De l’économie sociale et solidaire – suite

Publié le 30 octobre 2010 par Rhubarbare

Ceci est la suite d’une réflexion sur l’ESS initiée dans ce billet du 28 octobre. Examinons brièvement trois cas qui à mon avis questionnent la notion de périmètre de l’ESS.

Premier cas: les consortiums de coopératives opérant dans le champ social. Très développés en Italie, le principe des consortium est basé sur une loi italienne spécifique rendant accessible aux seules coopératives les contrats d’assistance sociale, d’animation socio-culturelle ou encore d’entretien d’espaces publics. Contrats proposés, sur appels d’offre, par l’Etat et les collectivités. Cette sous-traitance a généré un très important marché, et naturellement une forte concurrence. Pour faire face, les coopératives ont tendance à se constituer en consortiums regroupant d’une poignée à plus de mille coopératives, avec des chiffres d’affaires de plusieurs dizaines de millions d’euros. C’est alors le consortium qui arbitre entre les différentes propositions au sein de ses membres, développe une image de marque commune, et propose un certain nombre de services administratifs, financiers, RH et marketing.  C’est donc un exemple de développement ESS stricto-sensu, néanmoins fortement conditionné par les finances des collectivités et tenu à des normes de rentabilité financière tout à fait classiques. De plus, même si l’externalisation des services sociaux n’est pas un phénomène récent en Italie, l’existence de ce domaine de l’ESS reste fortement conditionné par la loi. Sans elle, la concurrence du privé classique aurait un impact important. L’exemple italien est-il un exemple à suivre?

Second cas: l’entreprenariat social, représenté notamment par le Mouves qui se définit comme “un mouvement de personnes qui se retrouvent sur des valeurs, des pratiques et la volonté de construire une économie humaine qui réponde efficacement aux besoins de la société : emploi, santé, éducation, dépendance, logement, alimentation, etc. ”. Cette approche ne rentre pas dans la définition de l’ESS du fait que ces structures restent de nature privée classique (auto-entrepreneurs, Sarl, SA, etc…) mais elle font bien plus en termes de réelle économie sociale et solidaire que de nombreuses entreprises labellisées ESS. Si le but de la démarche ESS est de tendre vers un système économique répondant aux critères proposés dans le billet précédant et notamment le point 2 (des entreprises organisées autour de la création de valeur humaine et sociale plutôt que financière ou institutionnelle), en quoi l’entreprenariat individuel ou structuré de manière classique, dont l’action serait évidemment à vocation solidaire et sociale, serait-il à exclure du périmètre de l’ESS?

Troisième cas: les activités associatives sociales, éducatives et culturelles. Le plus souvent financées en grande partie par des subsides de l’Etat et des collectivités, ces structures animent des territoires ou des quartiers et sont dans l’ensemble aujourd’hui fortement professionnalisées de fait de l’impossibilité pour des bénévoles d’assumer les tâches requises – par manque de temps, de compétence et, sans doute, de motivation. Ces associations font partie de la définition classique de l’ESS mais la baisse des subventions, ainsi que les modifications d’accès aux financements associatifs prévus dans la réforme des collectivités territoriales remet en question la survie de nombreuses associations dans les années à venir. On peut donc s’attendre à un phénomène de transfert d’activités rémunératrices vers des structures entièrement professionnelles plus appropriées telles des coopératives ou l’entreprenariat social. Et inversement, quelle place l’associatif non professionnel peut-il avoir dans le périmètre de l’ESS – et doit-il en avoir une si ses actions ne sont pas de nature économique?

Pour alimenter ce débat j’invite à lire l’article “Trois propositions pour une mutation économique et sociale” publié dans la Recma par Jean-François Draperi.

Au niveau institutionnel, une action d’envergure est en cours au sein des Régions (voirhttp://www.essenregion.org/index.php) pour le développement de l’ESS. Sur base des chiffres (je n’ai que ceux de 2006) publiés par le CNCRES “Panorama de l’économie sociale et solidaire” on se rend compte que l’effectif salarié ESS dépasse les 2 millions et représente près de 10% (dont 78% au sein des associations) de l’ensemble de l’emploi salarié français. En termes sectoriels, plus de la moitié des effectifs ESS se retrouvent dans le secteur “Education, santé et action sociale” – ce d’autant plus si on exclu du calcul le secteur relativement important (250 000 salariés) des activités financières et d’assurance dont le label ESS n’est que de la com.

L’éducation, la santé et l’action sociale sont évidemment des éléments importants d’une réelle économie sociale et solidaire, mais dépendent fortement de l’existence de pans entiers d’activités économiques qui sont actuellement fort peu représentés (hors finance et assurance) dans l’ESS. Une très forte dépendance des activités ESS sur une économie globale classique est-elle viable? A t’elle même un sens? Pire encore, le développement de l’ESS comme urgentiste et cache-misère gérant en bout de chaîne les dégâts du libéralisme sauvage (qui peut en plus se donner bonne conscience en finançant certaines activités ESS) n’est-il pas contre-productif par rapport à l’objectif d’une économie globalement sociale et solidaire?

Comment définir, alors, une réelle politique de développement économique social et solidaire? 

Billet en accès libre sur rhubarbe.net