Marisol Touraine à Sciences Po sur les retraites : le compte-rendu

Publié le 25 septembre 2010 par Letombe

 

La journée de mobilisation d’hier offre nous rappelle combien le sujet des retraites est d’actualité. Le gouvernement a éructé son antienne, reprise par toute la presse à la botte du pouvoir : le PS ne fait que critiquer et n’a pas de propositions… Une contre-vérité pitoyable lorsque l’on est un peu attentif aux travaux menés par les socialistes et pilotés par Marisol Touraine. Laquelle était d’ailleurs venue exposer les solutions socialistes à La Rochelle.
Le 13 septembre dernier, le PS a organisé une AG, toujours avec Marisol Touraine pour une réforme juste des retraites. Nous publions ici le compte-rendu de son intervention.

Remerciements et excuses pour un retard du à un conflit de temps limite au Parlement : le gouvernement exige que l’on siège toute la nuit pour que le texte des retraites soient voté avant jeudi soir. Les sujets les plus complexes, comme la pénibilité du travail, ne seront abordés que tard dans la nuit, sans respect pour la transparence du débat public. Le débat parlementaire n’est qu’un moment du débat public, mais son utilité ne doit pas être sous-estimée. La presse relaie une image défaitiste pour l’opposition de ce débat. Dès mardi, le gouvernement a acté l’existence d’un contre-projet socialiste. Le PS ne s’est pas contenté d’instrumentaliser l’affaire Woerth Bettencourt ; la majorité a acté l’existence d’un contre-projet porté par le groupe socialiste.

Le débat sur les retraites est extrêmement politique. Il s’agit de trouver un moyen, un comment résorber le déficit à venir, estimé à 45 milliards autour de 2020-2025, et 70 milliards/an dès 2050. On a tenté de dépeindre le PS comme un parti irresponsable. Or le discours même de la droite est empreint de mauvaise foi. En effet, la droite explique que l’enjeu est uniquement démographique : population inactive et âgée en croissance. Mais cette donne démographique n’est pas une nouveauté : la réforme Fillon de 2003 a été conçue pour répondre à ce défi, et s’ingéniait à financer à 100% le régime de retraite en 2020. Les données démographiques n’ont surprises personne, c’est la crise, avec la baisse des cotisations et de la croissance, qui a bouleversé la donne. C’est là un nœud du débat : il n’est pas question que les salariés et les retraités subissent seuls les conséquences de la crise de 2008 sur les finances publiques.

Le projet socialiste repose sur trois propositions fortes:
-   Pour que la réforme des retraites soit juste et acceptée, l’effort doit être partagé : les hauts revenus et les revenus du capital doivent être mis à profit. Mettre à contribution pour les comptes sociaux (et pas pour les comptes publics) les intéressements permet de rendre compte des nouveaux systèmes de rémunérations des entreprises. En effet, aujourd’hui, les systèmes d’intéressements sont doublement intéressants pour les entreprises : en plus de conserver ses fonds propres, les entreprises ne sont pas soumises à la cotisation sociale, garante de notre modèle de société.
-   Le relèvement de l’âge légal n’a aucun sens sans une remise en cause de la politique de l’emploi, en particulier des jeunes et des seniors. 38% d’emploi des 50-65 ans en France, qui la classe lanterne rouge. L’Allemagne est à plus de 50% ; sans pour autant être première au palmarès. Il faut remettre à l’emploi les seniors pour lancer la dynamique de cotisation. Le sujet est tellement sensible que F.Fillon a proposé de créer une indemnisation pour ces salariés sans emplois et sans retraites : les comptes de l’assurance chômage ou des partenaires sociaux seraient alors grévés par ces dispositions.
-   La retraite choisie est le cœur du projet socialiste. La question est de savoir si nous considérons qu’il est acceptable qu’un certain nombre de personne travaille plus longtemps. Les 60 ans est une protection pour ceux qui ont commencé à travailler jeunes. Aujourd’hui, 100 000 personnes commencent à travailler avant 18 ans. Ceux qui souhaitent travailler plus longtemps, parce que leur famille a été recomposée, qu’ils ont eu des enfants plus tard et veulent travailler plus longtemps. Est-il normal et souhaitable qu’un ouvrier, un employé, ayant commencé très jeunes, soit soumis au même âge légal de départ en retraite ? Pour le PS, la réponse est non. Contrairement à la droite, nous n’affirmons pas qu’il faille un âge de référence. Aujourd’hui, les cadres et cadres supérieurs ne s’arrêtent pas de travailler avant 62 ou 63 ans s’ils espèrent toucher une retraite complète. Celui qui ne peut pas s’arrêter avant 62 ans n’est pas touché par cette réforme, dès lors il y a solidarité inversée, ce sont les ouvriers et les employés qui contribuent le plus à la retraites des cadres.

La question qui se pose est donc : faut-il définir des règles uniformes pour les droits sociaux ? Pierre Laroque écrit que la Sécurité Sociale est l’assurance contre les risques et les aléas de la vie professionnelle. Or ceux-ci ont largement changés depuis 1945, les carrières sont bien moins fixes. Sur le plan théorique il faut articuler différemment les dispositifs de droits sociaux (formation continue, sécurité sociale professionnelle,…) pour atteindre l’égalité réelle. On pose ici une question politique : qu’est-ce que l’égalité ?

Ce débat permet aux socialistes de poser des propositions. Le projet va être voté à l’Assemblée nationale cette semaine puis au Sénat ce mois ci. Nous sommes dans une période de mobilisation des organisations syndicales pour obtenir des améliorations du texte. Toute concession est cruciale, car ce texte modifie les conditions de vie et de travail des Français. Mais si l’on veut remettre en question l’équilibre d’ensemble, seule une alternance politique pourra permettre une réflexion d’ensemble…

Question : le projet du PS associe la pénibilité avec les carrières longues. Qu’en est-il des étudiants qui échouent et commencent une carrière pénible après quelques années à l’université ?
Les 60 ans est l’âge auquel on à le droit d’accéder à la retraite. Mais à défaut d’avoir cotisé assez longtemps, on n’accède pas à une pension complète. Si à 60 ans vous avez travaillé 38 annuités au lieu de 40, on décote, on réduit la retraite. On peut ainsi travailler jusqu’à 65 ans, c’est le cas de beaucoup de femmes et ce sera le cas de ceux qui ont étudié longtemps, ou bien travaillé en alternance ou en interim… Il faut mettre en place des mécanismes qui atténuent l’effet des carrières hachées, en introduisant des dispositifs de cotisation pendant les études, pour intégrer le phénomène préoccupant des carrières incomplètes et la difficulté qu’on les jeunes à accéder à un emploi stable en sortant de formation universitaires longues.

Certains facteurs de pénibilité sont facile à mesurer : exposition sà des substances toxiques, travail placé (à la chaîne), port de charge lourde, travail de nuit. Ce type de travail permet de rajouter des trimestres et de raccourcir la durée de cotisation et donc l’âge de départ en retraite

Question : Mettre à profit les revenus va-t-il suffire à combler le déficit de 30 milliards, et quel est le risque en termes de fuite des investissements ?
Le PS ne prétend pas résorber le déficit avec cette cotisation supplémentaire. L’allongement de la durée travaillée de la part de ceux qui le peuvent et le souhaite contribuera à l’équilibre plus encore que la taxation de la valeur ajoutée des entreprises. La taxation des revenus du capital pourrait permettre de résoudre un tiers du déficit en 2025. On n’attend pas d’impact sur la consommation. Pour ce qui est de l’augmentation des cotisations, le projet prévoit de ne pas infliger cette mesure au budget des ménages avant 2012, une fois la crise résorbée. Le débat de la compétitivité est intéressant, car il s’agit de s’interroger sur notre référence : il est hors de question d’être compétitif par rapport à la Chine ou l’Inde ; le coût direct du travail en France n’est pas plus élevé que ceux de la GB et de l’Allemagne. Dans notre projet, nous avons prévu de taxer la valeur ajoutée des entreprises parce que nous avons sans doute atteint le seuil de taxation du travail.

Question : Quid du fond de réserves des retraites crée en 2000 pour pallier le déficit démographique ?
Cette réserve, fruit de versements exceptionnels, notamment de privatisation, est un héritage du gouvernement Jospin.

Le projet du gouvernement s’arrête en 2018, au-delà aucune indication n’est donnée. Pour garantir l’avenir des générations, et éviter des anticipations pessimistes, le gouvernement Jospin avait crée ce fond. Une loi à venir va siphonner ce fond, ces 34 milliards combleront le déficit de la sécurité sociale pendant deux ans. Cela envoie un message de non confiance aux salariés quarantenaires, qui sont en droit de s’interroger sur le financement de leurs retraites, et donc un message en faveur de la capitalisation privée.

Question : Pensez-vous que l’immigration permette de combler le fossé démographique ?
Ce recours, en théorie, est une solution toute trouvée, comme c’est le cas en Allemagne. La différence en France est que notre taux de natalité reste fort, supérieur à beaucoup de nos voisins européens. L’immigration est une solution comptable, reste à explorer les conditions d’accueil, d’intégration, d’installation, de logement… La droite à occulté ce débat.

Question : Ne faudrait-il pas définir une durée de cotisation plutôt qu’un âge de départ en retraite ?
Evincer la référence un soixante an détruirait un symbole de liberté qui parfois est préjudiciables aux seniors. En Suède, l’âge pivot de 61 ans ne permet qu’une amélioration de la pension. Un arbitrage se fait, préfère-t-on toucher plus ou travailler moins longtemps. La pension en Suède se calcule en prenant en compte l’espérance de vie de la génération de naissance par cohorte. Les soixante ans, pour une part croissante de la population, s’estompe, n’est plus une référence immuable.

Question : Quels critères définissent la pénibilité du travail ?
La droite énonce que la pénibilité ne se décrit pas par critères, mais part le taux d’incapacité du travailleurs lorsqu’il atteint ses soixante ans. Un médecin est alors chargé de définir la possibilité d’un départ anticipé. Les socialistes refusent de médicaliser le processus, et proposent que, dès lors qu’on a travaillé dans un certain environnement, on bénéficie de report. La difficulté est de mesurer l’exposition à la pénibilité. Entre 2005 et 2008, gouvernement et MEDEF ont recensé les facteurs de pénibilité : le travail de nuit, qui génère par ex des cancers du sein chez la femme ; port de charge lourde, exposition à des produits toxiques, travail posté (en chaîne). Une appréciation objective de la pénibilité existe entre syndicats et gouvernement. Le stress, les symptômes psycho-sociaux, le harcèlement, la pression des nouveaux modes d’organisation appellent à des réponses indépendantes à celles de départ en retraite.

Question : Pensez-vous que l’exemple Suédois pourrait inspirer la réforme ?
Le mécanisme suédois de compte notionnel, indexé sur l’ensemble de la masse salariale, l’espérance de vie et l’ensemble de salariés qui s’apprêtent à partir en retraite,  a inspiré certains au PS. Les 38 régimes français ne sont pas simples, certes, mais aucun système n’est parfaitement neutre. Les mécanismes de solidarité envers ceux qui ont très peu travaillé, envers les femmes etc., sont pratiquement absents du modèle suédois. Le fait que les mécanismes de solidarité soient moins forts dans le modèle suédois à réfréné notre envie de s’en inspiré. Surtout, ce modèle ne résout pas la question de l’équilibre, c’est-à-dire qui cotise, pendant combien de temps et à quel taux ?

Par la section « Jean Zay », la section socialiste de « Sciences-Po »

merci à Section du Parti socialiste de l'île de ré