Le Christ voilé (Patrice de La Tour du Pin)

Par Arbrealettres


Le Christ voilé

C’est un jardin secret et tranquille où s’amassent
Les iris blancs et les hautes touffes d’asters
Et les tapis serrés de campanules basses.

Aucun vent n’y pénètre du ciel grand ouvert;
Les voix mêmes des oiseaux passants se sont tues
Qui volent vite et très haut dans le ciel clair.

Ombrée, et finement travaillée, et vêtue
De la seule caresse amoureuse des fleurs,
Une femme, de la chair froide des statues.

Et le maître ancien qui fut son ciseleur,
A l’étrange figure ajouta son mystère,
Le signe de l’ellipse inscrit dans sa pâleur.

Un mur de pierre enclôt cette Ève solitaire
Qui ne tend pas l’oreille aux rumeurs d’au delà,
Mais à celles, sourdes et profondes, de la terre.

Ce serait la plus haute des fleurs, si son bras
Le long d’un corps gonflé de sève végétale,
Sur son ventre de nacre ne descendait pas;

Si ses deux seins n’étaient striés de veines pâles,
S’ils ne se gonflaient pas soudain de volupté,
Caressés seulement en rêve par un mâle.

C’est un jardin secret, cerclé d’un mur, hanté
Comme un damier, d’oiseaux noirs et blancs qui reposent :
On leur a coupé les ailes par cruauté.

Dehors le ciel est tout enluminé de rose,
Sur les collines, des nuages clairsemés,
Et « Quête de Joie » est inscrit sur toutes choses :

L’archange noir, veillant sur ce jardin fermé.

(Patrice de La Tour du Pin)


Illustration: John William Godward