Foreclosuregate, vers un gigantesque scandale financier

Publié le 09 octobre 2010 par Copeau @Contrepoints

Le scandale du Foreclosuregate (le terme a été utilisé par le présentateur vedette Larry Kudlow, de la chaine CNBC) a fait une entrée récente remarquablement rapide dans la presse grand public américaine, et le terme de « foreclosure » connaît sur Twitter une popularité inhabituelle. La presse française commence à évoquer ce rebondissement dans la crise financière, mais reste pour le moment assez superficielle. Après plusieurs articles visant à commenter en direct les différents développements de cette affaire, il m’a paru utile d’en faire une synthèse, pour tenter de vous donner un aperçu général de la situation. Potentiellement, sauf extraordinaire porte de sortie législative peu concevable, il s’agit du plus grand scandale financier de l’histoire, rien de moins, de par ses conséquences, reléguant l’affaire Maddoff ou les péripéties de « notre » Jérôme Kerviel au rang de simples faits divers.

Au départ, la titrisation du crédit, fille du modèle américain du crédit

Pour des raisons historiques (1), et contrairement à ce qui se passe en Europe, plus de 70% des crédits immobiliers américains étaient aux USA refinancés par une technique dite de titrisation des créances. Sur ces 70%, plus de la moitié étaient titrisés par deux entreprises à statut spécial garanties par l’état, Fannie Mae et Freddie Mac (42% des crédits refinancés à elles deux en 2007), et 29% par des banques privées.

Cette technique consiste à créer un fonds obligataire, appelé MBS pour « Mortgage Backed Security », qui va racheter les créances émises par les banques. Les emprunteurs vont donc reverser à ce fonds leurs mensualités, généralement par l’intermédiaire d’une banque mandataire du fonds, ou « loan servicer ».

Le fonds obligataire va quant à lui, pour pouvoir racheter les crédits en question, lever des fonds sur les marchés financiers, en émettant des obligations. Ces titres, appelés « CDO », lui coûtent un certain taux d’intérêt, que le fonds paie grâce aux intérêts versés par les emprunteurs. La différence entre le taux perçu et le taux payé aux investisseurs – le « spread » – devait servir à rémunérer tous les intermédiaires de la chaîne et à s’assurer contre le risque de défaut de paiement de certains emprunteurs.

On sait ce qu’il est advenu de l’équation financière : les défauts de paiement des emprunteurs ont très largement excédé le niveau de couverture du risque estimé. Mauvaise estimation du risque, faillite : rien que de très « habituel » dans la vie des affaires.

Mais ce dont il est question ici n’est pas l’équation économique mais la situation juridique de ces trusts.

En cas de défaut de paiement, ce qui aurait dû se passer

D’une façon générale, lorsqu’un emprunt est contracté, le contractant signe un contrat valant « reconnaissance de dette ». La banque détient alors une créance sur l’emprunteur. Dans le modèle ci dessus, elle préfère revendre cette créance moyennant une petite marge à un fonds MBS : le fonds MBS devient le propriétaire de la créance. La créance (en anglais, « note« ) est assortie d’une hypothèque (« lien« ) sur la maison qui sert de garantie (« collateral« ) au prêteur

Le MBS n’est en général pas une société à part entière (nous y reviendrons) mais un « Trust » créé par une banque ou un pool de banques spécialement pour racheter des créances immobilières. Le MBS détient donc une créance, une hypothèque sur une maison servant de garantie à la créance, et délègue à une banque dénommée « loan servicer » le soin de recouvrer les mensualités, où, si le prêt tourne mal, de faire lever l’hypothèque sur la maison, ce qui signifie expulser le propriétaire défaillant et revendre sa maison au plus offrant pour tenter de récupérer une partie aussi élevée que possible de la créance non honorée.

Dans environ 45 états sur 50, la loi prévoit que le transfert de créance soit dûment enregistré devant l’équivalent américain des notaires : ceci a pour but d’éviter qu’une banque réclame par erreur une expulsion sur une maison pour un prêt dont elle ne serait pas créancière ou dont elle ne détiendrait pas l’hypothèque.

Deux cas de figure se déclarent alors :

Dans 23 états, l’expulsion doit être notifiée par un juge : la banque mandataire du trust doit donc lui présenter, entre autres, les preuves du défaut de paiement (en général, pas de problème), et celles de la détention effective de la créance et de l’hypothèque sur la maison en collatéral.

Dans les 27 autres états, la banque peut faire procéder à l’expulsion sur simple présentation d’un dossier de défaut à un officier de police, et l’affaire n’est examinée par le juge que si l’expulsé fait appel de l’expulsion, qui lui est en général notifiée quelques jours à l’avance.

Dans les deux cas, la banque mandataire doit faire la preuve devant le juge qu’elle détient bien la créance et l’hypothèque. Sans quoi, le juge risque de décréter qu’il ne peut pas autoriser la banque requérante à procéder à l’expulsion et à la revente de la maison, car il ne peut être certain que le produit de la vente aille à la bonne personne.

Premier couac pour les banques : le système de transfert électronique de créances MERS invalidé par les juges

Dans leur quête effrénée d’argent facile, Fannie Mae, Freddie Mac et de nombreuses banques privées ont estimé qu’en période de boom immobilier, faire enregistrer physiquement chaque transaction hypothécaire par des notaires coûterait trop cher. Il est vrai qu’elles ont fait ce constat en 1997, quand la titrisation « avancée » commençait tout juste et quand les écarts entre taux fédéraux et prêts individuels laissaient moins de marge de manoeuvre.

Ils ont donc créés une sorte de groupement interbancaire, le MERS, Mortgage Electronic Registration System (2), qui a enregistré par voie électronique les transactions sur les propriétés hypothéquées en lieu et place des MBS ou de leurs « loan servicers ». La procédure a permis aux banques d’économiser 1 Milliard de $ en 2007 sur les frais de gestion. Les banques estimaient que l’enregistrement au MERS des transactions rendaient inutile l’enregistrement notarié traditionnel (3). Grave erreur !

Lorsque les procédures de faillite ont commencé à affluer, le MERS a prétendu se charger du suivi des faillites. Double problème : Tout d’abord, le MERS n’est pas propriétaire des créances ni « loan servicer » mais seulement intermédiaire d’enregistrement. Plusieurs cours ont estimé que cela ne lui donne pas le droit de représenter les MBS lors d’une saisie. D’autre part, de nombreux états ont estimé qu’en matière d’enregistrement de la propriété, l’application des textes devait être rigoureuse, et que de simples enregistrement électroniques, insuffisamment sécurisés de surcroît, ne pouvaient déterminer avec certitude si le requérant de la saisie était bien la bonne personne qui devait encaisser le montant de la vente de la maison… Depuis, plusieurs rapports d’analyses ont exposé les insuffisances du système MERS (4), et les jugements interdisant au MERS de se présenter comme mandataire d’un trust ou d’une banque se sont multipliés.

Plus amusant, si j’ose dire, il semblerait que les effectifs du MERS se composent de… zéro salariés, les employés du MERS étant tous prêtés par les banques utilisatrices du système. Conséquence inattendue de ce choix de fonctionnement, dans certains états, cette caractéristique rend le MERS juridiquement incapable de représenter les intérêts de qui que ce soit, une entité juridique devant toujours être représentée par une personne physique en bout de chaîne (5).

Deuxième couac : le scandale des « robo-signers » et des faux actes notariés antidatés

Les grands scandales commencent souvent par de petits incidents jugés de prime abord sans importance.

Le système MERS était tellement déficient que lors d’une affaire apparemment banale de saisie à Jacksonville, en Floride, deux banques se sont présentées comme requérantes dans une saisie. Plus ennuyeux, le vrai propriétaire de l’hypothèque n’était aucune des deux banques mais notre vieille connaissance Fannie Mae (6).

Encore plus ennuyeux, les deux banques présentaient toutes deux des attestations sur l’honneur comme quoi elles certifiaient avoir vérifié la validité de leur dossier, et joignaient toutes deux des pièces apparemment notariées prouvant que la créance leur avait été transmise en bonne et due forme.

Les différentes enquêtes consécutives à ce bug ont permis de mettre au jour une pratique connue des initiés mais cachée au grand public : les firmes d’avocats qui représentaient les banques mandataires des MBS lors des audiences utilisent souvent… Des documents antidatés fabriqués par une firme spécialisée, LPS (7), « Lender Processing Services », une société de services informatiques et juridiques spécialisée dans, comme son nom l’indique, les services de gestion administrative aux emprunteurs. LPS, quasiment inconnue du grand public, réalise tout de même 4 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Une filiale de LPS, DOCX, publiait en toute simplicité un catalogue de prix pour documents « reconstitués » (8) à partir des enregistrement électroniques.

Le circuit est le suivant : une des banques clientes de LPS enregistre un défaut de paiement, charge LPS de monter un dossier, LPS transmet ce dossier à un « foreclosure mill », littéralement un « moulin à faillites », une firme juridique ayant un accord de partenariat avec LPS. Le « Foreclosure Mill », localisé dans l’état où la faillite est mise en jugement, prend le dossier, le signe « les yeux fermés » et va le défendre devant la cour. Vous noterez au passage l’incroyable nombre d’intermédiaires qui parasitent le système…

Certains employés de « Foreclosure mills » ou certains salariés de services internes de grandes banques mandataires de prêts ont reconnu sous serment signer en série plusieurs milliers de dossiers fabriqués de la sorte chaque semaine (9), en consacrant moins d’une minute par dossier, ce qui ne leur permet pas, évidemment de vérifier la bonne tenue des pièces présentées. Les firmes employant ces « Robo-Signers » sont aujourd’hui pour la plupart objet d’instructions judiciaires, voire, pour certains, de poursuites.

Cette façon de faire pose de multiples problèmes, que nous allons découvrir au fur et à mesure. Commençons ici par les plus triviaux : Tout d’abord, dans tous les pays du monde, présenter des pièces assimilables à des faux en écriture publiques rend les magistrats peu compréhensifs.

D’autre part, aux USA, comme dans la plupart des pays civilisés, la faillite personnelle est une chose sérieuse, et la plupart des états sont dotés de législation veillant à ce que les requérants dans une affaire de liquidation d’hypothèque respectent strictement certaines procédures : délais de prévenance des familles expulsables, vérification très stricte de la validité de tous les documents présentés à la cour, et certification exacte sur l’honneur de la validité des créances présentées. Le non respect de ces prérequis de bon sens peut, au mieux, conduire certains juges à renvoyer la procédure à plus tard, au pire, dans certains états, à contraindre la banque à abandonner les poursuites, ce qui équivaut à un « bailout » judiciaire pour l’emprunteur en défaut. Il semble toutefois que ce dernier cas de figure soit assez rare.

Toujours est-il qu’une affaire de fraude documentaire devant des tribunaux n’est pas de la petite bière, et que des géants du crédit qui trempent dans le système LPS tels que Bank Of America, GMAC, et quelques autres, ont décidé un moratoire sur les expulsions dans les 23 états où celles ci sont soumises a priori au regard d’un tribunal, et que dans certains des 27 autres (dont la Californie et le Texas), les avocats généraux ont également demandé un moratoire.
Troisième couac : Le transfert rétroactif des créances est sinon impossible, du moins très problématique

Reprenons un peu le cours d’une créance hypothécaire. Nous avons vu que dans la plupart des cas, la banque qui avait ouvert le crédit n’avait pas transmis physiquement la créance au MBS, mais uniquement un enregistrement MERS. On pourrait donc imaginer que la banque originatrice du crédit détienne toujours cette créance. C’est parfois vrai, mais parfois, certaines banques ont purement et simplement détruit cette paperasse jugée inutile (la créance a été vendue, après tout…), d’autres ont fait faillite, etc… Mais il est vrai qu’un certain nombre de banques ont conservé les notes. Pourraient elles se substituer aux MBS et à leurs « loan servicers » pour se déclarer comme ayant-droit dans une procédure d’expulsion ? Non, car elles ont effectivement vendu la créance, leurs livres de comptes l’attestent, et ont été payées pour ces créances. Quand bien même elles la stockent physiquement, elles n’en sont aucunement les propriétaires légitimes.

Pourraient elles transmettre la créance physique aux MBS maintenant que la faillite se déclare ?

La manipulation est là encore impossible. Pour comprendre pourquoi, il faut se plonger dans le droit des MBS.

Le premier frein a la transmission tardive des créances est de nature fiscale : les MBS sont, nous l’avons vu, juridiquement, des trusts, et plus précisément une forme de trust créée en 1987, les REMIC, qui ont pour objet unique de regrouper des pools de crédits et de les titriser.

Ces trusts bénéficient d’un avantage fiscal sans lequel ils n’auraient aucune raison d’être : ils échappent à la double taxation des dividendes. En effet, sans cet avantage, les mensualités perçues seraient taxées une première fois, avant que les épargnants ayant investi dans les obligations émises par ces trusts ne soient rémunérés, ce qui réduirait grandement le rendement servi.

Mais pour bénéficier de cet avantage, les REMICs doivent respecter quelques obligations légales : le législateur veut évidemment éviter que l’avantage fiscal ne profite à tout le monde.

Aussi a-t-il mis comme conditions que :

- Le pool de prêts constituant la MBS soit constitué une fois pour toute au lancement de la MBS. Pas question, une fois que la MBS a émis ses obligations, de lui rajouter de nouveaux prêts.
- Les emprunts intégrés dans la MBS doivent avoir moins de 90 jours au lancement de la MBS.

En cas de non respect de ces deux clauses, un MBS opérant sous le statut de REMIC peut se voir déclassé de ce statut et redressé de toutes les taxes dont il a été exempté depuis son lancement, ce qui, évidemment, ramènerait sa valeur, déjà fortement écornée par la crise, à presque rien.

Naturellement, le lecteur habitué à la façon de gérer les affaires à la française se dira que tout ceci n’est pas grave, et qu’une petite loi d’amnistie fiscale suffirait à résoudre le problème. Mais aux USA, l’amnistie fiscale ne semble pas faire partie du champ des possibles, légalement parlant. En outre, si tant est qu’une « opportunité législative » existerait pour une telle décision, une telle faveur aux banques déjà haïes et considérées -à juste titre, comme nous pouvons le voir- comme des entités responsables de la crise, sauvées par le contribuable, et sans doute coupables de fraudes devant le tribunaux, serait absolument suicidaire électoralement parlant pour l’administration Obama.

Le second frein à la transmission en retard des créances hypothécaires en déshérence est que, justement, ces créances sont en déshérence : la MBS a émis des obligations au départ des prêts, et à ce moment, aucun prêt présent dans la MBS n’était en faillite. Contractuellement vis à vis des épargnants qui ont acheté les CDO émises par les MBS (désolé pour ce flux continu d’abréviations barbares…), ceux ci ont acheté des obligations émises par des pools d’emprunts sains, notés en fonction de leurs caractéristiques « investment grade » par les agences de notation (10). Si la MBS doit prendre en pension les créances dont elle avait affirmé détenir les droits au moment où elles étaient saines, avec plusieurs années de retard, au moment où elles ne valent plus grand chose, alors elles admettent avoir menti sur le contenu de la MBS au moment du lancement.

Là encore, en France, une petite loi de régularisation réduirait ce genre de péripétie au rang d’entrefilet en page intérieure des Echos ou de la Tribune. Mais aux USA, ce genre de manipulation a posteriori, pour les mêmes raisons que précédemment, sont moins envisageables.

Perte fiscale, fausse déclaration au moment de l’émission des bons : cette fois ci, les acheteurs de CDO (parmi lesquels des fonds de pension, des assureurs, et… depuis le Bailout, la FED !) n’ont pas perdu de l’argent uniquement à cause d’un mauvais jugement sur la valeur du produit acheté -dans ce cas, ils n’ont que leurs yeux pour pleurer-, mais à cause de négligences graves des banques ayant packagé et certifié lesdites CDO. Les investisseurs de MBS, déjà échaudés par la perte de valeur de leurs investissements, comptent bien se saisir de ces irrégularités manifestes pour obtenir des dommages et intérêts. Ainsi, par exemple, la banque régionale allemande de Bade-Wurtemberg assigne Goldman Sachs en dommages et intérêts pour « mensonge » ayant provoqué 37 millions de pertes.

A ce stade, quels charges pèsent sur les acteurs du scandale : incapacité de produire des documents fiables, faux en écriture, négligence fiscale, et fausse déclaration sur les droits détenus par les MBS. Voilà de quoi nourrir de bien beaux procès en perspective.

Et bien, si vous croyez avoir tout vu, désolé, cher lecteur, mais le coup de grâce arrive seulement maintenant.

Les cadavres sortent des placards : et si tout ceci n’est que le résultat d’une fraude originelle bien plus grave ?

Mais évidemment, la question qui vient immédiatement à l’esprit de tout lecteur est : « Pourquoi » ? Pourquoi des banques a priori sérieuses (du moins y auraient elle intérêt), des firmes d’avocats qui risquent au mieux leur licence, au pire de très lourdes condamnation, et d’autres intermédiaires, pourquoi toutes ces entreprises ont elle pris de tels risques avec l’orthodoxie légale dans la gestion des avoirs hypothécaires ?

Les analystes indépendants Yves Smith et Karl Denninger, depuis plusieurs mois à la pointe de l’évolution des scandales hypothécaires, avancent, preuves croissantes à l’appui, que si les banques originatrices n’ont pas transmis les reconnaissances de dette signées par les emprunteurs en bonne et due forme, ce n’est pas « par paresse », ou parce que « cela coûtait trop cher », ou encore parce que « le MERS était jugé suffisant », ou tout autre excuse de second ordre.

La vraie raison de la conservation de ces créances dans leurs placards serait que, selon eux, la transmission physique des documents aurait montré aux auditeurs de MBS, aux autorités de marché, et autres régulateurs se donnant la peine de faire leur travail, qu’un pourcentage non négligeables de prêts garnissant les MBS étaient purement frauduleux : fausses déclarations de revenus des emprunteurs, et d’une façon générale, non respect des chartes de qualité internes des banques, pourtant déjà fort laxistes du fait de l’application de lois telles que le Community Reinvestment Act (11). Autrement dit, il aurait sauté aux yeux des observateurs que les CDO composées officiellement d’un certain pourcentage de prêts « prime », « subprime », et autres sous-classifications, étaient en fait surchargés en emprunts de très basse qualité, « crap loans« … Et que de fait, jamais les tranches dites « sénior » des obligations émises par les MBS n’auraient pu obtenir la sacro-sainte note AAA des agences telles que S&P, Fitch ou Moodys.

Et là, on quitte le domaine de la négligence, de l’économie de bout de chandelle, de « l’erreur », fut elle énorme, pour celui de la fraude la plus éhontée, qui pourrait valoir aux institutions jugées coupables de ces manquements des dommages et intérêts stratosphériques, dans le cadre de class actions à grand retentissement.

Les accusations de Smith ou Denninger ne sont pas lancées au hasard. D’abord parce que ces deux analystes connaissent très bien le droit de la finance et connaissent le sens du mot diffamation -quand bien même le second se montre volontiers grossier sur son blog…-, ensuite parce que des faits rapportés par la presse sont venus conforter leur dires.

Ainsi, l’assureur de produits financiers AMBAC porte plainte contre Bank Of America parce que CountryWide, devenue sa filiale, aurait ainsi triché sur… 97% des dossiers de prêts apportés à diverses MBS ! Plus généralement, un audit réalisé par une firme indépendante entre 2006 et 2007 sur plus de 900 000 prêts titrisés (!) a montré que 28% ne respectaient pas les chartes internes des banques émettrices, qui pourtant garantissaient le respect de ces standards pour les prêts qu’ils revendaient aux MBS. A l’époque, la nouvelle avait suscité l’indifférence. Aujourd’hui, évidemment, ces audits donnent du poids à la thèse de la non-transmission volontaire des dossiers de créances physiques aux MBS pour cause de fraude flagrante : pour les courtiers en prêts et les agences bancaires qui octroyaient les prêts, l’important était de toucher une commission et donc de multiplier les affaires…

Et là, aucun « sauvetage législatif » des fautifs ne peut être ne serait-ce que conceptuellement envisagé : les investisseurs floués – ou les émetteurs de CDS – risquent de se jeter comme des pitbulls sur la jugulaire des banques qui ont packagé les MBS pour tenter de récupérer leur argent.

A noter que certains articles évoquent une autre possibilité : que certains prêts aient été revendus plusieurs fois !! Mais cette affirmation que certains journalistes auraient recueillie de « vétérans de Wall Street » n’a pas encore été corroborée de source fiable. On peut espérer que de telles escroqueries sont marginales et ne concernent que des dérapages individuels, mais après tout ce qui précède, plus grand chose ne pourrait nous étonner.

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Conséquences économiques

Il est encore beaucoup trop tôt pour avoir une vue détaillée de toutes les conséquences économiques de ce marasme judiciaire, qualifié déjà de « foreclosuregate » ou de « mortgage meltdown » par divers organes de presse. Essayons, avec le risque d’en surestimer certaines et d’en sous-estimer d’autres, de faire le tour de la question.

Bien sûr, les entreprises impliquées, comme GMAC ou LPS, affirment que ce sont de simples issues techniques qui devraient vite être résolues. Mais la somme des révélations récentes ôte toute crédibilité à cette affirmation.

Déjà, des procureurs généraux de certains états se penchent sur les fausses attestations sur l’honneur des détenteurs (réels ou virtuels…) de créances hypothécaires : dans l’Iowa, JP Morgan, GMAC ou Bank Of America pourraient écoper de 40 000$ par infraction (13). En Ohio, 25 000$. Il s’agit des seules amendes, snas compter des dommages versés pour le préjudice subi par les familles expulsées irrégulièrement, ou les acheteurs de maisons saisies dont le titre de propriété se révèlerait incertain voire invalide. Pour le seul état de l’Ohio (l’état de Cleveland), où jusqu’à 450 000 faillites irrégulières pourraient avoir été conduites, cela représenterait potentiellement jusqu’à 11 milliards de $ d’amendes (12)… Hors dommage. On imagine le résultat financier de telles actions en Floride ou en Californie !

Mais comme si cela ne suffisait pas, là n’est même pas l’essentiel. Le problème fiscal des REMICS, et surtout les procès d’investisseurs de MBS floués, pourraient coûter bien plus encore. Des épargnants individuels, mais surtout des assureurs, des hedge funds, des petites banques régionales non impliquées dans le scandale des prêts pourris, et surtout des fonds de pension, détiennent ces MBS. Tant que la perte de valeur des MBS était liée à une chute du marché immobilier, ces investisseurs n’avaient que leurs yeux pour pleurer. Mais si une partie des pertes est imputable à un comportement frauduleux des banques qui ont monté puis vendu les montages financiers des MBS, tout change !

En tout état de cause, Janet Tavakoli, une des expertes les plus respectées du monde de la finance et des produits dérivés aux USA, estime dans les colonnes du Washington Post que les conséquences du « foreclosuregate » pourraient largement excéder les 700 milliards de dollars du premier plan de sauvetage TARP et que ce sont les class actions intentées par les porteurs de CDO qui seront le coup le plus dur à digérer pour les banques.

Le marché des MBS représenterait encore (hors titres mis hors circuit par les rachats de la FED) une valeur de 2,8 milliers de milliards de dollars d’obligations de type CDO en circulation. Or, les incertitudes juridiques qui pèsent sur la résolution des défauts de paiement sont aujourd’hui à leur paroxysme.

Si les régles comptables étaient appliquées dans toute leur sévérité (mark to market), la valeur de ces CDO dans les bilans des institutions financières devrait à nouveau être dégradée, et tendre à nouveau dangereusement vers zéro. Or c’est une situation de panique autour de ces mêmes CDO qui est à l’origine des événements de septembre 2008 (Fannie, Freddie, AIG, Lehman, etc…). Cependant, il semblerait que malgré la fin annoncée fin 2009 du gel de la règle de « mark to market », le report immédiat des pertes dans les comptes ne soit pas la priorité des grandes banques. Quand on est allé jusqu’à présenter de fausses pièces à des tribunaux, ce n’est plus le non respect d’une petite norme comptable de rien du tout qui peut effrayer un dirigeant de grande banque, tout de même…

Pire encore : l’incitation au « défaut stratégique » des emprunteurs en difficulté est fortement augmentée par la situation actuelle. Pourquoi payer vos mensualités s’il existe une possibilité que l’organisme qui perçoit ces mensualités n’ait pas plus de titre valable sur votre créance que sur votre maison ? Nombre d’analystes ne croient pas que la situation puisse se solder par une vague d’annulation pure et simple de dettes pour les propriétaires de maisons. Par contre, il n’est pas impossible que les magistrats, pour trancher dans les conflits entre emprunteurs défaillants et banques prises en flagrant délit de légèreté, obligent les deux parties à renégocier de nouveaux prêts avec un principal fortement amputé, correspondant à des niveaux de dette plus soutenables pour les ménages, ce qui serait bon pour eux, d’ailleurs.

Nombre d’institutions financières, dont peut être certaines très grandes, seraient gravement touchées. Et faute d’avoir adopté un mode de résolution des faillites bancaires soutenable (14), et préféré le sauvetage des grands intérêts par les contribuables, le gouvernement américain devra gérer une situation explosive : une opinion remontée contre les « bailouts », des élections perdues et peut être plus de majorité au congrès, des grandes banques en faillite, et une assurance des dépots (FDIC) déjà dans le rouge. Brr…

Le foreclosuregate a le potentiel pour être le coup de grâce qui enverra par le fond le système financier américain actuel. Provoquant une nouvelle phase de crise économique, avec une fois de plus de sérieuses répercussions au niveau mondial.

Vers un nouveau Bailout législatif ?

Face à cette situation, certains espèrent un nouveau sauvetage de l’état, cette fois ci par voie législative. Et un début de déni de justice a failli se produire, seulement arrêté de justesse hier après midi, au stade de la signature d’une loi votée par le congrès en avril dans l’indifférence générale et sur le bureau du président.

Les banques ont compris depuis les premiers jugements anti-Mers, en 2009, que le système risquait de leur exploser à la figure. Elles ont donc « manoeuvré » pour que la chambre vote, en avril de cette année, quand le foreclosure-gate était encore inconnu du grand public, une loi fédérale numérotée HR-3808 contraignant les tribunaux à accepter les actes notariés électroniques, y compris en provenance d’autres états. Naturellement, comme par hasard, tous les enregistrements du MERS seraient redevenus valides. Et hop, plus de problème de détention de créance invalide ! Certes, la loi n’aurait sans doute pas été rétroactive et n’aurait pas empêché les poursuites pour procédures frauduleuses conduites avant sa promulgation, mais tout de même. Le sénat a voté la loi en urgence dans les tous derniers jours de septembre.

Mardi dernier, Jennifer Brunner, secrétaire d’état de l’état de l’Ohio, lançait un appelsur internet invitant tous les américains à téléphoner au président Obama pour qu’il ne signe pas cette loi. Elle indique que comme tout le monde, elle avait sous estimé la portée de la loi HR-3808 en avril, mais que l’empressement inhabituel du sénat à voter la loi fin septembre, alors qu’elle était en train d’enquêter sur les faillites frauduleuses, avait déclenché une alerte. Une telle loi, selon elle, marquerait le début de la fin de la sécurité juridique de la propriété aux USA. Cette analyse était partagée par les inévitables Yves Smith et Karl Denninger.

Son appel semble avoir eu du succès, puisque hier (jeudi 7) en milieu de journée, le président a fait savoir qu’il ne signerait pas la loi, et la procédure de renvoi utilisée équivaudrait à un véto. Obama n’est pas suicidaire : il sait qu’à exactement un mois des élections de Mid Term qui s’annoncent déjà difficiles, un « coup de pouce » législatif favorable aux banques coupables de fraudes avérées, haïes de la population et remettant en cause les fondements juridiques de la propriété aux USA, lui aurait valu un véritable désastre électoral.

Reste à savoir si après les élections, la loi rejetée par la porte pourra revenir par la fenêtre. Cela parait toutefois peu probable, vu les proportions prises par l’affaire et l’impossibilité de promulguer un tel texte en catimini.

Le présentateur vedette de CNBS, Larry Kudlow, lors de sa première couverture du scandale, se demandait si une législation d’exception pourraît être votée pour résoudre avec le moins de casse possible le problème : le sort réservé à la loi HR-3808 montre que même si cela était juridiquement envisageable, cela sera politiquement très difficile à soutenir.

D’un point de vue plus général, une loi d’exception pour tenter de sauver des banques qui ont enfreint toutes les règles possibles et imaginables, financières et éthiques, ne doit pas advenir. Assez de « hasard moral », d’incitations à recommencer la grande orgie d’argent facile dès que la crise sera terminée. Du point de vue du législateur, l’efficacité économique immédiate supposée de l’action publique ne doit jamais être une priorité supérieure au maintien de l’honnêteté dans le système.

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Conclusion

Le doute n’est plus permis : le foreclosuregate ne sera pas qu’une péripétie technique. Sera-ce l’étincelle qui provoquera la grande rechute récessionniste qu’hélas, je prévois depuis longtemps ? Ou les rafistolages du système financés par les contribuables réussiront ils une fois de plus à donner une illusion de viabilité au système financier américain et mondial actuel ?

Il est trop tôt pour le dire, et il ne faut jamais sous estimer la capacité de nos élites à prolonger la survie du patient. Mais une affaire de l’ampleur du Foreclosuregate montre que le cancer de la mauvaise dette et de la corruption du capitalisme financier par un législateur plus épris d’ingénierie sociale que de justice, a largement métastasé dans toutes les strates de la première économie du monde, et sans doute au delà. Aucun traitement conventionnel à base de déficits publics, de plans de sauvetages et de planche à billets, ne résoudrait à la racine les maux nés de la cogestion de l’économie par les financiers et les politiciens (15).

Notes et liens

(1) Histoire du modèle américain du crédit au XXème siècle, partie 1, partie 2
(2) En anglais, l’article de Gretchen Morgenson, qui a levé le lièvre du MERS
(3) L’affaire MERS sur Objectif Liberté (art. 1, art. 2)
(4) En anglais, rapport des juges Bufford et Ayers sur les insuffisances du MERS
(5) En anglais, un résumé des problèmes posés par le système MERS, et notamment par son absence de personnel.
(6) En Français, tout savoir sur Fannie Mae et Freddie Mac (Objectif Liberté)
(7) En Anglais, Yves Smith sur LPS
(8) Le catalogue DOCX – 95$ pour un dossier reconstitué complet.
(9) En Anglais, une employée aux faillites signait un document toutes les trente secondes (très nombreux cas similaires reportés par la presse)
(10) En anglais, tout savoir sur les agences de notation (K. Gentle, Institut Hayek)
(11) En anglais, tout savoir sur le rôle exact du Community Reinvestment Act (CRA) dans la crise, la part du vrai et du faux : Pr Stan Liebowitz.
(12) En anglais, l’Attorney Général de l’Ohio réclame 25 000$ par faillite frauduleusement présentée devant les tribunaux
(13) Bloomberg : 3 grandes banques risquent des poursuites de grande envergure.
(14) En Français, comment utiliser un processus de faillite amélioré pour réguler l’économie et la finance
(15) « Rendons à la social-bourgeoisie ce qui n’appartient pas au libéralisme » (Ob’Lib’)

Documents pédagogiques

Comment fonctionne la titrisation
Le MERS

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Mes articles précédents sur Objectif Eco :

Foreclosure-Gate 1, F-Gate 2 , F-gate3

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Les blogs US à suivre sur le sujet

Denninger
Smith
4ClosureFraud
Stopforeclosurefraud

Article repris avec l’aimable autorisation de son auteur.