Bref, tout ça pour dire que pour ce genre d'opération, ma position est la suivante : yeux plissés, visage collé à cinq centimètre de l'écran, la main droite qui recouvre la souris, la gauche qui appuis sur le côté afin de la caler (mais le pouce et l'index prêt à bondir sur la combinaison Ctrl + Z, combinaison du retour en arrière, en cas de bévue éventuelle et probable), le dos courbé vers l'avant, le tout contracté vers un seul point de mire : ce fameux pixel que je m'efforce de traquer, d'attaquer, d'éradiquer. Et c'est là que la fascination et l'hypnose interviennent. Quand je me lance dans ce genre d'opération, quelque chose se passe. Plus exactement, quelque chose m'aspire. Comme si tout ce qui me constituait se retrouvait dilué tout contre la surface de l'écran, au milieu des pixels, l'esprit trop concentré sur ces petites irrégularités, sur ces espaces à dégager, sur ces étendues de blanc ou de couleur, selon que mon pinceau a traversé, ou non, mon champ de vision. C'est à ce moment là que je m'oublie, que je m'oublie littéralement, dans et contre ces étendues de couleurs numériques. C'est à ce moment là que je perds la notion du temps (il m'est arrivé de passer des heures là dessus, que ce soit sur la retouche d'image ou sur les codes HTML en pagaille), que je n'existe plus ou presque, que j'oublie d'exister, puisque tout ce qui importe, c'est juste l'affichage ou non de ces quelques pixels de couleurs éparpillés.
De l'autre côté, l'écriture ; rien à voir. Rigoureusement. Mais en comparant ces deux activités, je me dis que peut être, sûrement, même, j'aimerais que l'écriture me procure ce genre de sensation. Cet oubli permanent, cette impression de n'exister que pour un seul et unique détail. Au lieu de ressentir cette espèce de lutte permanente, de contact rugueux, difficile, qu'il faut forcer, toujours, parce qu'on ne peut jamais (je ne peux jamais) s'abandonner pleinement dans les mots. Trop difficile, trop de résistance et pas assez, justement, pour en revenir au début de mon billet, d'hypnotisme.
Parce que les pixels et les bouts de codes sont débarrassés de toute problématique du sens ?
Parce qu'il s'agit avec les mots de constamment se retenir ? Parce qu'il est question d'agir contre soi-même ?
Ou parce que personne ne s'intéresse réellement aux graphismes des sites internet ?
Sincèrement, je n'en ai aucune idée, ce qui ne m'empêchera ni de me fondre dans ces décors de pixels persistants, ni d'agir et de réagir contre les mots, contre mon propre langage.
PS : Il est tard quand j'écris ces lignes [note : ce billet a en fait été écrit il y a quelques jours], et coller mon visage contre l'écran pour y traquer les pixels n'y change rien. J'y reviendrai, cela dit.