La "nouvelle" littérature française

Publié le 28 janvier 2007 par Menear

Saviez-vous que tout enseignant et/ou toute personne reliée de près ou de loin à l'Education Nationale se doit (c'est stipulé dans les contrats) de souscrire à une lecture régulière et approfondie soit de Télérama, soit du Nouvel Obs ? Non, vous ne saviez pas ? Tant pis, ce billet n'a de toute façon pas vraiment de rapport direct avec l'un ou l'autre de ces hebdomadaires. Enfin si, mais de loin, puisque c'est en tant que digne fils d'instit' que j'ai parcouru le dernier numéro de Télérama... Et dans le dernier numéro de Télérama (numéro 2976, du 27 Janvier 2007), Nathalie Crom, journaliste, se propose de réagir à

l'essai de Tzetan Todorov, La littérature en péril (dont vous pouvez lire un entretien sur le site de La Croix) sur la dégénérescence du roman français actuel dans un article pas vraiment polémique intitulé, pourtant : « Le roman d'une polémique ». Cet article, je l'ai lu avec attention et j'en ai suivi les échos bloguesques ici ou là sans que ni les uns, ni les autres ne contentent mon propre point de vue sur la chose.
En substance, l'article de Nathalie Crom s'oppose à la thèse développée par Todorov dans son essai qui voudrait que le roman français actuel soit « réducteur », « étriqué », « objet langagier clos, autosuffisant, absolu » et dont l'écriture serait victime d'une « attitude complaisante et narcissique » ; en un mot, le roman français serait vidée de sa substance, notamment par l'élan autofictionnel systématique et insupportable (j'extrapole) qui caractérise la littérature hexagonale depuis quelques années maintenant. Bref, cet article de Télérama nous apprend que, contrairement à ce que Todorov (et bien d'autres) dénonce, le roman français se porte bien. Il se porterait même mieux que bien. En fait, il n'y aurait aucun problème, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Et l'article d'appuyer son propos via de lourdes références à Roland Barthes ou Marthes Robert, que, je vous rassure de suite, je n'appellerai pas à mon secours, Dieu merci, laissons-les bien au chaud où ils sont : dans les marges de mes feuilles de cours illisibles.
Les arguments défendus dans cet article (par des intervenants qui sont pour la plupart, ça me peine de le faire remarquer, soit des universitaires, soit des éditeurs, on retrouve finalement assez peu « d'acteurs » du roman) sont clairs et simples (voire simplistes) : il s'agit d'un catalogue d'exemples sans réelle réflexion sous-jacente.

Peut-on « parler de péril, de déclin, poursuit avec enthousiasme Bruno Blanckeman, lorsqu’on a la chance de vivre à une époque où écrivent des auteurs tels que Patrick Modiano, Jean Echenoz, Sylvie Germain, Antoine Volodine, Marie NDiaye ou Annie Ernaux ? » Des auteurs qui ont en commun de « continuer à inventer des démarches singulières pour nous donner les moyens de construire notre propre représentation du monde ».


L'article s'appuie d'ailleurs sur une citation d'Edmond de Goncourt saluée à droite à gauche comme un pied de nez aux défenseurs des théories de la dégénérescence, citation que voici : « Ma pensée, en dépit de la vente plus grande que jamais du roman, est que le roman est un genre usé, éculé, qui a dit tout ce qu’il avait à dire. »
« Regardez, en fait le roman est mort de puis longtemps, nous n'avons donc pas de soucis à nous faire, nous n'avons pas d'effort à produire pour le ressusciter et/ou le révolutionner », semble-t-on alors entendre. Mais n'y aurait-il pas un léger soucis vis à vis de l'Histoire Littéraire lorsque l'on cite un Goncourt ? Pourquoi, me direz-vous, mais parce que ce sont les frères Goncourt eux-même qui, dans la seconde moitié du dix-neuvième ont amorcé la rupture naturaliste, n'est-ce pas ? Un genre usé, éculé, qui a dit tout ce qu'il avait à dire... jusqu'à ce qu'on le renouvelle, jusqu'à ce qu'on le dépasse ! Quel exemple de pauvreté intellectuelle pour de soit-disant auteurs de littérature que de se retrancher derrière ce discours alors même que l'on n'est visiblement pas capable de le contextualiser, d'en saisir la portée : si le roman stagne, il ne reste plus qu'à le révolutionner, à le moderniser. Au contraire, on brandit ici les Goncourt en justifiant la stagnation actuelle et c'est ce qui choque le plus ma petite sensibilité : le problème du Roman français n'est pas qu'il soit vide, c'est que personne n'essaie de le « remplir », de le renouveler (personne de visible, en tous cas, mais j'y reviendrai).
Par ailleurs, si le Roman français se porte bien, j'aimerais que l'on m'explique pourquoi il s'exporte si mal et, surtout, pourquoi les auteurs ovationnés en France ne connaissent pas ou peu de succès hors de nos frontières quand les « raconteurs d'histoire » (sic), eux, trouvent leur public (cf. cet article du magasine Lire, datant de 1996, c'est un peux vieux, certes, mais je n'ai pas trouvé d'équivalent pour les années 2000). De la même façon, si le Roman français se porte bien, expliquez-moi, également, pourquoi il n'y a pas eu de prix Nobel de littérature français depuis plus de vingt-ans (Claude Simon, 1985) et pourquoi il n'y en a eu « que »trois (dont un refusé par Sartre) depuis 1960...

En fait, il n'y qu'un seul élément développé dans cet article avec lequel je sois à peu près d'accord, c'est René de Ceccatty qui le dit : « C’est vrai qu’il y a sans doute en France peu de grands romanciers, de raconteurs d’histoires, mais cela n’empêche pas qu’il y ait de très grands auteurs. » Et nous sommes là, selon moi, au coeur du coeur du problème. Des auteurs, actuellement, il y en a, mais qu'ont-ils à dire ? Comment est-il possible que, récemment (2005) le fameux prix Goncourt récompense un auteur qui utilise le matériau Roman comme espace de remplissage afin de combler sa propre incapacité à manier

le principe même de fiction (François Weyergans, Trois jours chez ma mère) ? Comment se fait-il que le Roman français se contente (parce qu'il s'agit bien de ne pas faire l'effort, pour le coup) d'auteurs qui ne savent produire que des auto-fictions en masse ? Et surtout, surtout, comment se fait-il que la paysage romanesque actuel ne présente aucun romancier moderne et visible ? Quels sont les équivalents français ou francophones des Brett Easton Ellis, Rodrigo Fresan, Gabriel Garcia Marquez, Gao Xingjian ou encore Chuck Palahniuk ?
A cela, certains répondent bien volontiers quelques noms, comme par exemple Houellebecq, Angot ou Nothomb... Mais lequel de ces trois-là (et de tous les autres soit disant grands noms de ce début de siècle) expérimente quoi que ce soit ? Lequel de ces trois-là fait progresser le genre romanesque ? Lequel de ces trois-là n'échoue pas dans sa tentative d'être en accord avec la modernité de son temps ? Lequel de ces trois-là, et de tous les autres, ont écrit un roman aussi moderne que La place de l'étoile (1968 !), exemple pris plus ou moins au hasard dans les derniers « gros » romans français ? Je vous laisse méditer...
D'autres me citeront le dernier Goncourt (c'est le cas de Nathalie Crom dans son article, qui brandit les 700 000 ventes des Bienveillantes comme une victoire automatique sur la soit-disante morosité décriée par Todorov) comme preuve de la capacité française à raconter. Mais le problème n'est pas là. Le problème est de savoir comment réinventer la fiction romanesque, comment créer la fiction du vingt et unième siècle. Est-ce en revenant sur un événement marquant du vingtième et en utilisant une esthétique du dix-neuvième (la question nazie traitée par le prisme du roman de type réaliste) ? Je n'ai personnellement pas (encore) lu ce fameux roman de Jonathan Littell (et on ne m'en tiendra pas rigueur) mais est-ce si difficile à comprendre, ce besoin, cette nécessité de progrès, de renouvellement ?
La littérature française actuelle est à la fois suffisante et étouffée. Elle semble incapable de se remettre en question, de se détacher de son propre objet d'étude (l'auteur ou la littérature elle-même), tout comme elle semble incapable de se détacher du lourd héritage des Rousseau, Chateaubriand ou Proust (la littérature du moi, en somme) alors que chacun d'entre eux sont parvenus à leur façon à opérer une réinvention littéraire ; alors que, pour prendre en comparaison la littérature anglo-americaine, qui sert souvent d'élément de comparaison, les auteurs anglophones, eux, sont parvenus à dépasser l'héritage des James Joyce et autre Virginia Woolf. Là où la fiction anglophone (pour ne citer qu'elle) parvient à dynamiter les carcans du passé, la fiction française stagne, étranglée par des « têtes de gondoles » qui peuvent certes être de bons auteurs mais qui restent figés dans un vingtième siècle déjà révolu depuis presque une décennie.
Au final, la « nouvelle littérature française » fait de la littérature franco-française et non de la Littérature, tout comme la « nouvelle scène française » fait de la chanson française, et non de la Musique. Certains pourraient être tenté d'appeler ça « l'exception culturelle française », moi je serais tenté de l'appeler un manque flagrant de curiosité et d'ambition artistique.
Ce billet est un peu trop véhément, le trait est (volontairement) forcé, je le concède volontiers, mais il se propose plus comme une réaction aux discours comme celui de Nathalie Crom (qui n'est pas la seule à les tenir, bien entendu, je n'ai par ailleurs rien contre cette journaliste que je ne connaissais pas avant jeudi dernier). Non, la littérature française en général et la fiction romanesque en particulier ne se portent pas bien actuellement. Mais non, le roman français n'est pas pour autant « en péril », puisqu'il « suffit » de le relancer, de le renouveler, de le porter dans la modernité. Reste simplement à trouver qui opérera cette rupture et quand, mais ça, c'est un autre débat.
Au passage, et en guise de conclusion, je vous conterai cette petite anecdote que j'ai vue en tant que téléspectateur, pas plus tard que ce matin. Il s'agissait de l'émission « I matin week end » sur I TV et il s'agissait d'une chroniqueuse littéraire (dont je ne connais pas le nom), qui rebondissait, justement, sur cette affaire de « Roman d'une polémique » et qui concluait sur un « le roman français se porte très bien » très énergique avant d'enchaîner sur son « roman de la semaine » qui était, je vous le donne en mille, un roman étranger... De la même façon, dans le numéro 2976, les deux critiques complètes de roman présentées par Télérama sont des critiques de romans étrangers...