Sarkozy joue la diversion militariste à Londres... contre l'UMP et l'Europe

Publié le 03 novembre 2010 par Juan
Depuis mardi 2 novembre, les députés planchent sur le volet dépenses du projet de loi de finances pour 2011. Des voix, surtout à droite, se font entendre pour critiquer la faible ampleur des mesures d'économies avancées par le gouvernement. Nicolas Sarkozy, lui, était à Londres. Son homologue David Cameron vient de lancer une gigantesque cure d'austérité, comme les Britanniques n'en ont jamais connu depuis cinquante ans. L'exemple anglais n'est pas fameux pour le président français. Il y a trois ans, Sarkozy ne tarissait pas d'éloges sur la réussite outre Manche...
Diversion militariste...
« Accord historique » (Le Parisien), « coopération franco-britannique renforcée » (NouvelObs.fr), « défense commune » (Le Figaro)...
A Londres, Nicolas Sarkozy ne voulait surtout pas parler comptes publics. La preuve, il a annoncé la signature ... d'un traité de défense avec le Royaume Uni. La démarche est complètement anachronique. Partout où il va, Sarkozy affaiblit un peu plus chaque jour l'idée européenne. A Londres, Sarkozy a enterré avec Cameron la Défense européenne. Le gouvernement anglais, d'ailleurs, ne s'en cache pas. Sarkozy, lui, masque cet échec européen jusqu'au bout : « Au moment où certains disent que l'Europe souffre d'un certain rétrécissement stratégique, nous montrons, Anglais et Français, que ce n'est pas le cas ». L'envoyée spéciale du Figaro exultait : « Ensemble et en quelques mois seulement, Nicolas Sarkozy et David Cameron ont réussi là où quinze ans d'efforts pour créer une vraie défense européenne, surtout menés par la partie française, avaient en grande partie échoué.» Quelle oraison funèbre !
Lors de sa conférence de presse commune avec Cameron, Sarkozy a loué son homologue anglais: « toutes les conditions sont réunies pour une relation absolument exceptionnelle entre la Grande-Bretagne et la France. » Les prédécesseurs Blair puis Brown apprécieront. Il y a quatre jours à peine, le même Sarkozy expliquait que ses priorités internationales étaient la régulation de la finance et des marchés de matières premières, la gouvernance économique européenne voire mondiale, à l'approche des G20 et G8 organisés par la France dans quelques mois. Son déplacement à Londres, nous expliquait-on, devait servir ces objectifs, comme la prochaine rencontre du président chinois à Nice jeudi et vendredi. Puis, sans crier gare, voici Sarkozy qui signe ... un accord de défense. Se prend-il pour le président Emile Loubet en 1904 ? Jouer à l'Entente Cordiale militaire à l'heure actuelle est furieusement anachronique, désuet voire inconscient. Sans rire, Sarkozy a lâché mardi : « On ne résoudra pas les problèmes du XXIe siècle avec les idées du XXe ».
Peut-être faut-il voir dans ce rapprochement inattendu (qui doutait d'une quelconque opposition franco-britannique en la matière ?) l'une des conséquences indirectes de la sévère cure d'austérité qui attend les armées françaises ? A Londres, le communiqué officiel est carrément pompeux : « nous sommes fiers de nos forces armées exceptionnelles et expérimentées, ainsi que de nos industries de défense performantes.» Ou encore : « nous sommes déterminés à jouer un rôle leader en matière de sécurité et de défense.» Sortez les tambours ! « Nous devons faire face ensemble à de nouveaux défis tels que la prolifération des armes de destruction massive et des missiles balistiques, le terrorisme, les cyberattaques et ceux qui pèsent sur la sécurité maritime et spatiale. » La sécurité spatiale ?? Fichtre ! Ben Laden veut-il frapper la lune ? « Nous n'envisageons aucune situation où les intérêts vitaux de l'une de nos deux Nations pourraient être menacés sans que ceux de l'autre le soient aussi.» Nous sommes rassurés. Français et Britanniques craignaient certainement un conflit frontalier à Eurotunnel !
Passé ce préambule ridicule, les deux hommes ont listé les contours de cet accord du XXième siècle :
- signer un Traité de coopération pour mettre en commun installations, hommes et équipement,
- « coopérer dans les technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires », avec la création de deux installations communes, l'une en France, l'autre au Royaume Uni.
-  mettre en place une « Force expéditionnaire commune interarmées adaptée à toute une série de scénarios, y compris des opérations de haute intensité.» Les Anglais voudraient-ils solidifier le soutien français aux opérations, inutiles, d'Afghanistan ?
- déployer une force aéronavale d'attaque intégrée franco-britannique pour « les 30 prochaines années
- développer un « plan de soutien commun » pour les futures flottes d'avions de transport A400M.
- développer « ensemble des équipements et technologies pour la prochaine génération de sous-marins nucléaires »
- évaluer la mise en commun des futures moyens de communication satellitaires pour en « réduire les coûts généraux
En fait, cette opération était avant tout une affaire de communication : à Londres, David Cameron vient d'annoncer une réduction de 8% du budget de ses forces armées. Un conseiller de Sarkozy confirme : « la contrainte budgétaire qui pèse au Royaume-uni et en France est une puissante incitation à coopérer davantage.» Mais en France, l'attention était ailleurs. cette distraction britannique intéressait peu. Les députés examinent le volet dépenses du budget 2001. Certains à l'UMP critiquent la faiblesse des mesures d'économies. Sarkozy ne voulait pas laisser les commentateurs s'attarder sur une comparaison des mesures britanniques et françaises en la matière.
... pour calmer les ardeurs UMPistes
Effectivement, le discours officiel est peu clair, comme si Nicolas Sarkozy et ses proches se refusaient à dévoiler la réalité. François Baroin, ministre du budget, comme Christine Lagarde, ministre de l'économie, insistent lourdement, depuis la première présentation du projet de loi de finances fin septembre, sur des mesures qui sont finalement plus symboliques qu'efficaces : la réduction du nombre de fonctionnaires et du « train de vie » de l'Etat ne « rapportent » quasiment rien. On sait aussi que la spectaculaire diminution du déficit budgétaire en 2011 tient surtout à la non-reconduction de dépenses de relance et des investissements relatifs au Grand Emprunt (50 milliards d'euros d'économies). On sait enfin que le coup de rabot sur les niches fiscal reste modeste (une douzaine de milliards d'euros, sur la centaine attendus pour atteindre les objectifs de déficits en 2013. La question demeure : qui va donc payer le redressement des comptes publics ?
A l'Assemblée, la droite s'agace donc contre une rigueur qu'elle ne voit pas venir. Faut-il s'attendre à pire ?
Dans ses documents de présentation du budget 2011, le gouvernement insiste d'abord sur la réduction du nombre de fonctionnaires : le plafond d'emplois dans la fonction publique pour l'an prochain est fixé à 1 975 023 « équivalents temps plein travaillés » (ETPT), contre 2 019 798 en 2010. La baisse de 44 775 postes provient de 12 746 suppressions de postes issues du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite en 2011 (sur 31 638 suppressions au total en 2011, compte tenu de l'étalement des départs dans l'année), 17 650 suppressions de postes décidées en 2010, 34 175 postes transférés hors du périmètre de l'Etat (principalement vers des établissements d’enseignement supérieur devenus autonomes à compter du 1er janvier 2011 pour 28 561 ETPT, et les agences régionales de santé (ARS) en cours de gestion 2010 pour 3 616 ETPT); et une augmentation de 19 796 ETPT liés à une meilleure évaluation « technique » des effectifs réels (notamment au sein du ministère de l'Education nationale).
Le projet de budget précise que « la poursuite de l’application du principe de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite s’accompagnera d’un retour aux agents de l’État de la moitié des économies induites par le non remplacement des départs à la retraite, sous la forme de mesures catégorielles permettant de moderniser et de revaloriser les métiers et carrières des agents de la fonction publique de l’État. » On peine à comprendre comment cette déclaration de principe se concilie avec l'absence de revalorisation du point fonction publique en 2011... Le gouvernement précise que la garantie individuelle de pouvoir d’achat «sera mise en œuvre sous la forme d’un examen de la situation individuelle de l’ensemble des agents titulaires de l’État » (cf. page 17 du dossier de presse).
Mais surtout, cette réduction du nombre de fonctionnaires ne génèrera que 200 millions d'euros d'économies en 2011, l'essentiel des 810 millions d'économies brutes étant absorbées par (1) la rétrocession de 50% des économies aux revalorisations salariales, et (2) certains mécanismes d'ajustement de salaires quasi-automatique. Le budget présenté contient deux provisions inattendues relatives à la masse salariale des agents publics: la première, sobrement intitulée « Provision relative aux rémunérations publiques » s'élève à 59 millions d'euros. La seconde, baptisée « Dépenses accidentelles et imprévisibles », s'élève à 200 millions d'euros. La loi de finances 2010 ne prévoyait que 75 millions d'euros pour l'ensemble. Le gouvernement reconnaît d'ailleurs que les réformes de retraite (2003 puis 2010) ont pour effet de retarder les départs à la retraite, et donc l'effet de ces mesures.
Le second volet d'économies avancé par le gouvernement était la réduction de 5% les dépenses de fonctionnement de l'Etat. Dans son document de présentation, le gouvernement avançait trois mesures symboliques : la diminution des surfaces occupées (à 12 mètres carrés par agent en moyen) et du coût immobilier de l'Etat ainsi que chez les opérateurs (500 000 m2 en moins entre 2010 et 2012 ; 10 millions d’euros de loyers économisés auprès de bailleurs privés; 400 millions d'euros de cessions de patrimoine), la rationalisation du parc automobile public et des logements de fonction (-7000 logements en 2011), et la rationalisation des achats des administrations.
Là encore, il semblerait que le gouvernement ait ... triché : le député UMP Gilles Carrez, dans son rapport sur le budget, reste sévère : « L’assiette de dépenses retenue par le projet de loi de finances pour 2011 pour procéder à une réfaction de 5 % se révèle très inférieure à celle retenue lors des projections réalisées pour le débat d’orientation des finances publiques.» Des 42 milliards d'euros de fonctionnement prévus au budget 2010, le gouvernement a exclu les subventions aux opérateurs (24 milliards) et le budget de la Défense (8 milliards). Restent donc 5% d'économies sur une dizaine de milliards d'euros, soit 500 millions. Mais, le rapporteur note que la prochaine organisation des G8 et G20 par la France et « les engagements pris sur la mission Justice » génèrent 400 millions de surcoût. Ne restent donc que 100 millions d'euros d'économies nettes sur ce chapitre... Auxquels s'ajoutent 100 autres millions pris sur les crédit d'entretien routier du ministère du développement durable. « au total,» note Carrez, « les crédits de fonctionnement sur le champ considéré ne sont en diminution que de 200 millions d’euros entre la loi de finances initiale pour 2010 et le projet de loi de finances 2011.»
La troisième piste d'économies avancée par le gouvernement est la diminution des dépenses d'intervention, en d'autres termes les aides publiques et sociales : l'objectif brut est de 3,7 milliards d'euros
400 millions d'euros seront pris sur les dépenses dites de guichet (i.e. versées automatiquement aux bénéficiaires dès lors que ces derniers remplissent les critères), sur un total de 38 milliards d'euros. Compte tenu des indexations et « de l’effet report en 2011 des seules prestations de guichet versées par l’État dont les revalorisations liées à l’inflation sont automatiques » qui pèsent pour 1,1 milliards d'euros, le gouvernement s'oblige à réduire de 1,5 milliards d'euros les aides suivantes :
- Suppression de l'exonération de l'avantage en nature des repas des salariés de l'hôtellerie/restauration (121 millions d'euros)
- Limitation aux structures de moins de 10 employés de l'exonération des organismes d’intérêt général dans les Zones de Revitalisation Rurale (110 millions)
- Suppression de l'exonération de 15 points des particuliers employeurs  (440 millions)
- Suppression des exonérations de cotisations sociales applicables au contrat initiative emploi (9 millions)
- Réduction des exonérations de cotisations sociales accordées aux jeunes entreprises innovantes (57 millions)
- Suppression de l'exonération de la part salariale des cotisations sociales pour les salariés de moins de 26 ans, saisonniers agricoles (3 millions)
- Alignement de l'intéressement spécifique de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) sur celui du RSA (48 millions)
- Report de la date d'ouverture des droits de l'Allocation personnelle d’aides au logement (120 millions)
- Réduction de la contribution en faveur du fonds national au logement (86 millions)
- Réduction de la subvention versée au Fond national de solidarité active (200 millions)
- Réduction de la subvention au Fonds de solidarité (200 millions)
- Diminution « spontanée » des prestations aux anciens combattants (100 millions)


200 autres millions seront pris sur les dépenses d'intervention hors guichet, c'est-à-dire les aides discrétionnaires, sur un total de 21 milliards d'euros: 700 millions d'économies ou transferts, moins 500 millions d'effet d'années antérieures. Le gouvernement table en particulier sur une baisse du nombre de contrats aidés, de 400 000 en 2010 à 340 000 en 2011, puis 270 000 en 2012 et 200 000 en 2013. Laurent Wauquiez, le secrétaire d'Etat à l'Emploi doit être ravi. Pour le reste, il s'agit de transferts vers les opérateurs ou les collectivités locales et non d'économies à proprement parler.
Au final, le rapporteur UMP s'agace, trépigne et critique cette « réduction des dépenses de fonctionnement sans véritable envergure » et celle « des dépenses d’intervention à démontrer.» Nicolas Sarkozy a rechigné à écorner significativement les niches fiscales et remettre à plat la structure de l'imposition en France: « Entre 2000 et 2009, le budget général de l’État a perdu 100 milliards d’euros de recettes fiscales, deux tiers étant dus aux baisses d’impôts et un tiers aux transferts de ressources à la sécurité sociale en guise de compensation d’allègements de charges » note le rapporteur Carrez dès son premier chapitre.
Il est inquiet pour sa réélection. Ses prévisions de réduction de coûts frappent tous azimuts mais ... sans envergure. Les députés UMP auront-ils la main lourde ?
A Londres, Sarkozy pouvait bien jouer sur l'un de ses domaines présidentiels réservés, la défense, l'affaire ne faisait pas illusion. Il est plus facile de signer un accord de coopération militaire et nucléaire que de réformer la gouvernance mondiale ou redresser les comptes publics.
Ami sarkozyste, es-tu satisfait ?