David Lynch fait salle(s) comble(s) à la Cinémathèque française

Par Vierasouto

    
    J'ai passé hier pas moins de 7 heures à la Cinémathèque française, arrivée à 16h, repartie à 23h passées... 16h, grâce mon abonnement à la Cinémathèque, j'ai obtenu une place pour la Master Class de David Lynch mais aussitôt au guichet, pas de traces d'inscription... Je dois me bagarrer en brandissant mon e.mail imprimé et là encore on me dit qu'on ne voit pas nom dessus, que j'aurais pu le piquer à un tiers, j'explique que je suis seule au monde devant mon ordi... et ça s'arrange, on me trouve une place... Ceci dit, il y a tellement de demandes de fans et surtout d'invitations allouées par différents distributeurs de cinéma que si Serge Toubiana (directeur de la cinémathèque) n'imposait pas un quota de places relativement large pour les abonnés, l'événenement aurait été totalement privatisé. Idem pour la projection de "Mulholland drive" qui suit, on a donné la priorité aux abonnés qui n'avaient pas eu la chance d'être tirés au sort pour la Master Class mais, par miracle, il reste encore quelques places abonnés sans priorité de dernière minute, bien que les deux tiers de la salle soient étiquetés "réservés". Donc, 17h15, une heure des premiers court-métrages de David Lynch, et ensuite la Master Class. Sortie vers 19h30, retour 20h, séance un poil retardée parce que Lynch visite l'expo "Brune, blonde" et tient à présenter le film et à répondre aussi à des questions sur "Mulholland drive" avant la projection.
"Mulholland drive"
En fait d'idée, le nom d'une avenue (démarche Modianesque...), un mot évocateur, une adresse de légende : "Mulholland drive" qui sillonne Hollywood... C'est intéressant ce que David Lynch raconte sur la genèse d'un film devenu culte avec le temps : d'abord, un pilote pour une série TV, les producteurs le regardent sur un écran minuscule en faisant autre chose en même temps et en concluent qu'ils détestent ça. Lynch est repêché par deux français dont le producteur Alain Sarde, ce sera un film. Mais comme au départ, on projetait un tournage long pour une série, Lynch n'a pas trouvé de stars disponibles, en revanche, il découvre la merveilleuse Naomi Watts dont on est stupéfait en revoyant le film, à présent qu'elle est devenue elle-même une star, de vérifier combien elle était déjà aussi exceptionnelle qu'aujourd'hui. Ce qui m'a frappée aussi en revoyant le film avec un peu de distance... c'est à quel point la série "Twin peaks" possède déjà tout l'univers de Lynch qu'on retrouve dans "Mulholland drive"... Ce film diptyque m'a aussi fait penser  au principe du film "Une Sale histoire" (1977) de Jean Eustache, deux fois la même histoire en deux versions et en inversant la logique des passages 1 et 2 (la version clean ou onirique d'abord, en deux mots).
          
Les court-métrages***     Les courts-métrages de Lynch démontrent ce qu'on sait aujourd'hui : l'artiste est davantage un dessinateur, un peintre, un artiste complet qu'un cinéaste, seulement un cinéaste. Le premier court est une sorte de collage à base de dessins avec le mot "sick" qui clignote, un dessin animé au sens du terme avec des têtes reliées comme par des longs tubes digestifs à des organes et les couleurs qu'on va retrouver dans les court-métrages suivants : blanc, gris, noir, rouge, voire un peu de violet. Second court : ABC, les lettres de l'alphabet, on passe discrètement à l'incursion au rouge sang dans une ambiance vampiresque, la musique est stridente, ça ressemble plutôt à un travail de vidéaste. 3ième court-métrage assez long avec l'apparition d'acteurs humains "The Grandmother" : un petit garçon va créer une grand-mère en versant de la terre sur son drap blanc tâché de rouge, il arrose, au final, sort un monstre qui accouche de la grand-mère un peu genre "Alien". Le père est violent, la mère ne comprend rien, seule la grand-mère vaut la peine... Il y a un peu tout dans ce court, une coupe dentaire avec des microbes s'infiltrant entre les dents, des parents qui aboient, des visages blanc comme de la craie avec des bouches rouges, ambiance Dracula, macabre, cours d'anatomie, tropisme pour les viscères, et les acteurs jouent à la manière du muet. 4ième court-métrage, je sors de la salle un moment (ça tombe bien, je ne vois que le début) : une femme en train d'écrire... amputée des deux jambes (un peu comme le film que fera sa fille Jennifer Lynch?) Retour pour le 5ième court : une parodie de western qui préfigure un peu "Un Histoire vraie", d'ailleurs, c'est le même acteur (je crois...) et les images sont très simples, un peu jaunies. Les symboles de la France caricaturale : le français tombé dans un western avec son béret, sa baguette, ses frites, les cow-boys ignares, l'indien dévitalisé, les choristes à mise en pli.

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1. "Six Men Getting Sick"
 (1966, 4’),
2. "The Alphabet" (1968, 4’),
3. "The Grandmother" (1970, 34’),
4." The Amputee" (1974, 5’),
5. "The Cowboy and the Frenchman"(1988, 25’)

      
Le dialogue de David Lynch avec Serge Toubiana, puis les questions avec les spectateurs...
Il parle beaucoup de détails les plus précis sur une date, un nom, un souvenir de sa jeunesse mais ne raconte rien sur ses films et pas grand chose sur lui, pudique, poétique, persuadé que l'art parle en lui-même. Il est intarissable, par exemple, dans la description de tous les accessoires de sa toute première caméra. Il a fait les Beaux-arts, il avait obtenu une bourse, habité Philadelphie dans un quartier violent, sombre, il a fait des petits boulots comme employé dans une pharmacie ou dans un bureau de tabac. Il aime les formes des armes à feu et des avions. Cette formation des Beaux-arts lui a permis de savoir tout bricoler lui-même dans ses films et autres travaux artistiques.
Etonnamment, en opposition à ce qu'il filme, il affirme avoir eu une enfance heureuse près de la nature, son père scientifique spécialisé dans l'agriculture, une mère au foyer, qui comprenaient sa vocation d'artiste, il insiste sur la nécessité d'être "supporté". L'enfance, c'est 75% de rêves et 25% de réalité et au fur et à mesure qu'on grandit, le pourcentage de rêves décroît.
La forme, ça dépend des idées, peinture, photo, cinéma. Depuis "Inland empire", il n'a rien tourné au cinéma mais il sait que ce dernier film marque un tournant dans les techniques de cinéma, la transition (numérique), il attend de voir comment ça va évoluer, attend aussi que les idées lui viennent. Exemple d'extractions d'idées selon Lynch : lors d'une séance de méditation transcendantale qu'il pratique depuis 37 ans, en songeant à un collier de perles, un scénario d'un de ses films s'est débloqué, toutes les idées sont venues d'un coup... Son atelier de la rue du Montparnasse à Paris, ancienne imprimerie hantée par un passé artisanal, arstistique, dont il est tombé amoureux, lui a permis de renouer avec les lithographies de sa jeunesse. 

Aux questions de la salle.
Internet? Le média majeur, le support où tout va se passer. La 3D? une manière de faire de l'argent pour les studios et de vendre des TV en 3D mais pourquoi pas si le sujet s'y prête... Des traumatismes d'enfance? Tout le monde en a, les idées lui viennent du monde extérieur et pas de son monde intérieur, il esquive, cite comme influences Francis Bacon et Edward Hopper. Lectures? Pas un grand lecteur mais Kafka. Toubiana intervient : influencé par les surréalistes? Non mais aime le mot "surréel". "Interview project"? Projet de son fils et de son copain, 170 interviews de 5 minutes comme portrait d'un pays, en projet : l'Allemagne, la France. La direction d'acteurs? Pas de casting avec essais mais photos, puis rencontres, choix ; parler aux acteurs avant le tournage du film, leur parler jusqu'à ce qu'ils comprennent le personnage autant que lui, répéter très progressivement jusqu'à obtenir le ton voulu. Idem pour la musique d'Angelo Badalamenti, il ne voit rien du film!!! ils en parlent avant... Pourquoi un cinéaste va vers la TV? "Twin peaks", David Lynch l'a vu d'abord comme un film qui ne s'arrête pas... 


 
  PS. J'ai naturellement résumé et compacté ce que j'ai entendu et vu, j'espère qu'il n'y a pas de contresens...