La levée de l'anonymat est une erreur

Publié le 25 octobre 2010 par Nouvellesdelhopital
La levée ou non de l'anonymat du don de sperme continue à faire débat même si nous avons vu que Roselyne Bachelot se prononçait contre. Une conséquence pourrait être un frein au don de gamètes. Voici un point de vue qui enfonce le clou contre cette éventualité.
Le projet de loi de bioéthique défendu par la ministre de la santé prévoit une levée possible de l'anonymat du don de gamètes, et cette mesure pourrait même être rétroactive.
Quand j'en lis le commentaire dans Le Monde du 6 octobre, je me demande pourquoi les intervenants soutiennent ces positions-là. D'autant que le rapporteur de la mission parlementaire des lois de bioéthique concluait au contraire, à la suite de ses travaux, au maintien de l'anonymat du don de gamètes.
Les états généraux de la bioéthique, voulus par le président de la République, "pour que les Français puissent faire connaître leur avis sur des sujets qui engagent les conditions humaines et les valeurs essentielles sur lesquelles est bâtie notre société" n'ont pas jugé utile de préconiser la levée de l'anonymat. Ces Consultations démocratiques ne semblent pas avoir touché ni convaincu la ministre. On peut aussi , se demander pourquoi.
Serait-ce que le projet de loi veut répondre à la souffrance singulière exprimée par quelques individus dont on peut repérer qu'ils ont appris soit très tard, soit très mal comment ils ont été conçus, et qui croient que connaître l'identité des donneurs leur permettra de répondre à leurs questions existentielles et résoudra tous leurs problèmes ?… C'est là un leurre.
De fait, le donneur n'a pas cherché à leur donner naissance à eux en particulier. Il a donné son sperme au Centre d'études et de conservation des œufs et du sperme (Cecos) pour qu'un couple – qu'il ne connait pas et qu'il ne connaitra pas – désireux d'avoir des enfants et n'ayant pas de gamètes puisse en recevoir. C'est le désir des parents qui va donner la vie à un enfant. Le don est destiné à un anonyme, un étranger universel. C'est presque un don à la société. Et c'est un couple qui singularisera ce don pour en faire cet enfant-là.
On lit que des enfants nés grâce à un don voudraient pouvoir dire "merci à leur donneur". Que ne disent-ils disent merci à tous les donneurs et à tous les Cecos, car c'est toute une institution, tout un fonctionnement qui a permis leur naissance ? Le projet de loi actuellement en discussion semble chercher à ce qu' "enfin" triomphe la vérité, la transparence.
UN CADRE QUI RASSURE
Or, justement, l'exemple de la Suède cité par Le Monde temoigne d'effets contraires. Depuis la levée de l'anonymat en 1984, pas une seule demande d'identité du donneur n'a été présentée. Mais les médecins eux-mêmes constatent que les parents, du coup, ne disent plus rien de la conception à leurs enfants. Souvent, même, les couples vont dans d'autres pays où l'anonymat reste la règle.
Ainsi, en levant l'anonymat pour avoir de la transparence, on produit de l'opacité. Plus rien ne sera dit. C'est en fait l'anonymat du donneur qui permet de ne pas tenir secret le mode de conception car il impose un cadre qui rassure les parents. On ne peut pas aller au-delà.
Nous nous abstiendrons de rappeler les dégâts que produit ailleurs le fantasme de transparence quand on veut à tout prix le passer à l'acte dans le champ des relations personnelles, familiales, sociales, etc.
Si on lève l'anonymat, les parents ne parleront pas pour ne pas risquer l'irruption d'un tiers, le donneur, dans un espace familial déjà complexe. Quant aux donneurs, contrairement à ce que présuppose le projet de loi, ils demandent à être bien certains que l'anonymat sera respecté. Ils veulent aider des couples à devenir parents comme eux, qui ont eu ce bonheur, cette chance ; mais en aucun cas, ils ne souhaitent partager un lien avec cette nouvelle famille, ils ont la leur. On dirait que ce qui motive le projet de loi, c'est un refus de laisser la transmission symbolique l'emporter ; le besoin "réaliste" de voir le donneur bien présent, à portée de main. Comme si son engagement humain qui veut contribuer au bonheur de l'autre en restant le plus léger possible ne comptait pas assez et serait jugé irresponsable.
Anonyme ne veut pas dire incognito : nous qui travaillons en AMP et dans les CECOS, nous recevons ces donneurs et nous entendons leur générosité, leur altruisme… Chacun d'eux a ses raisons de donner, qui lui appartiennent. Sans développer ici ces raisons, disons que le plus souvent ils ont été touchés par la souffrance d'un couple proche. Alors que les couples font tout un chemin pour inscrire dans une filiation symbolique les gamètes qu'ils reçoivent, faut-il faire régresser ce travail ou le perturber en convoquant sur scène le donneur de ces gamètes pour tout savoir enfin sur l'origine ? Soyons sérieux, on ne peut pas tout savoir, et l'origine n'est pas un gamète.
Autre motif possible de cet étrange projet de loi : il semble traiter les gamètes comme des quasi-embryons et ceux-ci comme de petits êtres humains dont il faut convoquer le "géniteur". C'est là une erreur totale, car l'embryon n'est un projet d'être humain que si le désir des parents l'institue comme tel. Autrement, il est un amas de cellules, de purs possibles. Et en l'occurrence, ce désir parental veut que le donneur reste à l'écart et ne s'immisce pas dans cette scène.
En outre, il semble que cette loi soit appelée à être rétroactive. Cela conduirait à une situation où l'on ne peut plus faire confiance aux institutions ; où les lois manquent à leur parole. Quid, en effet, de ceux qui ont donné leurs gamètes en se croyant protégés par la loi de l'anonymat ? Et quid des soignants – dont je suis – qui les ont reçus et ont donné leur parole ? Tous ces gens seraient donc bafoués parce que la loi s'avise soudain de changer pour s'ajuster à des considérations médiatiques ? En ne donnant la parole qu' aux tenants de la levée de l'anonymat les médias ont réussi à rendre inopérantes toutes les conclusions de travaux sur la bioéthique et les témoignages des cliniciens de terrain. Faut-il croire que dans notre société ceux qui crient le plus fort l'emportent sur ceux qui plus discrètement mènent un travail fécond ?
Charlotte Dudkiewicz, psychanalyste, psychologue clinicienne, Cecos de l'hôpital Tenon (Paris) Source : Lemonde.fr