Dérèglement raisonné...

Publié le 20 octobre 2010 par Cborhen

Je te vois, tu es là, un quai de gare, les quais de gare sont les plus belles cathédrales du monde ai-je lu quelque part, les plus tristes aussi (retour), les plus atroces parfois (anéantissement des étoilés), désert surpeuplé, ici tout est sec et technique, planifié, bruit, fureur, horaires, commerce, travail, touristes, je jette mon maigre bagage à terre, légèreté je chéris ton nom, nous nous réfugions l'un dans l'autre, fusées, missiles, rampes de lancement, s'envoyer en l'air, simultanéité de l'extase et de l'orgasme, voilà l'objectif, à nous la paradisiaque virée, le contrat pour l'éternité, les divines (et satanées) clauses léonines, l'humaine parousie, nous sommes pris dans les plis, dans les replis, langes carbonisés, draps pas encore froissés, décor, dialogues, film (tiré d'un fait réel, comme ils disent), plus tard musique savante, opéra fabuleux, nous funambulons (verbe à inventer) sur la diagonale des sages, et celle des fous, nous sommes des fous, toi la reine et moi le roi, nous sommes des êtres de cristal, des statues de sable, des roseaux de chair et de sang, nous sommes des revenants, des revenus, on a survécu, broyée la broyeuse ! fauchée la faucheuse ! nous sommes en feu, les pyromanes de nos propres jours sans nuit, nous vomissons les pompiers, nous sommes frappés, faibles, faibles et forts (« C'est lorsque je suis faible que je suis fort », écrit Saint Paul), jamais nous ne frapperons les fous, nous leur sommes redevables (et reconnaissants) de nous avoir enfantés dans le fumier de la vérité (crèche), nous sommes très raisonnables, « dérèglement raisonné de tous les sens » (Rimbaud), nous sommes les rejetés de leurs greffes, les infiltrés du système nerveux, les ennemis du pire, les adversaires de la dépression, nous sommes des combattants éclairés, des conquérants du temps retrouvé (donc pas une minute à perdre), nous sommes des juges d'appel, des huissiers très drôles, des avocats du plaisir, rien à branler des parties civiles, nous n'adhérons qu'aux parties, parties fines, partir-revenir, aller-retour, et nous baisons même sur le parquet (ciré), regards, mains, baisers, yeux humides, joues mouillées, quand on arrive en ville, nous marchons dans la ville, secrets, souterrains, rues, places publiques, tes talons hauts, ton pantalon serré, pudeur (l'ennemie jurée de la pudibonderie, comme chacun (ne) sait (pas)), provocation, bijoux, parfums, lumières, vitrines, et puis lèvres, ici, maintenant, nos langues, encore, et encore, et encore, notre langue commune, première langue, langue vivante, tu m'aspires, tu m'inspires, muse, ma muse, m'amuser, les escaliers, tes escarpins, ton espace, ton Toi, ton toit, ton chez toi, mon moi dans toi, tes confidences, tes douceurs, divan, coussins, on s'assied, champagne et fraises, bon anniversaire ma chatte, ouvre c'est pour toi, douche, savon, shampooing, bulles, mousse, flacons et coffrets, éponges et coton, café, cigarette...

Quand on repart en ville, marcher (on règle beaucoup de trucs quand on marche : progresser, synonyme de marcher), fuseaux horaires, réglages, quelle heure est-il, on a tout notre temps n'est-ce pas, le temps débarque, on le règle, brasserie, alcool (doses protectrices), ton rouge à lèvres, là, sur le verre, le type d'à côté qui te regarde, il se caressera cette nuit (c'est un homme de goût), nos yeux canailles, nos sourires complices, des éclairs qui traversent la salle enfumée, qui défoncent les vitres, qui explosent les codes, qui renouvellent la circulation, qui dénoncent la machination, la foutent en l'air, le sang nouveau est arrivé, sang frais, sang chaud, sang froid, donne-moi ta cervelle, foutons nos cul à l'air, et en l'air, changement d'air, la ville de nouveau, elle s'échappe dans le sens du fleuve, les grandes villes sont les nouveaux déserts de l'époque qui vont vers l'océan, retour de la folie, délires, vapeurs, mais quoi nous sommes raisonnables, pas d'angoisse Amour, « je tiens le système » (Rimbaud), le monde manque cruellement de prostituées raisonnables, en addiction d'additions que nous sommes, éloge de la sagesse, nous dansons, nous chantons, nous sautons, nous rions, feux d'artifice foireux, les flonflons du petit  bal, maudit, ta main sur mon pantalon, ma bite tendue vers l'infini de l'éternel retour du fini, ma main dans toi, le string nécessaire, ta mouillure, ton miel, tu es la reine des abeilles, ma bourdonnante de luxe, ma butinante de choix, je me lèche les doigts, le fleuve, le fleuve impassible, ton pas triomphant, la marche nupiale de nos particules électriques, marcher encore, les étoiles, la lune, ta lune, nous rentrons, pas feutrés, soie, velours, nous laissons les trains dans la fosse, tout est calme...  

Tu t'es endormie mon Amour, quelle fête ce fut, ton épaule veloutée, là, doucement... Je me lève sans faire de bruit. Sur la table du salon, un magazine. Café. Cigarette. Puis je feuillette leur poste d'aiguillage : la dérèglementation climatique, les offres du capitalisme, les affres de l'esclavage, les corruptions biologiques, les crises économiques, la marchandisation de la mort, la commercialisation des âmes...   Ce sera sans nous.


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