Allocation contre bénévolat : une réciprocité qui inquiète les socialistes

Publié le 15 novembre 2010 par Lecriducontribuable

Conditionner le versement des allocations chômage à l’exercice d’activités bénévoles 30 heures par semaine pour une durée d’un mois : la dernière idée du gouvernement britannique, portée par le secrétaire d’Etat au travail et aux pensions Ian Duncan Smith, a déjà fait couler beaucoup d’encre. En France comme au Royaume-Uni, on s’inquiète de voir remis en question les principes fondamentaux de l’Etat-providence intimant aux pouvoirs publics de pallier les carences du marché. Malheureusement pour les ultra-antilibéraux, la dernière trouvaille du cabinet Cameron est plus socialiste qu’on ne le croit.

Les observateurs français parlent de travail forcé et gratuit : « Les chômeurs de longue durée vont devoir bosser gratos », titre LePost.fr. D’aucuns dénoncent ce qu’ils croient être la « réintroduction de l’esclavage ». L’accusation est évidemment absurde, les efforts exigés du chômeur britannique étant regardés par Smith et Cameron comme la contrepartie des allocations chômage qui lui sont versées chaque semaine. Mais les détracteurs s’en moquent : « Du travail gratuit en échange des allocations », peut-on lire sur le site du Journal du Dimanche. Et tant pis si les termes choisis (« gratuit » et « échange ») se contredisent.

Faut-il s’étonner, dans ces conditions, que le caractère socialiste d’une telle mesure passe inaperçu ?  Le problème des doctrines socialistes, c’est qu’elles ne reconnaissent pas leur reflet dans le miroir.

En effet les mesures a priori défavorables au « peuple » sont toujours imputées à une vision « ultralibérale » de la société. Surtout quand elles servent à colmater les lézardes de l’Etat-providence. La proposition de Smith est à cet égard une illustration presque caricaturale du consensus idéologique sur le rôle de l’Etat dans l’économie et la société. Le secrétaire d’Etat au travail et aux pensions ne remet pas en question le dogme interventionniste, dominant depuis l’après-guerre et brièvement secoué sous Thatcher dans les années 1980, bien au contraire : dans son optique, l’Etat doit utiliser tous les leviers à sa disposition pour orienter la société dans la bonne direction. Il ne s’attaque pas davantage aux piliers fondamentaux de l’Etat « social », mais aux symptômes de son inefficacité que sont le chômage de masse, la crise de l’emploi et le phénomène d’assistanat.

Le principe « allocation contre bénévolat » n’est donc pas plus « libéral » que notre RSA. Ce n’est pas un coup de canif dans le contrat social de l’Etat-providence, mais une misérable rustine.

Si Smith et Cameron font autant parler d’eux en France, c’est aussi parce que les justifications du dispositif rappellent le programme du candidat Sarkozy, qui en 2007 promettait de « réhabiliter le travail » non seulement en tant qu’activité – par des mesures fiscales – mais en tant que culture. La « culture du travail » étant perçue comme un thème libéral, on ne prend pas la peine d’examiner les moyens, fort peu « libéraux » en vérité, employés ou susceptibles d’être employés par les partis de droite (les tories au Royaume-Uni, l’UMP en France) pour réhabiliter le travail. On s’autorise, au contraire, les affirmations les plus ridicules sur l’ultralibéralisme présumé du secrétaire d’Etat au logement Benoist Apparu, coupable d’avoir reconnu la légitimité de la proposition britannique… tout en regrettant qu’elle ne puisse être appliquée en France.

Les libéraux auraient tort de se sentir solidaires d’une mesure qui n’a absolument rien de libéral.

Se servir du pouvoir que donne à l’Etat sa fonction de grand redistributeur providentiel pour contraindre une catégorie de la population à exercer un type d’activité déterminé, ce n’est pas libéral. Proposer de réparer les conséquences de l’intervention de l’Etat par une intervention supplémentaire de ce même Etat, ce n’est pas libéral. Vouloir restaurer par le haut une « culture du travail » qui normalement devrait naître naturellement de l’obligation où se trouvent les individus de subvenir eux-mêmes à leurs propres besoins, ce n’est pas libéral. Et prétendre appliquer ces mesures pour le bien des intéressés, à savoir des chômeurs, ce n’est pas libéral. C’est socialiste. Car de telles mesures n’ont d’autre finalité que de pérenniser un « modèle social » qui, à l’évidence, n’a pas tenu ses promesses.

De nombreuses critiques ont été formulées. L’archevèque de Cantorbéry s’est indigné des pressions exercées sur les chômeurs britanniques, qui sont avant tout victimes de la conjoncture. Les travaillistes ont rappelé que le plus difficile est de trouver un emploi. Il a également été dit que la recherche d’emploi représentait, en soi, un travail à temps plein – et pour de nombreux chômeurs c’est l’incontestable vérité.

Mais ces critiques passent à côté de l’essentiel en imputant les ratés de l’interventionnisme à l’influence d’une idéologie libérale prétendument dominante. Il est grand temps en effet de se demander non pas comment aider au mieux les malchanceux, mais comment permettre à tous de vivre sans demander l’aide de personne.

Nils Sinkiewicz

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