Les retraites, une prise d’otages présidentielle

Publié le 14 octobre 2010 par Vogelsong @Vogelsong

“Le grand forestier ressemblait ainsi à un médecin criminel qui d’abord provoque le mal, pour ensuite porter au malade les coups dont il a le projet” E. Jünger – Les falaises de marbre

Les coups de billard à quatre bandes donnent l’air intelligent, surtout quand on a fait mine de les anticiper. D. Schneidermann du site “arrêt sur images” épingle T. Legrand dans sa lecture du conflit sur les retraites. Pondre une chronique quotidienne fatigue. La spéculation laisse même la place aux élucubrations. Le journaliste de France Inter représente assez bien la pensée “complexe” anti-luttes sociales. Une tournure d’esprit où tout conspire contre la gauche, sauf quand elle baisse la garde, s’affadit, et devient “raisonnable”. De droite. Une conception de la politique hypnotisée par les faits et gestes du président de la République. Car finalement quoi qu’il fasse, il est le plus malin et il gagnera. A bien y réfléchir on peut se demander si T. Legrand et ses confrères, dans ce schéma prophétique ne le souhaitent pas ardemment, même malgré eux.

L’alchimie des manifestations

La France adore la mystique des manifestations et des luttes sociales. Le conflit sur la contre réforme des retraites n’y coupe pas. Chaque bord scrute la manipulation d’en face. Chacun y va de son augure sur la destinée du mouvement. D’un côté, la projection fantasmatique de lunes révolutionnaires. On vitupère contre les syndicats marcheurs, incapables de renverser le gouvernement et d’entraîner le pays dans une guerre civile. Dont l’issue, on le sait, annoncera une aube nouvelle dans une société nouvelle. Une croyance fortement ancrée dans une grande partie des manifestants. La force ultime des luttes sociales de l’hexagone. Une volonté farouche nourrie de cette part d’utopie qui rend toute chose possible. Et qui, de fait, donne son souffle aux démonstrations populaires. Sauf que, dans le présent cas de figure la révolution s’avère hors de propos. La retraite par répartition qu’ils se sont donné de sauver issue d’un consensus réformateur d’après-guerre n’est pas d’essence révolutionnaire. Révolutionner la société par la rue repose sur un tout autre projet. Dont on peut imaginer qu’il réunirait bien moins de monde.

De l’autre bord, le verbiage mielleux de la soumission loin des masses croupissantes tient lieu de réflexion. Une supériorité affichée du politologue stakhanoviste dont la pensée supérieure engloutit par sa fulgurance la petitesse d’esprit du péquin larmoyant sur ses deux longues années supplémentaires de turbin. Le commentaire au lieu de l’action, la spéculation politique en écran de fumée. T. Legrand comme les siens ne peuvent voir ce qu’il se passe. Ils l’interprètent au travers du commentaire politique. Prisme déformant étalonné à leur petit égo d’éditorialistes multicartes. Tournant autour de la seule question intéressante, la manière dont N. Sarkozy gagnera les présidentielles de 2012.

Débat pris en otage

Le président ne cèdera pas. Non pas parce qu’il est inflexible, courageux, pugnace, visionnaire, ou on ne sait trop quoi. Il ne cèdera pas parce que l’entièreté du débat s’est focalisée sur sa prétendue intransigeance. Une prophétie autoréalisatrice sur les (supposés) atouts présidentiels. L’alpha et l’oméga du projet de contre-réforme se cristallisent sur la capacité de résistance du patron de l’Élysée à la pression incohérente de la rue. Une résistance qui lui ouvrirait grand les portes d’un second mandat. Divagations politologiques aussi solides que la lecture dans les entrailles de poulets. Cela implique une forte amnésie populaire doublée d’une propension immodérée à réélire un incompétent notoire. Pas impossible si on estime que les Français sont des veaux informés par des butors, mais néanmoins discutable. Mais plus que ça c’est oblitérer l’enjeu fondamental du sujet. Oublier que ce qu’il advient avec la modification des régimes de retraites altère substantiellement l’existence des Français. Ce qui importe, c’est l’ici, le maintenant. Pourtant, on continue de proférer des allégations qui consistent à faire d’une lutte sociale la primaire pour les présidentielles de 2012.

De manière assez cocasse T. Legrand publiait en janvier 2010 un ouvrage intitulé, “Ce n’est rien qu’un Président qui nous fait perdre notre temps”. Il y contait un univers médiatique fasciné par les faits et gestes d’un oligarque qui occulte les vrais enjeux politiques. Et pourtant, le même (avec bien d’autres) amplifie les gesticulations par des conjectures électoralistes et politiciennes. Par exemple la position imparablement inconfortable du PS dans les manifestations. Un parti dont il est bon de dire, et de répéter qu’il ne propose rien mais qu’il pousse au crime. Ou bien concernant les propos oiseux sur le sérieux de la participation lycéenne. Et ce, non pas sur une base d’une discussion à propos de leur avenir, mais sur les fondements sarkozistes de la sécurité et de la rectitude.

Quelqu’un, comme T. Legrand ou ses confrères, pourrait glisser au président que s’il décidait de (re)discuter de son projet de contre-réforme, il pourrait aussi gagner en 2012. Que T. Legrand comme ses semblables pourraient même lui faire gré d’une certaine posture consensuelle. Celle qui donne à un politicien la potentialité de devenir président de la République (réélu). Nenni, il est davantage galvanisant de s’improviser vaticinateur du prince, et de conter ses fortunes.

L’approche reptilienne des relations sociales par le Président, dans le cas présent celui des retraites, s’apparente plus à l’attitude d’un maniaque. Attitude bien mise en scène par les commentateurs. Une boucle infernale sans issue. Pourtant, si on écoutait attentivement ce que veulent les opposants au projet, il poindrait une nuance subtile avec l’attitude de forcené du chef de l’état. Une opposition populaire qui quémande à coups de jours de grèves, de manifestations et de blocages, un tour de table prenant en compte tous les avis concernant une modification substantielle du mode de vie des Français. Une attitude qui serait vulgairement démocratique.

Vogelsong – 13 octobre 2010 – Paris