[Critique DVD] Le monde sur le fil

Par Gicquel

Fassbinder que je découvre un peu plus chaque jour. J’ignorais tout de ce film d’anticipation tourné en 1973 et dans lequel le cinéaste allemand, anticipe lui-même sur le genre SF .Par la suite , qui allait donner de belles pages pour le septième art.

Si «Matrix » des Wachowski me vient immédiatement à l’esprit, je ne manquerais pas de citer « Bienvenue à Gattaca« , de Andrew Nicol, qui à mes yeux demeure un modèle du genre.
Mais à l’époque Fassbinder, et c’est ce qui me réjouit, le réalisateur n’a pas d’effets spéciaux conséquents pour mener à bien son entreprise . Avec le recul du temps , elle a bien vieilli sur le plan formel, (mise en scène froide, clinique, et c’est beaucoup trop long) mais elle  reste d’une actualité mordante.

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Si l’on vous raconte en effet l’histoire d’un scientifique confronté à sa propre création, face aux pressions politiques et industrielles, en proie aux doutes sur ses capacités quand votre entourage vous prend pour un demeuré, vous voyez qu’aujourd’hui rien n’a changé.Les intérêts sont ailleurs et l’homme de l’art est un pion pour des puissances sinon occultes, du moins bien mystérieuses.Il s’agit d’une adaptation du roman de Daniel F.Galouye «  Simulacron 3 ».
Rainer Werner Fassbinder qui n’est pas un disciple SF réussit le tour de force de mener sa barque sur un récit parfaitement écrit, en installant ses personnages sur des portes à faux constants. Au fil du récit, le trouble et le suspense qui s’amplifient rejaillissent sur les acteurs de cette farce, au point que le doute obligatoirement s’installe.

Adrian Hoven, et Ivan Desny en 1973 étaient quasiment tombés dans l'oubli

Le spectateur est  happé par l’histoire construite comme en enquête policière, mais sans policiers. Ce qui est peut-être encore plus effrayant pour les pensionnaires de l’Institut de recherche en cybernétique et futurologie.
Tels des automates, voire des marionnettes, sont-ils des créations du fameux ordinateur ou de réels personnages prisonniers d’un système parfaitement établi ?  Dans les regards, leurs mouvements, tout est étrange. Et bien que dénaturés, pas de signes distinctifs comme on pouvait les comprendre dans «Les Envahisseurs » série TV qui eut sont succès au milieu des années soixante.

Mascha Rabben

Les relations entre le monde politique, et les industriels nous confinent dans un monde angoissant, martèle ici Fassbinder sans jamais en faire des tonnes côté frissons.
L’horreur est ailleurs, sous-jacente dans les cerveaux de nos dirigeants, et quand il est question de « haute tension » ce n’est pas forcément ce à quoi vous pensez.
LE SUPPLEMENT
« Un regard d’avance sur le présent » (2010, 49 mn) un film inédit de Juliane Lorenz.
La productrice de la restauration du film, revient  sur son processus, en compagnie de Michael Ballhaus, le directeur de la photo (« Gang of New-York »), et sur l’écriture du scénario avec Fritz Müller-Scherz.
Pour adapter le roman de  Daniel F. Galouye, Scherz raconte qu’il écrivait le plus souvent à Paris, dans un bistrot, où à la table voisine se trouvait Fassbinder. « Je lui passais trois pages après trois pages, il les annotait et me les renvoyait ». Ca rappelle tout à fait la technique employée pour « Le troisième homme » par Carol Reed et Graham Green ( dans ce blog)

Klaus Löwitsch, le héros d'une aventure qui va le dépasser

« Nous avons tourné le plus souvent dans la capitale française car pour figurer le futur proche du film, il nous fallait une architecture nouvelle et dans Paris à cette époque, de nouveaux quartiers émergeaient » se souvient Fritz Müller-Scherz.
Quand on évoque le casting, le choix des acteurs demeure surprenant, d’une autre génération et le plus souvent oubliés  par le septième art. « Ce n’est pas un casting normal, ni allemand. Ce sont des acteurs qui eux aussi viennent d’une autre planète ». On citera Adrian Hoven, stars des années cinquante, dans le rôle du professeur Vollmern, ou Ivan Desny, habitué de la maison Ophuls « C’était terminé pour eux, et puis un petit jeune a débarqué et les a remis en selle ». La presse alors ne fut pas tendre pour cette démarche iconoclaste en titrant à la une : « un loubard au milieu de sa clique ».