W. C. Morrow : Le singe, l'idiot et autres gens

Par Bruno Leclercq


Publicité parue dans le Cri de Paris du 7 juillet 1901.

On ne saurait imaginer une suite de contes plus dramatiques, plus fantastiques même, pourrait-on dire ; mais l'invraisemblable, tant est grande l'habileté de l'auteur, est présenté au point de faire la plus complète illusion et l'horreur tragique des situations est telle qu'on ne peut retenir de frissonner à la lecture de ces pages véritablement émouvantes.

Le Stylet, Devant une Bouteille d'Absinthe, le Prisonnier, un Irréductible Ennemi, un Sépulcre d'or, le Faiseur de Monstres, entre autres, suffissent " à donner véritablement la chair de poule ". Depuis les célèbres contes d'Edgar Poe, on n'a, dans ce genre, rien écrit d'intérêt aussi troublant que ce recueil de nouvelles de W. C. Morrow intitulé le Singe, l'Idiot et Autres Gens, admirablement traduit par George Elwall.

Un volume in-18 jésus

Article, non signé, paru dans le même numéro de la même revue :

" Le Singe, l'idiot et autres gens "

Le flegme, l'aplomb, la fantaisie énorme et sanglée de ces contes, leur tenue et leur extravagance, leur horreur roide, leur paradoxe scientifique, psychologique et continu, tout en fait le recueil des histoires les plus extraordinaires depuis Edgar Poe. Je défie M. Laberdesque (1) lui-même de ne pas avoir peur en feuilletant ces contes. Diaboliques et humains, d'un paroxysme étouffé, ils dépassent toute imagination : c'est du Wells sobre et écrit par feu M. Mérimée. Le traducteur heureux qu'est M. George Elwall nous apprend que le thaumaturge Morrow est journaliste à ses heures : il nous faudrait de tels journaliste à ses heures : il nous faudrait de tels journalistes pour les faits divers, ici : ils apprendraient le crime à leurs éventuels clients. Il faut venir chercher ici l'émotion, la terreur, le frisson de l'au delà et de la pitié aussi : il semble que Hoffmann, Barbey, Villiers et Tolstoï se soient laissé évoquer par l'effroyable interviewer qu'est M. Morrow - avec du style.

(Editions de la Revue Blanche.)

(1) Journaliste républicain d'Alger et escrimeur professionnel et accessoirement garde du corps, Etienne Laberdesque avait la réputation de n'avoir peur de personne. Victor Méric fait son portrait dans " A Travers la jungle politique et littéraire " : " Spadassin profesionnel, il avait attiré l'attention sur lui par un duel féroce avec Max Régis, maire antisémite d'Alger [...] Ce Laberdesque dont on craignait l'épée [...] " On trouvera d'autres informations sur Laberdesque dans Raphaël Viau : Vingt ans d'antisémitisme, 1889-1909. Fasquelle, Bibliothèque-Charpentier, 1910 (Chapitre 12 - pages 307 à 313)

Rachilde dans le Mercure de France est moins dithyrambique et généralise un peu vite sur la littérature américaine :

Le singe, l'idiot, et autres gens, par Morrow. Des nouvelles très curieuses où règne ce genre de terreur froide qui caractérise tous les écrivains américains et, malgré leur personnelle originalité, les rend tous un peu frères. Le faiseur de monstres est une des plus effrayantes de ces nouvelles.

Alfred Jarry, dans la Revue Blanche, souligne l'absolue nouveautés de ces nouvelles :

W. C. Morrow : Le singe, l'idiot et autres gens (éditions de la Revue Blanche).

Voici un volume où se réunissent le génie narratif de Kipling et le sens de l'horreur d'un Edgar Poe, quoique les récits de Morrow soient une chose si neuve, qu'il est inutile d'y chercher des comparaisons. On a lu dans cette revue Le Faiseur de monstres : on retrouvera, en plus émouvant, la même terreur obtenue par des procédés scientifiques, dans Le Stylet : l'extraordinaire docteur Entrefort recoud la lame dans l'aorte d'un homme poignardé, et quand le patient meurt, malade imaginaire, l'autopsie le prouve guérie par l'opération la plus folle. Poe n'a pas atteint au dramatique de cauchemar d'Un irréductible ennemi : Néranya, bras et jambes amputés au ras du tronc par ordre d'un rajah, et enfermé dans une cage de fer au haut d'une colonne, s'évade, Latude monstrueux, larve humaine, par un tour de force inouï et vient à bout de tuer son bourreau. A côté de ces histoires sanglantes s'épanouit l'infinie douceur et la sentimentalité inédite du Singe et de l'Idiot lâchés à travers le monde et redressant les torts de l'homme, Dons Quichottes imprévus.

Mais aucune critique ne donnera idée du livre de Morrow si on ne le lit, car on n'a encore rien écrit de pareil.

William Chambers Morrow (1854-1923) :

Le Singe, l'idiot et autres gens. Préface de Eric Dussert. Réédition Phébus, 2004.