Henriette : une vie de labeur

Publié le 04 novembre 2010 par Goure

Henriette , c’est ma mère. Elle est née le 16 juillet 1914 à Flayosc. Juste après sa naissance , son père , Fortuné Villeneuve, est parti à la guerre (1914/18). A son retour, la famille est venue s’installer à Ampus où mon grand-père a ouvert une échoppe de cordonnier.A 18 ans , Henriette s’est mariée avec Emile Dauphin , mon père.Je suis née trois ans après. Ce n’est qu’une fois adulte que j’ai pris conscience de la vie pénible que ma mère a vécue. De confort point. D’argent guère.Du travail toujours.

Maman et moi. Photo pour mon père à la guerre (1939/45).

Songez que la plupart des ménages d’Ampus n’avaient pas l’eau courante. Il fallait aller la chercher à la fontaine . Pour nous , c’était sur la Place. C’était maman qui faisait cette corvée, rarement mon père. Une fois l’eau au 2° étage, il fallait l’économiser. De salle de bains point , il fallait se laver “par morceaux” , le plus souvent avec de l’eau froide. De chauffage central, point , de chauffage électrique, pas plus. Un poële dans la cuisine pour la cuisine , pour l’eau chaude , pour le chauffage l’hiver et pour chauffer les “couadous”  à mettre dans nos lits.
Songez qu’il n’y avait pas de machine à laver. Inconnue des ménagères à cette époque. Il fallait aller au lavoir. Maman y est allée des milliers de fois dans sa vie de labeur. Elle choisissait toujours le plus haut lavoir , le grand lavoir parce que l’eau y était la plus propre. Elle lavait le petit linge mais aussi les draps , les bleus de mon père, travail pénible en toute saison mais beaucoup plus l’hiver.
Songez aussi que la plupart des ménages d’Ampus n’avaient pas de toilettes, le tout-à-l’égout ayant été installé bien plus tard.La pire des corvées - et pourtant inévitable - était la corvée des tinettes. Les seaux hygiéniques vite remplis , il fallait aller vider le contenu. Il y avait plusieurs endroits. Pour nous , c’était à la Bouvesse. Le canal, aujourd’hui recouvert ,était ouvert  vers le milieu  de la Bouvesse , juste en face de la maison des soeurs Félix. Elles n’appréciaient pas les personnes qui vidaient sous leur fenêtre en été , les jours où l’eau ne passait pas ! C’est ma mère qui faisait cette corvée, comme les autres femmes du village.Certaines , privilégiées et peu nombreuses, avaient une fosse septique et ignoraient la corvée de tinettes.Les hommes la faisaient rarissimement , seulement  si leur femme était malade (et pas une petite  grippe…).La corvée de poubelle était presque un jeu en comparaison. Le tas d’ordures était presque en plein village ; dans le renfoncement  à droite ,à proximité de la Roche Aiguille. Heaureusement il y avait moins d’ordures que de nos jours .
Songez qu’une femme n’ayant pas de métier rémunéré fait mille “petits” métiers. Je vais vous énumérer tout ce que faisait maman :
Elle aidait mon père aux ruches , de A à Z, transportant les abeilles dans les Basses-Alpes (ainsi se nommaient alors les Alpes-de-Haute-Provence), soignant les abeilles , leur prenant le miel…et jusqu’à la vente du miel que maman faisait volontiers , cela lui permettant de rencontrer les estivants venus au village.
Elle cultivait plusieurs jardins pour avoir les légumes frais. Un de ces jardins se trouvait au-dessus du cimetière. Son tour d’arrosage était le mercredi à midi. Elle y allait : il fallait bien aller arroser si on voulait récolter quelque chose. Elle ne se plaignait pas d’une vie si dure.
Elle élevait quelques poules et lapins , toujours par nécessité. A mon avis , tout était mal fichu : les lapins étaient à un endroit et les poules à un autre, bien éloigné de la maison. Soigner les animaux était (à mon avis) une autre corvée , étant donné les lieux distants de la maison.
Elle eut aussi à s’occuper de sa belle-mère (ma grand-mère paternelle) et de son père (mon grand-père maternel) devenus vieux et dépendants. Je vous assure que s’il y a un paradis, ma mère y sa place ! Imaginez ce que peut être le travail à apporter à des personnes dépendantes dans une maison sans confort! Nous n’avons pas à nous plaindre aujourd’hui !

Avait-elle quelques plaisirs dans cette vie de labeur ? Les fêtes locales d’Ampus , Châteaudouble (village qu’elle aimait) et Tourtour où vivaient sa belle-soeur et son beau-frère. Je me souviens de pique-niques très animés à Vérignon pour la fête de la Sainte-Anne en juillet.Le plus agréable , je crois, était la sortie annuelle (?) dans les gorges du Verdon. Nous partions avec les Troin (oncle et tante) et parfois un couple de leurs amis.Les femmes préparaient le pique-nique (pas question d’aller au restaurant). Un pique-nique copieux où ne manquait ni le pastis ,ni la bonbonne d’eau!Justinien , mon oncle, cherchait un coin au frais. Pas question de se poser en plein cagnard.On s’arrêtait aux Cavaliers , au Point sublime , on admirait le paysage. Une très bonne journée pour tous.Il arrivait aussi qu’une sortie nous conduise à la Motte où vivait une de ses amies d’enfance. Plaisirs simples et peu coûteux.

Voici ce qu’elle faisait par amour des autres. En effet , s’il y a des anciens qui lisent mon récit , ils pourront confirmer mes dires: Henriette était ouverte aux autres.Elle ne faisait pas partie de ces gens qui ne savent même pas dire bonjour…
Croyante , elle faisait partie de celles qui nettoyaient l’église , qui mettait des fleurs lors des fêtes (15 août-mariages…). Elle ne manquait jamais un enterrement , de même qu’elle ne manquait jamais d’aider la famille du mort pour la toilette mortuaire , pour le veiller en pleine nuit quand les visiteurs faisaient défaut.
Elle avait une expression que j’affectionne beaucoup. “Il faut aimer les étrangers , aussi bien les étrangers du dedans que les étrangers du  dehors“. Les étrangers du dedans  sont ceux qui viennent à Ampus et qui étaient ailleurs en France.Les étrangers du dehors sont ceux qui ne sont pas Français. Maman m’enseignait qu’il fallait les aimer quels qu’ils soient. Sagesse enseignée , maman!
Le pire qu’elle eut à faire : accompagner et soigner ma soeur Simone qui a été très malade pendant de longues années. C’était son chemin de croix , très pénible.Maman est morte le 7 septembre 1998 et Simone le  3 octobre 2007.


Pour en savoir plus sur ma famille, cliquez sur l’article écrit en janvier 2007 “Ecrire pour ne pas oublier “.

La cuisine d’Henriette

Mourir au village autrefois