Innover, c’est du bricolage

Publié le 27 octobre 2010 par Programme_cpi

“Innover c’est bricoler”… Cette affirmation d’apparence surprenante pour un univers teint de haute technicité, relate en fait de manière très fidèle le processus d’innovation et cela à plusieurs degrés.

En effet, le processus d’innovation, et en particulier l’innovation de rupture ou encore l’innovation radicale, est une aventure risquée qui s’attaque généralement à des domaines pas ou peu explorés, dont on ne peut supposer ni la pertinence sociale, technologique et encore moins économique. Mais il faut bien se lancer un jour ou l’autre et repousser les limites du possible et du faisable. Et c’est en cela que l’innovation peut être considérée comme du bricolage ou encore du braconnage au sens de Michel de Certeau.

Pour de Certeau, la lecture est envisagée comme un braconnage au travers duquel le lecteur recompose le texte d’un auteur avec ses propres références culturelles. Dans cette optique, “les usages sont appréhendés comme des pratiques inventives et créatives qui participent de «l’invention du quotidien »”. Il s’agit alors d’une «poïétique» (en grec poïen qui signifie créer) invisible, rusée et silencieuse. Cette activité créatrice quotidienne, de Certeau la qualifie de braconnage. En somme, la stratégie du braconneur se résume à un détournement de l’acte de propriété. Ceci ne manque pas de nous rappeler les travaux rendus célèbres de Kim et Maubeuge. Ces derniers insistent sur le fait que nombre de stratégies gagnantes ont eu pour orientation principale de “chasser” sur de nouvelles terres (les océans bleus), laissant les terrains de chasse conventionnels (les océans rouges) aux concurrents qui n’ont pas su réinventer leurs relations à l’environnement.

Mais le bricolage, et par là-même l’innovation, ne se résume pas à ce détournement sémantique de l’acte de propriété. Le bricolage, comme l’expose si bien Lévi-Strauss, éclaire aussi la dimension praxéologique du processus d’innovation.

Pour Lévi-Strauss « le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son enjeu est de toujours s’arranger avec les “moyens du bord”, c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures ».

Le bricoleurlevistraussien (et on reconnaît en lui nombre de bricoleurs du dimanche !) poursuit cette stratégie d’accumulation de moyens et de ressources sans qu’il y ait un but précis et clairement défini, mais avec l’espoir vivace que ce stock puisse servir un jour.

Il est ainsi redoutable d’efficacité…. peut être pas d’efficience, mais il laissera cela volontiers à l’ingénieur. Peu importe la forme, l’essentiel est que ça marche! Le bricoleur levistraussien sait saisir les opportunités et y répondre avec célérité. Il est à la fois un créateur de concepts et un excellent manager des ressources et des technologies qui forment son capital.

Cette approche du bricolage à travers les travaux de Michel de Certeau et Claude Levi Strauss montre bien que les caractéristiques du braconneur, de par sa capacité à dépasser les cadres établis, et celles du bricoleur, de par son habilité et sa dextérité, nous renseignent sur les compétences nécessaires pour innover avec justesse et pertinence. On ne saurait alors trop conseiller aux différentes organisations (centres de R&D, ateliers d’innovation,…) de favoriser du mieux qu’elles peuvent, les attitudes de bricolage en leur sein.

Nassef Hmimda


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