Chen Zhen, entre Chine éternelle et France contemporaine

Publié le 01 octobre 2010 par Marc Lenot

 

Le Musée Guimet, outre l’exposition Rashid Rana en cours, présente (jusqu’au 13 décembre) quelques pièces de Chen Zhen prêtées par le CNAP. Ses pièces à la jonction de l’Occident et de la Chine, imprégnées de philosophie et de médecine chinoise, marquées au sceau de la prescience de la mort, pourraient résonner magnifiquement dans le cadre des collections du Musée. C’est tout à fait le cas de Round Table (1995), table circulaire présentée dans la rotonde du 4ème étage : non seulement l’inscription d’un cercle dans l’autre renvoie à un symbolisme magique*, mais la vue sur Paris enrichit la vision que l’on peut avoir de cette pièce monumentale, utopique et désabusée. Les vingt-neuf chaises venues du monde entier voudraient symboliser l’humanité entière, et sa communion avec la Déclaration des Droits de l’Homme, gravée en chinois au centre de la table. Mais nul ne peut s’asseoir ici, nul ne peut dialoguer, on ne peut que passer, regarder et ressortir. La convivialité de la table ronde, son principe égalitaire, sont mis à mal par ces  sièges suspendus au-dessus du sol, que l’on ne peut tirer pour s’asseoir : les négociations ne seraient-elles qu’un leurre ?

Le Berceau (1995), d’où émergent des vagissements d’enfants et des gémissements de moribonds, accueille le visiteur sur le palier du deuxième étage : il y a une spiritualité inhérente à une oeuvre comme celle-ci, matrice universelle où naissance et mort se rejoignent : j’aurais aimé la voir à côté d’un bodhisattva en prière (et le Musée n’en manque pas), pour enrichir la méditation du spectateur face à l’une et l’autre pièce, plutôt que piédestalisée sur ce palier.

 C’est d’ailleurs le seul reproche que je ferais à cette exposition, d’avoir regroupé la plupart des pièces de Chen Zhen dans une galerie du second étage, plutôt que de les avoir disséminées dans le musée à côté d’oeuvres antiques grâce auxquelles la contemplation se serait réciproquement enrichie. L’Autel n°9 (1993), magnifique composition où des objets modernes enfouis dans la cendre et enchâssés dans des boîtes de verre entourent un cylindre vertical rouge, élancé, plein de vitalité, n’aurait-il pu jouxter un autel votif (japonais) ou un antique masque taotie, permettant, au-delà des formes, de faire se rejoindre ces méditations sur la régénération éternelle, plutôt qu’à côté de cette parure funéraire Liao ?

De même, L’Hibernation / La Divagation (1990), regroupant des objets contemporains inanimés comme des reliques dénuées de sens sous un texte indéchiffrable, pièce qui éveille en nous un désir de spirituel, une soif d’éveil, plutôt qu’avec de (fort belles) céramiques, aurait gagné à dialoguer avec, par exemple, ce bloc en forme de montagne, quintessence du dialogue Yin Yang.

 Enfin, la plus belle pièce de l’exposition est à mes yeux La Stèle / Le Cercueil (1989), encore un double titre bien révélateur de Chen Zhen, toujours préoccupé par l’intelligibilité de l’écriture : au-dessus d’une machine à écrire impuissante, noyée, mutique, inhumée, se dresse un texte illisible, simple regroupement de lettres devenues purs motifs graphiques, épitaphe dérisoire, empreinte de la vanité terrestre. Guimet n’avait-il pas de stèle chinoise à mettre en regard ?

Montrer de l’art contemporain dans des musées classiques est toujours intéressant, mais l’est encore plus quand il y a dialogue, enrichissement réciproque (comme c’était le cas, par exemple, pour Jan Fabre au Louvre). C’est ce qui manque un peu ici, même si c’est une excellente occasion de voir les pièces de Chen Zhen dans un autre contexte et de s’imprégner un peu de sa spiritualité.

* la photo de Round Table en haut à gauche, fournie par le Musée Guimet, a été prise dans un autre endroit et n’en rend hélas pas compte; la photo en haut à droite a par contre été prise par moi dans l’exposition même.
Photos 1, 3, 4, 6 courtoisie du Musée Guimet; photos 2, 5, 7 et 8 de l’auteur. Toutes photos © ADAGP/CNAP; photo Hibernation /Divagation (6) prise par Y. Chenot. Chen Zhen étant représenté par l’ADAGP, les photos de ses oeuvres seront ôtées du blog à la fin de l’exposition.