Todos os santos

Par Crapulax

09 novembre 2010

Todos os santos

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Non, bien-sûr, on ne navigue pas en solitaire avec des enfants, surtout pas avec deux zozos de trois et quatre ans. Pourtant, dans ma configuration, ce serait évidement l'idéal. Ils sont ma seule raison valable de revenir, contraint, forcé et sans aucune conviction, vers ma belle patrie en coma dépassé. Poursuivre avec eux en totale autonomie. Le rêve....

Cette nouvelle session dans la baie de tous les saints tangente la question plus que jamais. Nanou, vraie amie, et Zoe, sa fille sont venue au Brésil pour une quinzaine et m'ont acheminé les gusses avant de repartir aussitôt pour Rio une semaine. Me voici seul avec mes fils pour cette première semaine. Alors j'y pense d'autant que le régime transitoire de vacances allongées aprement défendu et obtenu contree tout pronostic devant le juge prend fin en septembre 2011. Et toute discussion avec leur mère pour proroger la formule d'une quelconque façon s'est révélée impossible.... No comment.

Un simple coup de barre à gauche vers le couchant, Panama puis le Pacifique plutôt que vers le levant et L'Europe?  J'y pense parfois, en particulier quand ils sont là et que leur épanouissement dans un tel environnement crève les yeux. Rester à Salvador était une option mais c'est plus amusant pour les adultes que pour les enfants. Alors dès que Nanou et Zoe prennent leur bus pour l'aéroport, je me décide à quitter le Terminal Nautico seul avec Thao et Ewen, direction Itaparica. Une petite quinzaine de milles, mais la première fois que je navigue avec mes fils comme seuls équipiers. Ils ralent un peu parce que je les ai obligé à mettre gilet et longe malgré les conditions tranquilles mais comprennent et sont fiers. La première heure, ils sont cools,  la  seconde, ils s'excitent. 30mn avant les hauts fonds, je lance des pates au pesto afin d'éviter la mutinerie et on plante la pioche au dessert. De toutes mes expériences nautiques, cette bien modeste ballade seule avec eux restera une des très belle.

On rencontre de tout sur les mers, des parcours et des voyages étonnants mais les configurations sont en général standard: Familles, couples, solitaires ou poilus entre eux. Jusqu'à présent, je n'ai jamais rencontré ni père ou mère solitaire avec enfants en bas âge. A Itaparica où je croise des voiliers connus ou non, on nous observe intrigué, curieux, enfin ça jazze comme dans toutes les communautés humaines. Moi je suis dans ma bulle avec eux. On se lève et se couche tôt, on profite du banc de sable à marée basse, pas trop longtemps, histoire d'éviter les coups de soleil, on se fait nos aperos le soir, décide ensemble du menu, fait les courses. Pendant la sieste, je gratte la coque en vue de la prochaine grosse tirée vers les Antilles, on joue aux dominos ou au bingo des animaux. On se débrouille, tranquille.

Ils grandissent diablement et le fait d'être seuls avec moi aiguise leur sens des responsabilités. Ils s'empressent de mettre la table, d'avaler leur bossoir respectif une fois l'annexe mise à l'eau le matin, mettent automatiquement et seuls leur gilet de sauvetage. Thao pilote maintenant l'annexe d'une main précise tandis que Ewen attrape le bateau ou le ponton. J'ajuste à peine la maneuvre à la marge. Deux petits maniheros ultras autonomes, désormais plus des aides que des enfants à charge. Difficile à expliquer.... La capacité d'adaptation et d'apprentissage des enfants est vertigineuse. Théodore et Claude mouillent à proximité quelques jours plus tard et nous nous visitons régulièrement. Si leur premier reflexe est d'aider les enfants lors des accostages ou des déambulations entre cockpit et carré inconnus, ils réalisent vite devant leur agilité que c'est parfaitement inutile. Bien vite, ils ont d'ailleurs compris qu'ils pouvaient les envoyer en mission nous chercher le sucre pour le café. Quelques jours ont suffit pour qu'il retrouvent leur aisance et leur audace aquatique. Quant aux leg urbain avec lesquels je les ai récupérés, nez qui coulent et eczema, ils ont été rapidement dissoud par l'air, le soleil et la mer....

J'ai décidément de plus en plus de mal à comprendre et encaisse de moins en moins bien les à priori d'ignares frileux quant à ce qui est « bien pour les enfants ».... Ce mantra cache surtout une incapacité à les écouter, à s'adapter à eux, à les faire rêver. « Tiens toi bien, dis bonjour à la dame et fais tes devoirs, surtout pas de vagues » est le smic de l'éducation. On s'en contente et on a l'impression d'avoir fait le job. Quelle ambition! Il y a tellement mieux à faire que de les calibrer comme à l'usine et leur mettre des oeilleires avant qu'ils ne soient en âge de comprendre. Bref.

Nanou et Zoé nous rejoignent à Itaparica. Peu de temps avant le retour mais assez pour une virée sur le fleuve Paraguaçu. Un peu d'air pour sustenter les voiles et remonter mollement le fleuve. Nous y cheminons seuls dans ses méandres et nous posons devant le superbe et décati covente do Sao fransisco. Comme chaque semaine ou presque, ce mardi est plus ou moins férié et le superbe passé colonial portuguais cohabite sans transition avec les brésiliens venus passer la journée sur place. Coffres des bagnoles ouvertes, sound system à fond, ça se dandine sur ce ragatton brésilien entêtant, ça plonge du ponton. Et nos petits brancos chahutent immédiatement avec les bahianais café au lait. Le brésil dans toute sa splendeur, vivace, débridé, sur fond de nature intacte et de joyau colonial en ruine. Le soir venu, enfants couchés, le calme du fleuve reprend possession du lieu.

J'aime les fleuves car c'est eux qui dictent leur rythme: flot, jusant. Inutile de s'exciter à contre. On attend la renverse pour poursuivre vers Santiago Do Iguape, un peu en amont de la rivière. Moins piegeux que certains bolons de Casamance ou que le final de Camamu, les fonds sont parfois limite malgré tout. Les vibrations zen du Paraguaçu agissent. Aucun stress à bord. Nanou se détend, les enfants sont relax à leurs chamailleries près. Santiago Do Iguape n'est jamais qu'à une trentaine de milles de Salvador mais c'est un autre monde. Nombreuses pirogues de pêcheurs à piéger les crevettes dans leur filet et dans le village pourtant assez vaste, maisons, rares commerces succincts et kiosques où l'on peut prendre un verre et, en insistant un peu, déjeuner magnifiquement pour une poignée de reais. Claude m'avait parlé du seul européen installé dans le village mais sa poussada semble à l'abandon. Nous croisons finalement son jeune fils, qui nous organise une bouffe chez lui le soir. Il suit fièrement les traces aventureuses de son père et il a raison. Apero au kiosque pendant que les kids jouent au foot pieds nus avec les enfants du village. Attention, c'est assez viril mais ils se défendent et s'amusent surtout. Quant au diner du soir chez lui, il sera somptueux, fait de gratin de crabe, de bonne discussion pendant que les enfants vaquent à leurs occupations dans le jardin ou se fascinent pour le fantastique train en bois construit par le papa. Retour ensuite à la zenitude du fleuve, calme et silence.

Déjà le retour. En bon GO, je tente d'optimiser le jusant, le dejeuner dans un endroit sympa au mouillage et la nuit à l'embouchure du fleuve. Ça le fait parfaitement. Manque juste un petit coup, de voile qui se profile finalement le lendemain alors que nous rentrons sur Salvador. Dans l'après-midi, ça monte un peu. Zoe n'est pas trop habituée à la gite mais s'y fait. Nanou s'amuse à la barre. Ne reste plus qu'à s'amarrer peinard. Vincent et Patricia se pointent pour le diner que j'avais zappé au jour suivant. Pas prévu mais convivial. Dernière ballade dans le Pelorinho. A deux adultes et trois enfants, tout le monde nous prend pour une famille. Etrange impression d'ailleurs de ce qu'une famille recomposée pourrait donner car mes deux boys s'entendent bien avec Zoé. Zoé avec moi et mes enfants avec Nanou. Nanou et moi ne sommes qu'amis mais ça donne bon espoir que ce genre de configuration puisse bien fonctionner,, un jour.. Et puis ils s'en vont. Enfin pas tout à fait car le vol a été annulé et ils sont rappatriés dans un hôtel jusqu'au lendemain. Bon accident car je les rejoins et passe la journée dans la piscine. Thao se met presque à nager sans brassard tandis qu'Ewen enchaine les sauts les plus audacieux. Bon cette fois-ci, c'est la bonne, ils partent avec la navette, je m'en retourne au bateau.

Bernard vient juste de rentrer de Dubai. Notre vie de marins poilus reprend après notre parenthèse familiale respective.  La metéo est correcte. Courses, papiers de sortie et on se casse du Brésil. 6 mois dans ce pays continent fabuleux, c'est court mais c'est la règle du jeu. Au programme? <Une longue côtière vers les Antilles, Grenade, distante de quelques 2300 milles. Allez, hop! Une bonne respiration, 15-20 jours et à la prochaine....