Ciné-Club Sensation, séance n°2 : Valhalla rising

Publié le 17 octobre 2010 par Vance @Great_Wenceslas

 

Titre : Valhalla rising, de Nicolas Winding Refn (2010) avec Madds Mikkelsen.

Version & Support : Blu-Ray Region B distribué par Wild Side, VO anglaise sous-titrée français (DTS HD 7.1) ; 1h37.

Diffuseur : téléviseur LCD à LED Samsung de 40 pouces (LE40A196).

Lecteur : Panasonic BD-60

Participants : 8.

Résumé : Au début du Moyen-Age, dans une contrée nordique. One-Eye est un guerrier farouche mais muet, prisonnier d’un chef de clan depuis des années et forcé à se battre dans des conditions humiliantes. Il parvient à s’évader, suivi par un gamin et se retrouvent à bord d’un drakkar empli de Vikings chrétiens en mal de Croisade. L’endroit où ils finiront par accoster ne ressemble pourtant pas à la Terre Sainte…

Un essai de synthèse par Vance

La première fois que j’ai entendu parler de Valhalla rising, c’était par un des heureux membres du Palmarès qui pouvait jouir de projections presse. Il l’a donc vu bien avant sa sortie en salles et… a adoré. D’autres contributeurs ont eu la même réaction : un film phare, puissant, hypnotique, confirmant tout le bien que les amateurs pensaient de Winding Refn depuis la trilogie Pusher (et malgré des réactions mitigées devant Bronson).

Ensuite, le buzz a fait son petit bonhomme de chemin. Le film n’étant pas présenté dans de nombreuses copies, les spectateurs « normaux » devaient espérer une projection pas trop loin de chez eux. Et là, d’autres commentaires tombèrent : lent, ennuyeux, vain.

Les notes commençaient à s’accumuler, et elles allaient de 0 à 5 (sur 5) : un film polémique, qui ne laisse pas indifférent. On aime ou on déteste.

Forcément, une œuvre typique d’une projection suivie de débat. Même entre copains.

Dont acte.

4 invités pour une séance à 6 après un excellent repas (bien arrosé grâce à un bon Gewürztraminer et un très bon Gigondas – merci maître G) et une discussion à 8 via Skype. La bonne humeur était générale, malgré la fatigue de certains (nous avons commencé la projection vers 22h30). Cette bonne humeur n’a pas suffi, même si elle a tempéré chez Nico un jugement très sévère sur le film. Trois autres ont été carrément rebutés par la vacuité, l’inanité voire le pédantisme du métrage, alors que deux ont préféré s’endormir ou somnoler.

Aïe !

L’avis général demeure tout de même très positif sur les images : on a vanté les qualités du chef op, merveilleusement retranscrites grâce à une excellente gestion de la caméra et un très bon encodage (même si Nico a cru apercevoir des artefacts numériques et Sypnos une solarisation excessive mais fugitive). Le blu-ray, de fait, rend très bien les textures (les surfaces des eaux notamment, mais aussi la boue, les roches, le ciel) : le film, sans être un hommage à Mère Nature, inscrit son personnage principal dans un contexte brut ; guerrier en fuite ou demi-dieu enchaîné, il sait se ressourcer régulièrement et trouvera dans les profondeurs placides des eaux qui le baignent l’instrument de son évasion comme celui de sa rédemption.


Reste l’histoire, découpée en 6 chapitres d’une vingtaine de minutes. Le premier d’entre eux, « la Colère », présente une situation assez trouble : One-Eye, ce guerrier sauvage, borgne, parfaitement interprété par un Mikkelsen fascinant, est constamment enchaîné, livré malgré lui à des duels sanguinaires. Le sang gicle, bien souligné par une bande son au diapason (celle-ci aussi semble avoir emporté l’adhésion de la majorité, chargée de basses en crescendo lancinant) ; si la plupart des coups sont portés hors-champ d’une caméra mobile - mais parvenant à saisir l’essentiel de l’action - quelques plans gore renforcent la brutalité du sujet (l’écrasement d’une tête, l’éviscération d’un ennemi). Les gens sont crasseux, couverts de hardes, les visages hagards. Parfois, One-Eye se meut parmi eux au ralenti alors qu’ils semblent prendre la pose, la tête inclinée ou les yeux écarquillés, il est alors tel une ombre d’outre-monde.

Pendant qu’il est enfermé dans une cage étroite (un peu comme Conan à ses débuts), sous l’œil d’un enfant blond qui le nourrit, les chefs de clan déblatèrent d’une voix morne sur le caractère de l’individu, philosophent sur le sens de la vie et leur fin prochaine qu’ils savent inévitable. Quelques paroles que beaucoup ont eu du mal à rattacher aux promesses de l’ensemble et qui ont eu le don de plomber l’atmosphère, d’autant que le réalisateur insère également des plans étranges où One-Eye apparaît en surimpression, la face rouge et le regard torve, annonçant un futur sombre.

Ensuite, de « le Guerrier silencieux » au « Sacrifice», en passant par « la Terre Sainte » et « l’Enfer », on suit les pérégrinations du groupe peu commun composé de Vikings cherchant la Terre sainte pour participer aux Croisades. Bien qu’ayant vu One-Eye à l’œuvre, ils acceptent tout de même de le prendre à bord (on comprend mal leurs motivations, on sait juste que le gamin veut « rentrer chez lui » et qu’il se met à interpréter les silences équivoques du guerrier mutique). La traversée aura des allures de fantasme : la brume envahit le paysage, les hommes sont tassés, écrasés par quelque chose de plus grand qu’eux. Seul One-Eye affronte son destin et ne perd pas son sang-froid, châtiant ceux qui viennent l’embêter.

Derrière la brume, l’embouchure d’un fleuve, une terre nouvelle. Est-ce la Terre sainte ? Ou une autre terre à évangéliser ? One-Eye reste sur le qui-vive : on ne sait à aucun moment s’il est de retour chez lui, s’il sait où il est ou s’il est simplement (et naturellement) méfiant. La Mort s’abat sur le groupe, les esprits s’échauffent : il continue, imperturbable. Alors que le chef du clan recherche la purification dans un bain qui rappelle celui de One-Eye au début, lui bâtit un cairn (un amoncellement de roches à caractère sacré) : une stèle pour son futur sacrifice ? Pour les morts dont il a semé sa route ? Pour les dieux qu’il a abandonnés ? Ou qui l’ont abandonné ? Ou juste un geste dérisoire pour marquer un territoire ? Ou encore, l’élaboration d’un jardin zen… ?

Lorsqu’il reprendra la route, certains décideront de le suivre malgré leurs doutes, mais lui avancera, même conscient de son destin (on en a vu des aperçus). La Mort encore est au bout de sa quête, sous l’apparence de guerriers rouges, primitifs, issus de la terre, aussi violents et impitoyables que lui. Et tout aussi muets.


Difficile de reprocher la maîtrise formelle de Nicolas Winding Refn, comme sa maîtrise de la profondeur de champ. Mais le discours emporte nettement moins l’adhésion : le caractère mystique, patent, peine à convaincre par l’absence de points de repères solides. On en est réduit à des conjectures, qui ne sont pas toutes à l’avantage de l’œuvre. Derrière son aspect véritablement fascinant, mystérieux, se cache un vide qu’on peine à emplir par des extrapolations pleines de bonne volonté. Il faut puiser dans des références (le script du 13e Guerrier, par exemple, d’après Sypnos ; des passages empruntés aux visions de Van Hamme & Rosinski quand Thorgal cherche à accéder au monde des morts) et, surtout, être vraiment convaincu de la solidité de nos assertions. Si la quête reposait bien sur l’accès au Paradis des guerriers nordiques (le Valhalla auquel sont promis tous ceux qui meurent au combat, emportés par les Valkyries au service d’Odin) comme le suggère le titre, où est la guerre promise ? A moins que One-Eye n’ait été justement frustré de cette noble accession (ascension ?), capturé sur le champ de bataille, et donc évincé du monde des dieux - jusqu’à ce qu’il ait entrepris ce sacrifice aux frontières de notre réalité…

Quoi qu’il en soit, la Foi semble être le principal moteur des individus gravitant autour de One-Eye, lui ne semblant plus avoir foi qu’en lui-même, d’autres le suivant plus par crainte de l’inconnu que par véritable confiance. Le rapport particulier entre le garçonnet et le guerrier silencieux tient peut-être de la télépathie, d’une forme d’empathie liée aux circonstances (ils ont traversé les mêmes épreuves) mais il est possible que ça soit plus proche d’une relation de foi : l’a-t-il perdue puis retrouvée au contact de One-Eye ? Place-t-il tous ses espoirs en lui seul ? Dans cette optique, on pourrait du coup estimer que One-Eye acceptât de se sacrifier pour lui, endossant une forme de figure christique sans prosélytisme (les autres qui décident de le suivre, après hésitation, ne connaîtront pas le même sort que le garçon). Mais n’oublions pas la rage, cette colère primale qui pousse One-Eye à survivre d’abord, à s’enfuir ensuite, à résister et à avancer – mais sans autre chose, de plus profond, plus spirituel, elle ne paraît pas suffisante : le guerrier alterne les périodes où elle se déchaîne (il est alors un prédateur acculé et se bat avec la férocité d’un Wolverine) et d’autres où il est à l’écoute de lui-même (ou d’un autre chant, plus lointain, moins intelligible). Dans ses accès de rage, il se rapproche de la Nature, d’un état atavique qu’il traduit dans ses attaques bestiales, ses postures félines, ses regards méfiants : il la laisse le dominer, avant de l’apaiser et de la dominer à son tour. Chaque bain est comme un baptême, et One-Eye paraît presque passer d’un monde à l’autre dans chaque chapitre fuligineux : il s’agit moins d’une quête que d’un parcours initiatique rythmé par des rites ancestraux.

Rage. Foi. Passage

Les malheureux Vikings qui l’accompagnent recherchent une terre promise pour s’y accomplir en tant qu’hommes (de Dieu). Lui semble au-dessus de tout cela, comme si les dieux eux-mêmes lui étaient redevables.

Rien que des spéculations : un film qui suscite le débat, pour peu qu’on cherche à lui trouver une raison d’être. On a évoqué les Contes de la Lune vague après la pluie à son sujet, ainsi que la filmographie particulière du metteur en scène danois. Avant de parler d’Outlander, bien moins ambitieux mais sans doute plus jubilatoire dans son approche. Puis les arguments se sont taris et la discussion a tourné autour d’autres œuvres, comme pour s’ébrouer après une séance qui n’a satisfaisait personne à cause d’un film qui refusait de révéler ses secrets. Il n’est peut-être que le résultat de la vision altérée d’une équipe artistique aux abois, que le prétexte fumeux à l’accouchement de fantasmes muets. Peut-être totalement vide de sens et de but. Peut-être encore moins. Peut-être bien plus.

Allez savoir.

Prochaine date : Rocky Horror Picture Show en blu-ray, vers la mi-novembre 2010. On sera encore plus nombreux et on essayera d’avoir tout le monde sur Skype. Joignez-vous à nous !

Vivement !