a jamais été respectée, ni par les uns se réclamant du réformisme ni par ceux , prétendus révolutionnaires, sans compter avec les pages sombres du stalinisme. Sauf, peut être en 1936, avec l’autonomie d’action et l’appel à la grève générale, vraisemblablement dans la ligne tracée par Marceau Pivert, de passer outre la politique de la SFIO et du PCF. C’est une hypothèse, pas une certitude.