Explorent-ils ? (première partie)

Publié le 10 octobre 2010 par Christophe Foraison

Cela va faire un bon mois que les cours ont repris.

Cette année, la nouveauté consiste à faire découvrir les sciences économiques et sociales à tous les élèves de seconde sous la forme d'un enseignement dit d'exploration.

Je voudrais faire un premier point .

D'abord les conditions dans lesquelles se déroulent les cours: je vois les élèves de seconde 1 fois par semaine, chaque séance dure 1h30. Les effectifs sont compris entre 15 et 25 élèves. Les conditions de travail sont donc tout à fait convenables sur ces aspects.

J'ai au total 6 classes de secondes soit 125 élèves, ils n'ont pas de manuel, je n'ai pas encore d'ordinateur avec videoprojecteur et connexion internet. Là, par contre, c'est beaucoup moins enthousiasmant d'autant plus que j'utilise un nombre élevé de polycopié. Bienvenue au XXIeme siècle

Ensuite, les activités menées en classe et l'attitude des élèves.

J'ai commencé par le thème suivant: le diplôme, un passeport pour l'emploi ? Il me paraissait plus motivant et moins "technique" que le premier thème du programme officiel (sur les déterminants économiques de la consommation, notamment les revenus et les prix)

1 / D'où partent les élèves ?

Il a fallu faire émerger leurs représentations sur deux questions liées au thème:

a- le diplôme permet-il l'accès à l'emploi ?

Pour l'essentiel des élèves, la cause était entendue: le diplôme ne sert pas à grand chose. Leurs justifications sont diverses, mais la plus fréquente est:  "Je connais quelqu'un qui a bac + 5 et qui ne trouve pas de travail"

b- Pourquoi tous les individus n'accédent-ils pas aux diplômes ?

Là encore, leurs réponses sont assez proches: "Les études, ça coûtent trop cher", "tout le monde n'a pas les mêmes capacités ou n'est pas motivé" (l'influence des facteurs économiques est pour eux essentielle).

Il va falloir, pour les thèmes à venir, que je réfléchisse davantage sur les différentes manières de récolter ces représentations. Ceci me parait absolument central pour qu'ils s'apercoivent du chemin parcouru.

2 / Comment découvrent-ils ?

Je leur propose le document suivant:

Le taux de chômage : (nombre de chômeurs / nombre d’actifs)*100

Un actif : personne qui déclare exercer une activité professionnelle déclarée et rémunérée (actif occupé) ou qui cherche à en exercer une (chômeurs).

Voici les 3 questions posées: 

A: Pour le chiffre 37,7, quelle est la bonne réponse ?

1 / sur 100 jeunes ayant eu le brevet depuis 1 à 4 ans ou n’ayant aucun diplôme , 37.7 sont au chômage en 2008

2/ sur 100 chômeurs, 37.7 ont le brevet depuis 1 à 4 ans ou n’ont aucun diplôme en 2008

3/ sur 100 jeunes actifs en 2008, 37.7 sont au chômage depuis 1 à 4 ans

4/ sur 100 jeunes actifs ayant eu le brevet depuis 1 à 4 ans ou n’ayant aucun diplôme, 37.7 sont au chômage en 2008

=> l'idée était de contourner l'obstacle de leur difficulté à écrire une réponse sur les pourcentages. Je voulais qu'ils se concentrent sur les informations synthétisées par ce pourcentage.

B: Calculez l’écart maximum de taux de chômage entre les plus diplômés et les moins diplômés en 2008. Même question pour 1978 et 1990

=> je voulais qu'il prenne conscience de l'ampleur des écarts de taux de chômage en donnant un ordre de grandeur.

C: le diplôme protège-t-il du chômage ?

=> ici, c'est la question qui doit leur permettre de formuler ce qu'ils ont "découvert" dans ce document

Voici quelques résultats obtenus:

A: beaucoup d'élèves n'ont pas trouvé la bonne réponse au premier essai (ils ont choisi la première), mais en leur montrant que le chiffre à lire synthétise différentes variables à partir de la formule du taux de chômage, certains ont rectifié et ont trouvé la bonne réponse.

B: beaucoup ont fait un calcul sommaire (la différence entre le % le plus élevé et le moins élevé et ont écrit: "31 %").

On voit bien une dérive fréquente de l'enseignement qui consiste à répondre sans se préoccuper du sens de la question ou de la réponse. Faire un calcul, donner un chiffre n'a pas de sens en soi. Il s'agit de faire prendre conscience d'ordre de grandeur qui permettront d'apporter des éléments de connaissance sur la relation diplôme-chômage.

C: j'ai été étonné de quelques réponses: "le diplôme ne protège pas du chômage", "le diplôme protège un peu...". 

De plus, on peut se demander si le fait que leurs représentations initiales soient mises en contradiction avec les données ne participe pas à ce qu'ils ne percoivent pas la découverte qu'ils auraient dû faire. D'ailleurs, même ceux qui ont été déstabilisés n'y "croient pas vraiment" ^^

D'autres activités du même type montreront que le lien entre diplôme et qualification de l'emploi, diplôme et stabilité de l'emploi, diplôme et salaire ne confirmeront pas leurs représentations.

J'ai, par la suite, obtenu la dérive inverse à celle constatée: à savoir que pour eux, le diplôme devenait progressivement le sésame qui ouvrait toute les portes (celle de l'emploi qualifié, stable et bien rémunéré). D'où le risque qu'il ne retienne que: ce qui compte, c'est d'avoir le plus diplôme possible !! (voir la thèse de Marie Duru- Bellat)  ! Il a fallu leur montrer le déclassement et leur donner à nouveau des ordres de grandeur.

L'activité sur le lien entre salaire et diplôme était révélatrice:

Graphique de gauche: Je leur fait calculer les écarts de salaire selon le niveau de diplômes pour ceux qui sont sortis depuis 1 à 4 ans de formation initiale. Puis je leur demande s'ils trouvent cet écart important.

Quelques uns ont raisonné en termes absolus, l'écart leur est apparu important.

Mais d'autres l'ont trouvé plutôt faible en le ramenant au nombre d'années d'études.

D'autres ont trouvé que cela "ne paye pas" : Faire un bac + 2 pour obtenir 1500 euros net, c'est peu, on peut obtenir le même salaire voire plus avec peu de diplôme: par exemple, une serveuse qui obtient des pourboires. Ce qui revient à raisonner en termes de coûts d'opportunité: investir dans les études en espérant un emploi qualifié ; mais cela implique de renoncer à gagner un salaire immédiatement...

D'autres ont aperçu que le salaire des plus diplômés avait baissé de 400 euros , beaucoup l'ont expliqué en montrant qu'il y avait de plus en plus de diplômés, donc la valeur du diplôme devenait moins significative.

Graphique de droite: que se passe-t-il après quelques années  ?

Ce graphique montre l'accroissement des écarts de salaire selon les diplômes. Tout le monde a trouvé que les écarts étaient importants.

On est revenu à l'exemple de la serveuse, ici les élèves se sont rendus compte qu'en prenant en compte non plus le court terme comme au début, mais le plus long terme, il aurait mieux valu investir dans les études. En effet, le salaire de la serveuse subit des fluctuations importantes (travail saisonnier), l'emploi est souvent instable (CDD) même s'il peut être parfois bien rémunéré, la progression à long terme est bien plus faible que si on avait poursuivi les études.

On peut donc enchaîner sur le concept de capital humain.

Ils ont été étonné lorsque je leur ai communiqué le coût annuel d'un lycéen (voir site educnet et ministère de l'éducation) et le temps moyen passé au lycée (proche de 900 heures par an). Pour eux, l'école, c'est "presque gratuit" (tout comme la musique). D'où des questions sur les composantes du coût annuel ("Qu'est-ce qu'on met dans ce coût ?") et les sources de financement de ces dépenses...

la suite au prochain billet ^^

Pour aller plus loin:

- O. Bouba-Olga sur son blog en a déjà parlé, cet article est à (re)lire

- le concept de "capital humain" pour la Commission européenne

- l'OCDE a publié son rapport sur l'éducation en septembre 2010

- deux liens qui renvoient au déclassement: Eric Maurin et Camille Peugny