Notre rencontre avec Grand Corps Malade

Publié le 01 novembre 2010 par Chroniquemusicale @chronikmusicale

A l’occasion de son nouvel album 3ème Temps, Grand Corps Malade a invité quelques blogueurs de la toile (dont Chronique Musicale) pour une rencontre en toute simplicité et convivialité.

L’occasion de déclamer quelques titres A L’Ecole De La Vie et Définitivement (en vidéo après le break), et de répondre assez longuement aux questions parfois inattendues, parfois maladroites, parfois indiscrètes de ces e-rédacteurs.

Interview que nous avons retranscrite ici.
(Un grand merci à Louis de Chakalaka d’avoir organisé ce rendez-vous)

Il y a des invités sur ce nouvel album?

Grand Corps Malade : Sur cet album, il y a 2 collaborations. Un duo avec quelqu’un d’assez connu puisque c’est quand même Charles Aznavour, donc quelqu’un de très connu. On avait parlé de faire ce duo il y a deux, trois ans déjà. Il m’avait demandé d’écrire le texte. C’est donc moi qui ai écrit le texte pour nos deux parties. Au delà de la fierté d’avoir le prestige, l’honneur de faire un duo avec Charles Aznavour, j’ai profité de ce duo pour faire un beau duo, que ce soit pas juste un duo d’image. J’ai essayé de raconter quelque chose dans ce texte. Ce texte s’appelle “tu es donc j’apprends”, c’est un peu la suite de “je pense donc je suis”. C’est un texte sur le dialogue, le partage. Je raconte au début que je suis assis sur un banc tout seul et qu’il y a un vieux monsieur qui s’approche, qui s’assoit à coté de moi, qui me regarde et qui me dit “quel dommage que les gens ne se parlent pas plus”. A partir de là, on rentre en dialogue. C’est un texte sur l’échange. On a tout à gagner et on finira un peu moins con si on s’ouvre un peu aux autres.

La deuxième (collaboration ndlr) est avec une chanteuse lyrique, beaucoup moins connue, mais avec une voix incroyable. Elle s’appelle Elise Oudin-Gilles. En fait j’ai déjà collaboré avec elle, ici même (au Réservoir, ndlr) lors des soirées “Ca peut chémar”. Ces soirées sont comme un petit cabaret urbain avec plein d’artistes, plein de cultures urbaines différentes. Il y a du beat box, du slam, du rap, de la vidéo, du théâtre d’impro, et au milieu de tout ça, il y a Elise qui vient amener une touche de douceur. C’est une chanteuse d’opéra, une soprane qui a une très belle voix. Sur cet album on a un duo qui s’appelle “l’Heure d’été”. Dans le refrain elle chante le classique “Summer Time”, c’est un standard de jazz qu’elle chante vraiment différemment plutôt lyrique. Pour moi j’ai écrit des couplets pour ramener au Summer Time, à L’Heure d’été qu’elle donne dans le refrain.

Ces collaborations ce sont une démarche de ta part?

Pour parler de choses concrètes. J’ai un producteur indépendant, ça laisse beaucoup de liberté pour faire tout ce qu’on veux. Et on est distribué par le label AZ. Du coup, la maison de disque ne met pas du tout son nez dans l’album avant qu’il soit prêt. Ca nous donne une grande liberté d’expression.
Une fois que l’album est terminé, on invite la maison de disque à venir l’écouter, mais ils n’ont pas trop leur mot à dire. D’ailleurs ils ne s’emmerdent pas et ca marche très bien comme ca.
Un album c’est un truc super personnel, c’est des textes un peu au feeling. C’est donc moi qui ai le plaisir de choisir avec qui je vais faire des textes.

L’éducation national est un sujet récurrent dans tes albums?

C’est un engagement de ta part?

Oui, c’est sûrement le morceau le plus, je ne sais pas comment on peut dire, “engagé”, “politique”. Car là je parle clairement de l’état, et je regrette leur politique budgétaire. Finalement je ne comprends pas pourquoi ils ne mettent pas plus de tunes dans l’éducation, alors que ça me parait la base de tout. Donc oui, c’est un texte politique.
Normalement je suis un mec un peu optimiste, mais je pense que si je le refais dans 10 ans, j’ai bien peur qu’il soit toujours d’actualité. A priori, ça ne va pas dans la bon sens.

A L’Ecole De La Vie

Tu es beaucoup dans les mots. Et les images, est-ce que tu en as en toi?

Je ne suis pas trop dans l’image. Par exemple quand on fait un clip, on met en image un texte, je suis nul, je suis très très nul à ça. J’ai la chance de bosser notamment avec Minos. Je ne sais pas si vous avez vu le clip de Roméo Kiffe Juliette, avec les danseurs, c’est lui qui a eu l’idée et qui a réalisé le clip. C’est lui qui réalise tous mes clips depuis un bon moment. Lui, il sait faire. Il a un regard extérieur sur mes textes. Il prend un peu de distance, et il voit comment on peut les mettre en images. Moi, vu que j’ai écrit le texte, je ferais souvent l’erreur de faire un clip très illustratif, où je raconterais par les images ce que je raconte déjà dans le texte. Ca sert à rien. Minos il sait faire ça, prendre un peu de distance sur le texte, pour lui donner une autre dimension.
Tous les mots que j’écris évidemment ça donne des images, n’importe quel slam, celui qui l’entend il se fait son clip à lui même. Mais après, moi, faire de l’image, je pense que je ne serais pas très bon.

A la fin du clip Roméo Kiffe Juliette, il y a une dédicace, je n’ai pas trouvé à qui cela s’adressait?

C’est un truc très perso, c’est une amie qui est décédée pendant la préparation de ce clip. On voulait lui rendre hommage. Ce n’est pas quelqu’un de connu.

Roméo Kiffe Juliette

Avant de monter sur scène, d’interpréter une chanson, as-tu toujours une boule serrée dans le ventre?

Oui, il y a toujours le trac. Après ça dépend des dates. En début de tournée le trac est très présent parce qu’on est pas encore bien rodé, les morceaux ne glissent pas encore tout seul. Mais, même en fin de tournée, tu as toujours la petite pression, la montée d’adrénaline, parce que tu as envie de bien faire, qu’il y a des gens qui ont payé leur place qui sont dans la salle et que tu as envie de leur laisser le meilleur souvenir possible. A partir du moment où t’as envie de bien faire, tu as le trac, je pense. Le mec qui n’a pas du tout le trac, c’est qu’il sent fou.

Comment définis-tu le slam?

C’est une poésie à l’oral.
Le slam, il y a eu 1000 tentatives de définition, poésie moderne, poésie urbaine, tout ça j’aime pas trop. Avant tout c’est un moment de rencontre, et c’est une rencontre de poésie à l’oral. C’est comme ça que je la définirais.

Il y a quelques principes dans le slam. C’est
1- les textes sont à capella, il ne faut pas l’oublier. C’est pour ça que j’ai dit des milliers de fois que mes disques c’était pas du slam. C’était un slameur qui avait des textes de slam, qui les a mis en musique, et sur un album.
2- c’est un moment de live. S’il n’y a pas un public, ce n’est pas un moment de slam. Sur un disque, ce n’est pas du live, donc c’est encore moins du slam.
Et 3- c’est ce fameux partage de la scène. C’est un moment de scène ouverte, où de tournois de slam. C’est un moment où il y a plusieurs slameurs qui se succèdent sur scène.
Pour résumer, le slam c’est un moment de rencontre, il faut qu’il y ait des gens qui se rencontrent qui échangent des choses, et c’est de la poésie à l’oral. Ce n’est pas du slam s’il n’y a qu’un texte écrit. Les slameurs écrivent leurs textes pour les faire vivre dans une bouche, pour que des oreilles les entendent.

Je vous invite tous, parce que c’est des super bons moments, à aller voir des scènes slam, des scènes ouvertes. Il y a plein de scènes slam, et allez voir, parce que justement, moi j’ai ma manière d’écrire, et de poser un texte, mais chaque slameur a sa propre manière. On est pas obligé de faire des vers, on est pas obligé d’écrire avec des rimes. Ca peut être de la prose, ça peut être chuchoté, ça peut être chanté. Le slam c’est un moment de libre expression, chacun écrit à sa manière et le dit à sa manière. Celui qui n’a pas de rythme dans son élocution, celui qui a une toute petite voix, à partir du moment où il écrit et il dit un texte, c’est quand même du slam.

Quels sont tes poètes préférés?

Souleymane Diamanka, Rouda, Ami Karim.

En poètes plus classiques, plus connus?

Georges Brassens, Jacques Brel, Barbara, Renaud.
J’ai lu très peu de poésie classique. Je m’y suis replongé un peu, oui, j’ai trouvé ce qu’écrivait Rimbaud très beau, Prévers aussi bien sûr. Après bizarrement, je dois avoir vraiment la culture de l’oral, il me manque leur regard, il me manque leur voix. Alors bien sûr Rimbaud c’est implacable, la rime tombe, clac, c’est beau, c’est efficace. Je pense que si j’avais eu la chance de l’entendre slamer un texte, j’aurais été par terre, mais il me manque ça, il me manque l’oralité.

Comment as-tu découvert le slam?

Je connaissais le slam de nom. Il y avait une scène slam au café culturel à 50m de chez moi. J’avais passé la tête puis j’étais reparti, ca avait l’air bien mais il y avait trop de monde, je ne pouvais pas m’asseoir, et de toute façon j’étais à mille lieux d’imaginer que moi j’allais slamer. Parce que justement c’était en bas de chez moi, et slamer devant ses voisins ça ne m’était pas venu à l’esprit.

Un jour y a un slamer (qui n’était pas slamer à l’époque) John Pucc’Chocolat, qui est un bon pote depuis longtemps, m’a dit “j’ai perdu un pari, je dois slamer dans un petit bar à Paris vers la place Clichy, dans un petit bar qui s’appelle Teranga, allez viens m’encourager”. J’y suis allé, et là, je me suis assis et pendant 2h j’ai écouté ce qui se passait. J’ai adoré ce que j’ai entendu, beaucoup de talents, une grande mixité dans les gens qui étaient là, et dans ce qu’ils disaient. Je me suis dit “tiens, je vais revenir dans cette scène là le mois prochain, parce que c’était une mensuelle, et je vais écrire pour l’occasion”. C’est comme ça que j’ai commencé.

Qu’est-ce que ça donne quand tu chantes?

Question suivante (rire). Je ne sais pas. Je ne le sens pas. Je ne pense pas que je chante faux, mais ça ne me parait pas naturel.

Tu sembles très entouré par tes amis?

Oui, oui, c’est un peu vrai. J’ai du mal à dire que j’ai un métier. C’est un métier super particulier, j’adore faire ça. C’est pour ça quand on me dit “pourquoi tu ne fais pas une pause?”, voilà, j’ai besoin de ça. J’ai besoin d’écrire, j’ai besoin d’aller partager mes textes, et en plus dans ce truc là, t’as l’occasion de monter ton équipe et l’équipe qui te parait naturelle c’est les potes qui sont autour de toi. Du coup, tu as encore moins l’impression de bosser, parce que quand tu pars en tournée, c’est la colo, t’es avec tes potes. Quand tu fais un clip, t’es avec tes potes, Quand tu te prends la tête pour décider quel texte on va mettre, et bien tu décides avec ton pote.
C’est beaucoup plus agréable, beaucoup plus facile. Après ça peut être des fois compliquer de bosser avec ces potes, mais jusqu’ici ça se passe bien. Je pense qu’on est plus fort en équipe.

Définitivement

Dans le milieu du slam, est-ce toujours une petite famille, où il y a des rivalités parce que tu es devenu un grand nom de ce milieu?

Des rivalités il y en a forcément, des grincements de dents, il y en a forcément. Il y a qu’à voir dans le rap, quand des rappeurs ont réussi à quel point il y a eu le clivage underground / commercial. Le slam ne peut pas complètement éviter ce clivage là, mais je pense quand même que cela a été beaucoup moins compliqué pour moi que pour les premiers rappeurs qui ont vendu beaucoup d’albums.

Il y a plusieurs raisons ça. La première c’est qu’au départ on était vraiment une petite bande de slameur. Moi, je ne suis pas pionnier du slam, comme je disais quand j’ai fait une première soirée slam, il y avait déjà tout un petit noyau d’activistes qui existait, mais quand je m’y suis mis vraiment en 2003, nous n’étions pas encore très nombreux. Sur Paris, on devait être une cinquantaine d’activistes de purs et durs. Du coup, on se connaissait tous. Ces petits 50 là, on ne s’est jamais complètement perdu de vue. Je pense que si ne je me suis pas trop fait insulter par les slameurs c’est aussi que même si je suis passé à la télé, que ça peut faire drôle, j’ai continué à fréquenter des soirées slam, j’ai continué à animer des ateliers. Les mecs ne pouvaient pas me reprocher d’avoir complètement changé. En plus, j’ai la naïveté de croire qu’il y en avait beaucoup qui étaient contents pour moi, qui m’aimaient bien et qui se disaient “putain c’est génial ce qui lui arrive”, et en plus ça a ouvert quelques portes.

Je parlais tout à l’heure de Souleymane Diamanka, Ami Karim, Rouda qui ont signé avec des maisons de disques pour faire des albums. C’est clairement le succès de mon premier album qui a ouvert ces portes là. Malheureusement la porte des maisons de disque c’est ouverte, mais pas celle des médias. Ces 3 slameurs là, pour ne citer qu’eux et Luciole, un peu plus tard, une slameuse, c’est vraiment des slameurs très talentueux, mais ils n’ont pas eu accès aux médias comme moi j’ai eu. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que dans l’inconscient un peu français, on se dit “le slam c’est pas vraiment un genre musical, c’est un truc un peu chelou, donc y a la place que pour un. Ca y est on a un slameur, ça sert à rien d’en inviter d’autres dans les émissions”. Du coup, Souleymane, Rouda n’ont jamais eu accès à un Grand Journal, à un Taratata, et ils ne passent pas plus en radio que moi, voire même moins (déjà que moi c’est quand même pas terrible). Donc si t’as ni la radio, ni la télé, c’est compliqué de démarrer une carrière. Ils ont sorti leur album, qui est très beau, ils ont pu faire un peu de scènes, au moins une trentaine, une cinquantaine de concerts, mais c’est resté loin des grands médias et du grand public. Je trouve ça super dommage.

Tu as fait une voix dans Toy Story 3, il semble donc qu’en plus de tes textes, c’est ta voix qui est prisée?

C’est sûr, j’ai une voix particulière. Ça fait longtemps qu’on m’appelle pour faire des voix off, des trucs. Pour l’instant j’ai toujours esquivé. Et là ça me faisait rire, notamment parce que c’était un tout petit personnage dans Toy Story 3. C’est un clown triste qui est là juste 2 minutes, et qui raconte une histoire un peu grave.
Ca m’amusait de le faire, je voulais voir ce que c’était. Je suis un grand gamin.

Quel est ton rapport avec la musique? C’est toi qui t’occupe des compos?

C’est pas moi qui m’occupe des compos. Je serais bien incapable d’écrire une mélodie. J’aimerais bien, mais je ne sais pas faire ça. Du coup, j’écris le texte, toujours à capella et c’est vrai que j’ai une idée de l’ambiance musicale que j’aimerais voir sur ce texte. Je sais si je veux un texte un peu rythmé, si je veux un texte plutôt doux, un truc intimiste, un truc avec un beat, un tempo, une batterie. J’ai vaguement un idée, puis j’ai la chance de bosser avec des compositeurs. Je leur donne le texte en disant “voilà ce que j’imagine, après fais à ta sauce”. Souvent ces compositeurs travaillent sur mesure. On fait souvent le parallèle avec une bande originale de film. Dans mon texte il y a des images, et bien ils mettent de la musique sur les images, comme dans un film. Si tu trouves que la musique correspond bien au texte, c’est pas de ma faute, c’est leur talent à eux.

Tout est allé très vite pour toi, ça fait quoi dans la tête? Ca peut chémar?

“Ca peut chémar” est super important. C’est pas de la fausse modestie, je dirai jamais “ça a chémar”. Parce que j’espère que la vie est encore longue et qu’on a encore plein de choses à prouver. Je suis toujours dans cette optique “ça peut chémar”. Evidemment que l’aventure est super belle pour moi, qu’avant tout ce que j’aime ces les concerts, qu’on a fait des super belles tournées, qu’on a rencontré plein de gens. J’ai joué à Beyrouth, à Bamako, tout ça c’est des trucs que j’aurais jamais pu imaginer. C’est vraiment un luxe, un chance incroyable. J’essaie de ne pas m’endormir là dessus, de ne pas me reposer sur mes lauriers, de ne pas faire de trop longues pauses. J’ai besoin de continuer.

Mots-clefs : Grand Corps Malade, Slam