Capitalisme et liberté

Publié le 28 octobre 2010 par Copeau @Contrepoints

Les idées de Milton Friedman connaissent en France le curieux paradoxe d’être rejetées par tous, sans que personne ne les connaisse vraiment, comme écrit dans un article paru sur Contrepoints l’année dernière. Grâce à la réédition de Capitalisme et Liberté aux éditions Leduc.s [1], c’est peut-être une anomalie qui va enfin changer.

En effet, Milton Friedman n’est aujourd’hui connu du grand public qu’à travers les réformes d’inspiration libérale menées au Chili par des économistes qu’il inspira. Et l’extrême gauche d’immédiatement le cataloguer comme soutien de la dictature, fasciste ou autres anathèmes classiques. Pourtant, son apport économique comme sa pensée étaient d’une grande richesse, ce qui lui valut de nombreuses récompenses et un prestige mondial. Parmi tous ses écrits, Capitalisme et Liberté est l’une des plus belles pierres de l’édifice monumental que constitue l’apport de Milton Friedman à la pensée, et une réponse par avance aux critiques courantes qu’on lui adresse par ignorance.

Liberté économique et politique

Dans cet ouvrage à destination du grand public et vendu à plus d’un million d’exemplaires à travers le monde, Friedman revient sur les principaux points autour desquels tourne la question de l’action publique : monnaie, éducation, concurrence, réglementation, politique sociale, discrimination positive, etc. A travers tous ces cas, Milton Friedman dévoile les fondements de ses convictions et la philosophie sociale d’un auteur que l’on taxe à tort d’utilitarisme et qui ne verrait que le pendant économique de la liberté. Au contraire, ce que montre ce livre, c’est une pensée d’ensemble de la société, de la démocratie, de la liberté.

La liberté économique est essentielle, certes parce que c’est un élément de toute liberté, mais aussi parce que sans elle, aucune liberté politique ne peut exister. Thèses que toutes les révolutions socialistes ont confirmé : l’anéantissement de la liberté économique a conduit inmanquablement à la disparition de toute liberté. A l’inverse, la liberté économique est une condition qui rend possible la liberté, comme l’illustra justement la transition chilienne vers la démocratie. L’économie n’est donc pas tout pour Friedman, et ne vaut pour une bonne part qu’en tant que condition nécessaire (et insuffisante) de la liberté, cette « plante rare et délicate » qu’il faut chérir et protéger. Et sa défense du capitalisme est tout sauf aveugle, Friedman écrivant par exemple dans le livre : « L’histoire suggère uniquement que le capitalisme est une condition nécessaire à la liberté politique. Clairement ce n’est pas une condition suffisante ».

Pour garantir solidement la liberté dans tous ses aspects, il faut limiter le pouvoir et le décentraliser. Le centraliser, en particulier dans les mains d’un pouvoir planificateur, n’a jamais apporté rien de bon mais a uniformisé ce que le marché diversifiait. La supériorité pratique d’un régime de libre entreprise souligne que ce n’est donc pas son éventuelle inefficacité que l’on reproche au marché, mais plutôt de ne pas donner les résultats que certains, s’estimant au dessus de la masse, voudraient qu’ils soient. Comme l’écrit Friedman : « Ce qui se cache derrière la plupart des arguments contre le marché libre, c’est le manque de foi dans la liberté elle-même ».

Un rôle limité pour l’Etat…

Si la liberté est plus efficace que la contrainte, cela ne veut pas dire que l’on puisse se passer de l’Etat selon l’auteur[2]. Il faut lui reconnaître l’exercice de certaines fonctions, limitées mais existantes. Pour Friedman, l’Etat dans une société libérale doit garantir le respect de la loi, du droit et de la propriété privée. Il doit également agir contre certains monopoles.

Mais il doit également jouer un rôle de financement de l’éducation. Cependant, qui dit financement ne dit pas prestation directe, bien au contraire : Friedman, le pionner du chèque-éducation, défend dans l’ouvrage ces fameux school vouchers. Il considère, comme Hayek, qu’une éducation de base est nécessaire pour tous et que, à défaut d’une autre solution satisfaisante, le financement public par un système de chèque-éducation qui suit l’élève et non l’établissement est la moins mauvaise solution pour y arriver. En effet, elle garantit efficacement la liberté de choix des parents.

De même, si le recours contre la pauvreté le plus désirable est la charité privée, Friedman admet l’intervention publique sous une forme nouvelle et pragmatique, celle de l’impôt négatif [3]. Tout le monde recevrait un montant fixe chaque année, qui viendrait baisser l’impôt (impôt négatif) à acquitter pour les contribuables. Couplé avec un système de flat tax (impôt à taux unique), il permettrait de supprimer le maquis d’aides et de subventions et de réduire le coût de l’aide sociale tout en aidant ceux qui en ont besoin de façon plus efficace.

… mais aussi un critique de l’intervention étatique actuelle

Mais Milton Friedman ne laisse pas beaucoup plus de rôle à l’Etat et s’en montre un critique féroce :

Friedman le monétariste rappelle les errements du contrôle étatique de la monnaie par le Federal Reserve Act et les graves dangers qu’il y a à laisser les hommes de l’Etat contrôler la monnaie. En particulier, il souligne ce pour quoi il est particulièrement connu, le rôle de la Fed dans la crise de 1929 et, plus largement, dans toute l’histoire monétaire des Etats-Unis. Sans l’action de la banque centrale, les récessions n’auraient pas dégénéré en catastrophes. Ce qui a précipité le krach boursier de 1929, c’est la relative rareté imposée par les banquiers centraux.

Pour autant, Milton Friedman n’est pas partisan de l’étalon-or ou de tout autre étalon-marchandise, profondément imparfait. Il propose plutôt qu’elle ait un objectif d’augmentation de la masse monétaire de 3 à 5% par an, que les politiciens ne puissent impacter.

Friedman « l’anti-Keynes », attaque également avec justesses les lacunes de la théorie keynésiennes et souligne les méfaits qu’elle entraine : Friedman se positionne franchement contre la hausse des dépenses publiques et souligne combien elles rendent instable l’économie. L’approche du multiplicateur keynésien, selon laquelle la hausse des dépenses de l’Etat est bonne pour l’économie, est fausse et dangereuse.

C’est aussi le critique des politiques de changes fixes, du protectionnisme et autres avatars de l’étatisme, comme le lecteur pourra le constater dans les chapitres concernés, tous accessibles au néophyte.

Friedman, provocateur

A ces propositions relativement connues s’ajoutent enfin des idées provocatrices, qui vont à rebours des lieux communs et stimulent le débat. Ainsi, tout en s’opposant au racisme et à ses avatars, il critique vertement les politiques antidiscrimination. Le capitalisme est le meilleur système pour éviter la discrimination car il est trop coûteux pour un employeur, un consommateur, etc, de se passer des produits ou des compétences des personnes qu’ils voudraient discriminer. La nature impersonnelle des relations commerciales renforce cette difficulté. Les lois discriminantes ne font elles que répondre à des demandes de clientèle et renforcer les présupposés. Des idées qui, Damien Theillier le rappellait à propos de Rand Paul, restent aujourd’hui politiquement incorrectes.

De même, Friedman met à mal nos préjugés en menant un combat contre la réglementation de certaines professions, en particulier médicales. Il argue en particulier du fait que les principaux tenants d’une telle position sont les acteurs déjà implantés qui ainsi réduisent la concurrence. Comme le résume Corentin de Salle, les professions réglementées « témoigne aussi de la pression des groupes de producteurs faisant triompher leurs intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général des consommateurs ». Dans ce secteur comme dans tout autre, le « coût social » de la réglementation est très important. Il faut donc évaluer la réglementation en prenant ses avantages et également ses inconvénients. En particulier, Friedman s’oppose à la règlementation qui interdit l’exercice du métier de médecin et plaide plutôt pour une simple certification, qui reconnaisse la qualification de ceux qui l’ont, tout en laissant tout un chacun choisir s’il veut aller voir plutôt quelqu’un qui ne soit pas certifié. Là encore, des idées qui vont à rebours des lieux communs.

Conclusion

Ainsi, on retrouve dans ce texte de Milton Friedman des convictions profondes, en faveur de la liberté sous toutes ses formes, et non le suppôt du diable que Naomi Klein et autres gauchistes se plaisent à décrire pour plus facilement le critiquer. Loin d’être un fanatique aveugle, Friedman cherche à concilier la défense de la liberté et le pragmatisme, pour proposer des solutions nouvelles, adoptées au monde de 1962 et d’aujourd’hui. Grâce à cela, le livre n’a pas pris une ride !

Notons enfin que les éditions Leduc.s ont eu la bonne idée de traduire toutes les préfaces ultérieures de Milton Friedman, celle de 1962, 1982 et 2002, des compléments qui permettent de saisir l’évolution du contexte et la profondeur des convictions de l’auteur.

Pour acheter le livre en ligne

Sur Contrepoints :
N’oublions pas Milton Friedman
Le chèque scolaire

[1]La traduction utilisée est celle de Robert Laffont en 1971

[2]David Friedman, fils de Milton Friedman, ne partage pas les idées de son père en la matière, étant anarcho-capitaliste

[3]reprise par exemple par des partis comme Alternative Libérale