Miroir, peinture et effacement

Publié le 02 octobre 2010 par Marc Lenot

Au bord de la Garonne, près de l’Hôtel-Dieu, dans un parking portuaire, une vingtaine de containers abritent (jusqu’au 3 octobre seulement) l’édition 2010 du festival toulousain de photographie ManifestO, qui pâtit un peu de l’omniprésence communicationnelle du Printemps de Septembre, mais qui mérite largement une visite. Joan Fontcuberta en est l’invité d’honneur, avec ‘de l’autre côté du miroir’, des photographies trouvées affichées bout à bout sur papier ordinaire aux parois des containers sur le thème du miroir et de l’autoportrait, du reflet et du panoptique. Facebook, téléphones mobiles et miroirs sont de la partie, avec une galerie de portraits souvent adolescents, parfois gentiment érotiques : narcissisme et séduction comme nouveaux rituels de communication. Fontcuberta déconstruit ici notre recherche du vrai, du beau, du réel. Cette photographie où l’outil du dentiste perd sa dimension douloureuse et devient clin d’oeil et plaisir m’a plu.

Il y a aussi quinze jeunes photographes invités, sans thème particulier. C’est très hétéroclite, entre Jessie Maucor revisitant le village de sa grand-mère en ethnologue nostalgique, Pierre-Olivier Mazoyer, ancien Directeur Général d’entreprise, allant à la rencontre d’employés licenciés, Iorgis Matyassi et ses portraits de coursiers cyclistes londoniens ou Olivier Valsecchi en pleine fantaisie primale. Parmi mes deux préféré(e)s, Chloé Dutreix, 22 ans, réalise de tout petits tableaux presque abstraits, photographies noir et blanc peintes, prégnantes d’une histoire que nous ne saurons pas, comme cette chaise jaune incongrue, un peu floue et si présente.

L’autre est Isabelle Le Minh, déjà remarquée à Montrouge, qui, ici, inspirée par Henri Cartier-Bresson, gomme dans des photos du maître ce qui pourrait dénoter ”l’instant décisif”, les personnages. On reconnaît telle ou telle photographie si souvent vue et on note aussitôt son étrangeté, la gêne qui s’en dégage. Cette série, ‘Trop tôt, trop tard‘, n’est en rien iconoclaste, railleuse ou irrespectueuse. Au contraire, la composition topographique des photographies de Cartier-Bresson (ici Aquila degli Abruzzi, Italie, 1952) n’en ressort que plus fortement, son talent à trouver l’endroit juste pour y profiter de l’instant décisif. Isabelle Le Minh, travaillant sur l’après-photographie, a développé d’autres démarches conceptuelles autour des travaux de Robert Frank, Ed Rusha, Christian Marclay, Victor Burgin et Sugimoto. Son travail me fait aussi penser à d’autres artistes (comme Estefania Peñafiel ou Jérémie Bennequin) qui travaillent sur l’effacement de l’écriture pour tenter, eux aussi, de parvenir à la quintessence de l’oeuvre de l’autre, en la dépouillant jusqu’à l’os.

Photos 1 et 2 de l’auteur.