Il est temps de témoigner.. Chroniques de rétention 2008-2010

Publié le 07 octobre 2010 par Unpeudetao

Avez-vous déjà dû renoncer à vivre chez vous ? Vous couper de vos racines, de votre famille, de vos repères, des codes sociaux de votre culture, de votre langue, celle qui vous vient de votre mère, de la mère de votre mère et de sa mère avant elle ? Avez-vous déjà pris le risque de partir, de tout laisser et de venir seul face à l’inconnu ? Avez-vous déjà été éloigné de tout ce qui vous attachait à la vie au point de perdre la mémoire de vous-même, le goût des autres, la mesure de ce qui est possible… et de vous jeter à la mer jusqu’à peut-être un jour, arriver autre part, pour essayer. Simplement essayer une vie meilleure ?

Savez-vous le poids du regard que porte sur vous le policier qui vous menotte devant vos enfants, ce policier qui vous pousse dans un fourgon en direction d’un centre de rétention pour vous cracher comme un microbe, loin, ailleurs ? Loin de votre famille, de tout ce que vous avez construit, loin de vous-même ?

Connaissez-vous la couleur des murs à l’intérieur d’un centre comme celui du Mesnil-Amelot ou de Vincennes ? Le quotidien, les juges, l’odeur, les visages des autres qui sont avec vous : un Cambodgien, trois Indiens, deux Afghans, dix-huit Maliens, sept Tamouls, trois Soudanais, quinze Algériens. Autour de vous : l’exil du monde, les conflits. Les coups policiers de temps en temps, les cellules d’isolement, l’enfermement des marmailles innocentes, des Français au teint trop basané, les expulsions par bateau pour neutraliser toute forme de résistance ou de solidarité.

Voulez-vous seulement savoir ?

La liste que le policier accroche chaque matin dans la zone des retenus : allez-y, courrez, ce matin… votre nom peut-être : Vol Roissy R2C AF2184 10h40 Kinshasa. Hier, c’était le tour du Pakistanais qui vous dépannait en cigarettes. Aujourd’hui, c’est le vôtre. Les recours épuisés. Le soutien enrayé. L’insupportable qu’on vous oblige à supporter et l’espoir qui étouffe sous des procédures marécageuses. Il vous reste votre corps et parfois le choix entre l’hôpital si vous avez le courage de vous faire mal, la prison si vous avez l’audace de vous débattre ou l’avion si vous abandonnez.

Environ 35 000 étrangers sont enfermés légalement ou illégalement dans les centres et locaux de rétention chaque année.
Depuis 25 ans, La Cimade est à leurs côtés à l’intérieur des murs. En 1984, les intervenants se comptaient sur les doigts d’une main. En 2009, nous étions près de 70. Cette mission de défense des droits des étrangers et de solidarité active est unique en Europe. Loin d’être une caution à la réalité catastrophique de la rétention, cette force de regard et de réaction a été remise en question par l’État à la fin de l’année 2008. Sans doute avons-nous trop défendu.
Trop parlé.

Il est temps de témoigner.

Humour noir, analyse politique, poésie, dialogues, anecdotes : loin des clichés irréels, des images médiatiques ou des communiqués de presse, nous, intervenants de La Cimade, avons décidé de prendre les mots comme on prend les armes.

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