Jean de la Hire. Maitresse de Roy.

Par Bruno Leclercq

Le Beffroi, 5e année, 1902

Les Proses, par A. M. Gossez
Jean de La Hire : Maîtresse de Roy, Paris, Borel, 1901. - Jean de La Hire : La Torera, Paris, Borel, 1902. - Fleischmann : Le Roman historique, Paris, L'Idée synthétique, 1902, etc
Jean de La Hire, romancier, Sainte-Claire, journaliste au Gil-Blas, Vicomte d'Espy (1) pour ses amis, l'auteur de Maîtresse de Roy, de la Torera et de trois autres romans parus (2), est un jeune qui a débuté dans la littérature par le journalisme en mettant la presse au service de ses goûts littéraires (3). M. de La Hire n'a point 24 ans. Il arriva de son midi, à Paris, en 1898, décidé à poursuivre, en dépit de tous et des siens, une carrière qu'il préférait à toute autre : celle de la libre littérature. Arriveur plutôt qu'arriviste, - car il devait demander à sa production son pain quotidien - il n'eût de cesse avant qu'un éditeur acceptât son premier roman. Aussitôt il conquit la sympathie de ses aînés, mais, habile, d'une habileté franche, il voulut demeurer en contact avec les écrivains de son âge et fonda la Revue puis l' Idée synthétique ; ainsi soignait-il, avec une fougue toute méridionale, ce qu'il nomme sa gloire de demain. Tout dévoué d'ailleurs aux jeunes auteurs, à qui il rend le service de les introduire devant le grand public et de les étudier sans ridicule mépris, les sachant plus sincères que bien d'autres dont la renommée est bruyante. Esprit clair, bouillant, d'une énergie communicative, son écriture est nette, vive, facile, simple. Il est rarement rêveur, plus rarement mélancolique, et c'est un latin avec tout le feu catalan. Jean de La Hire n'a rien d'un poète, tout d'un artiste, dans l'imagination ; il a le don précis de la couleur, de la pleine lumière. Son sang chaud, ses muscles souples et actifs l'entraînent à des enthousiasmes cruels, avec le goût du sang ; il les sait modérer par un raisonnement perspicace et un peu sec. Au physique, petit, musclé, nerveux, rapide, la peau bistrée, l'œil vif, les cheveux bruns et bouclés, la figure d'un méridional maigre, la parole pressée, affirmative, décidée.
J'ai dit que Jean de La Hire était un habile et un habile honnête : son roman Maîtresse de Roy nous en offre l'exemple. Le dernier chapitre conte, avec vigueur et pitié, et même avec une colère un peu injuste pour les exaltés de 1793, la mort de la Dubarry ; toutefois La Hire prend la précaution de nous renseigner : " que nous aurions mauvaise grâce à ne pas nous y plaire - aux gracieusetés du XVIIIe siècle finissant - quitte à nous indigner, le livre une fois fermé, et à bénir la Révolution qui balaya tout cela. "
La Maîtresse de Roy est donc Mme Dubarry et le roman, l'histoire " amoureuse et galante " d'un triste règne qui s'éteint. Purement anecdotique, ce récit rapetisse les faits ; c'est " l'histoire vue par le petit bout de la lorgnette " et qui ne saurait être complètement goûtée que par ceux là qui connaissent l'autre, l'ennuyeuse, la pédante, serait-ce encore dans le seul M. Duruy, et, ceux-là qui dans un coin de la mémoire, se souviendront de MM. De Goncourt. M. de la Hire a tort de se fier à des sources douteuses et à des mémoires suspects - seraient-ils attribués à Choiseul - mais si son roman y perd en exactitude, il gagne au contraire en spirituel imprévu. C'est l'histoire à la manière agréable de M. Funk-Brentano, qui use facilement de la documentation d'autrui. Les mêmes scrupules ne troublent point la lecture de la Torera ; - encore que l'on ait ici réclamé une documentation, - aussi bien le véritable intérêt du roman ne s'égare pas au cadre et aux ornements, mais réside dans l'énergie consciente et les frémissements passionnés des deux violents héros. L'œuvre, écrite avec un peu de hâte, mais aussi avec entrain, se termine par quelques scènes de vraie beauté tragique, où l'auteur à prodigué la force âpre et consciente de son esprit sur ses deux principaux acteurs ; c'est après ces pages que l'on pourra conclure, d'accord avec H. Fleischmann, que Jean de la Hire est une volonté.
La courte étude que le directeur de la Revue Verlainienne consacre au roman historique, est seulement le commentaire aimable de Maitresse de Roy. Il l'agrémente d'appréciations sur les romanciers d'histoire et l'on s'étonne qu'il néglige leur source en sa fraîcheur première : Walter Scott.
M. de la Hire lui-même a voulu justifier le goût du public pour le roman d'histoire. Ce public est las, lui paraît-il, de " notre temps, laid, grossier, triste et poussiéreux. " Tout au contraire, M. Eugène Montfort prend à tâche de démontrer que notre époque, toute notre époque, a une beauté et que la beauté est de toutes les époques. M. de la Hire en faisait lui-même l'aveu : " du passé, il reste surtout des choses agréables ", en particulier quand on ne se fournit pas à soi-même l'occasion et l'ennui d'en soulever les voiles : l'antiquité avait son esclavage. Et peu de temps furent aussi artistique que le nôtre : c'est l'époque de l'Art dans tout. Nous avons Rodin et Gallé, Le Crépuscule des Dieux, et Louise, Zola, France, Lemaître et Louÿs - et demain le théâtre du peuple ?
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