Le mythe Barthes

Publié le 16 novembre 2010 par Mojorisin

Il y a 20 ans disparaissait l’un de nos plus illustres penseurs. Figure à part dans la constellation intellectuelle, ce dernier s’intéressa tout autant à la linguistique qu’au catch, utilisa le structuralisme pour comprendre la presse de mode, et apparenta la citroën Ds à une cathédrale gothique. La culture populaire devint soudain un objet d’étude tout aussi important que le « grand art » et, plus que tout, un langage méritant une analyse approfondie. Son prénom ? Roland. Son nom ? Barthes. Notre jugement? Big up!


 The End Sa 

Roland Barthes (1915-1980) reste une figure à part dans le paysage intellectuel. A la fois linguiste (étudie le fonctionnement du langage humain), sémiologue (« étudie la vie des signes ») et structuraliste (étudie la société comme un ensemble de relations), ce dernier n’en demeura pas moins très proche de la culture populaire qu’il analysa tout au long de son œuvre. Sa démarche ne manqua pas d’interpeller les adeptes du cloisonnement des genres pour qui le mariage de l’intellect avec la « sous culture » relevait de l’hérésie. Utiliser des outils théoriques pour analyser le visage de Greta Garbo, la citroën DS ou la mode décrite par le journal Elle, une aberration? Pas tant que ça...

A la base de la pensée de Barthès : la linguistique. Cette discipline développée par Ferdinand de Saussure (1857-1913) conçoit le langage humain comme un ensemble de mots reliés entre eux par des oppositions où chaque mot s'apparente à la réunion d’un signifiant (qui correspond à l’image acoustique, au son) et d’un signifié (qui correspond au concept pur). Le mot femme correspond ainsi à la réunion de la sonorité {fame} et de la représentation mentale qu’on se fait du concept femme (ne devenez pas salace…).

De plus ce mot n’existe que par son opposition à celui d’homme. Inutile pensez-vous? Et non! Par exemple les concepts (signifiés) vont varier d'une langue à l'autre. Là où le français ne différencie pas le mouton de sa viande, l'anglais établit la distinction (sheep-mutton) ce qui souligne des distinctions subtiles entre les cultures... Merci qui? Merci Ferdinand.

Par la suite Claude Levi-Strauss élargit la notion de langage développée par la linguistique à d’autres sphères comme la famille ou le mythe. En effet ce dernier, plus qu’une simple histoire censée distraire les enfants, constitue un langage à part entière censé transmettre des valeurs, des interdits… Par exemple le mythe d’Achille cherche à exalter la gloire et le sacrifice. Dans ce cas précis le signifié recouvre l’héroïsme et le signifiant la vaillante figure d’Achille. Et à cette dernière s’oppose celle d’Agamemnon, l’opportuniste prêt à toutes les compromissions. De même pour celui d’Œdipe qui transmet l’interdit de l’inceste comme le popularisa Freud.

Puis arriva Barthes. Fortement influencé par les théories de Levi-Strauss, il en déplaça cependant l’objet d’étude en considérant les productions la société de consommation, alors en plein essor, comme de nombreux mythes modernes (Mythologies, 1957). Selon lui la Citroën DS par exemple, plus qu’un simple engin pratique, représenta un édifice quasi divin avec son design si futuriste (pour l’époque bien entendu !), comme les anciennes cathédrales gothiques en leur temps. Outre l'aspect fonctionnel, leur valeur repose principalement sur leur marque (n'essayez pas d'acheter la même voiture que celle de votre patron car il pourrait croire que vous essayez de lui voler le prestige de sa position). De la sorte aucun objet ne peut se prétendre neutre et chaque chose parle un peu pour nous.

De même la mode constitua (et continue de constituer!) un langage à part entière fondé sur des oppositions entre ses éléments constitutifs (le système de la mode, 1967). Prenons cette phrase extraite d’un magazine de mode daté de 1958 : un cardigan sport ou habillé, selon que le col est ouvert ou fermé. La position du col peut faire varier le sens du vêtement car un cardigan col ouvert (sport) s’oppose à un cardigan col fermé (habillé). Ainsi, selon la position du col, je ne transmettrai pas le même message aux autres. La mode s’apparente donc à un langage à part entière comme l’illustre encore de nos jours la presse spécialisée (voir vintage).

 Barthes remarqua au moment de l'avènement de la société de consommation dans les 60's que la culture populaire ne se composait pas seulement de simples produits de divertissements mais que ceux-ci portaient un en leur sein un message implicite (ce que la publicité comprit parfaitement) parfaitement identifiable. Celui-ci ne créa cependant aucun système particulier, mais adopta une attitude terriblement novatrice en détournant l'objet d'étude d'une théorie déjà existante (dans ce cas le structuralisme) afin d'analyser nos mythes modernes! « Dis moi ce que tu portes et consommes et je te dirai qui tu es » dit le célèbre dicton. Si à Barthes nous pouvions demander « dis moi ce que tu penses et je te dirai qui tu es » alors ce dernier nous répondrait probablement : un visionnaire. RIP Roland…