Les lunettes de John Lennon

Par Apollinee

 

" Derrière le verre, le monde change. Comment est-il réellement? Est-il doux et léger comme à travers l'oeil du myope ou dur et tranchant comme le prétendent ses lunettes? Le monde a-t-il la fadeur des yeux de Julius ou la chaleur crémeuse des lunettes de John?"

La réponse git dans une boîte de chicorée Pacha. Celle que possède Julius Etambar, poireau notoire, (anti-)héros, diantrement attachant, du nouveau roman d'Armel Job.

Gage de l'amour que lui porte son père - et... du remboursement d'une dette - les lunettes du célèbre Beatle changeront la vie de Julius, la teneur de ses sentiments . Voyageant de mains en mains, si ce n'est nez, la précieuse artillerie optique illuminera le destin de ses détenteurs: Renata, sa soeur "pas comme les autres", Charlotte qu'il aime, laquelle  aime Jean-François Loiseau qui, de mauvaise augure,  est pris dans l'embrouille d'une sordide affaire de vin frelaté. Les situations, les quiproquos se suivent et s'enchaînent avec brio sous la plume d'un Armel Job en grande forme.

Les lunettes de John Lennon, il suffit de les nettoyer avec "un papier spécial, imbibé d'alcool, du Job, le meilleur" Et vous aurez ainsi la clef de ce petit bijou d'écriture: alerte, loufoque, cocasse, attachant, vif, désopilant...Des lunettes que je vous invite à chausser à la suite ...de John et dans la clandestinité de vos ados..à qui ce roman -croyais-je, au nom d'un clivage primaire - est destiné.

Apolline Elter

Les lunettes de John Lennon, Armel Job, Ed. Mijade, octobre 2010, 286 pp, 9 €

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AE: Armel Job, un des secrets - je crois - de votre écriture, c'est cette tendresse amusée avec laquelle vous considérez vos personnages, leurs petites grandeurs d'âme et lâchetés à la fois. Ne nous le cachez pas: vous avez dû avoir un plaisir fou à écrire ce livre, rire vous-même des quiproquos où vous vous êtes laissé entraîner?

Armel Job: Un roman est une entreprise de décapage. Il faut gratter la surface. J’essaie simplement de dérocher mes personnages, les faibles (ceux que j’appelle les poireaux, ceux qui restent à la marge pour toutes sortes de raisons) comme les forts (ceux qu’on admire, ceux qui semblent toujours réussir). Quand on reste en surface, on a vite fait de juger, cataloguer, classer. Avec le roman, cela devient nettement plus compliqué. Sous l’épiderme des gens, celui des poireaux comme celui des forts, on découvre qu’il y a un autre tissu, auquel je donnerais volontiers le nom de tissu de contradictions.

 AE: L'action du roman se situe dans le milieu des années '80. Julius retrouve sur sa route un ancien condisciple, responsable indirect de son renvoi d'un collège jésuite. Vouliez-vous rapprocher l'histoire de la date d'assassinat du chanteur ou la situer quelque peu hors du temps à la mode d'un "Toto le héros"?

Armel Job: C’est très risqué d’écrire un roman sur aujourd’hui. Rien ne se démode plus vite qu’aujourd’hui. En revanche, le passé ne saurait se démoder. Je joue la sécurité. Je place les événements à distance en laissant tomber tout ce qui n’a été que l’affaire d’un moment. 

AE: Ces lunettes, toutes rondes, c'est une façon d'arrondir les angles,  de nous convier à observer les savoureuses imperfections de vos héros par le prisme d'une sympathie goguenarde?

Armel Job: Lennon portait des lunettes psychédéliques qui teintaient le monde. Le roman, ce sont les lunettes de l’auteur. C’est comme ça qu’il voit le monde. Vous chaussez les lunettes de l’auteur. Au début, ce que vous voyez peut paraître bizarre. Mais, c’est connu, l’œil s’adapte aux verres. Pour finir, vous avez deux mondes, le vôtre, l’ancien, l’habituel, et puis le nouveau. Deux c’est mieux qu’un.

AE: Les lunettes de John Lennon, c'est avant tout une histoire d'amitié?

Armel Job: C’est notamment une histoire d’amitié. L’amitié est un des plus vieux ressorts de la littérature. Elle est déjà au cœur de l’épopée de Gilgamesh, 2500 ans avant notre ère. L’homme, particulièrement quand il est faible ou ridicule aux yeux des femmes, n’a d’autre baume que celui de l’amitié. Voyez Don Quichotte et Sancho. S’il y a moins d’amis dans la littérature d’aujourd’hui, c’est parce que tous les hommes sont devenus beaux et intelligents. Ils n’ont plus besoin de cela.