Interview avec Gayle Forman

Par Liliebook
Lors de sa venue à Paris, la semaine dernière, j'ai eu l'immense chance de rencontrer Gayle Forman et de l’interviewer. C'est une personne extrêmement sympathique. Elle a pris le temps de répondre à mes nombreuses questions et je tiens à la remercier sincèrement pour sa gentillesse et sa disponibilité. Je souhaite également remercier toutes les personnes qui ont rendu cette entrevue possible, notamment Béatrice des éditions Oh! éditions et Céline qui tient le blog officiel (voir le blog).


Gayle Forman est l'auteur des livres Si je reste, Là où j'irai et Les coeurs fêlés. Elle habite aux Etats-Unis, à Brooklin, avec son mari et ses deux filles. Elle partage sa vie entre sa famille et l'écriture.

- A part l'écriture, quelle est votre occupation favorite ?

Pour moi l'écriture est un moyen d'évasion, c'est un vrai plaisir, cela me permet de déverser mes émotions et de m'échapper donc ce n'est pas vraiment un travail. Je dis toujours que je suis très chanceuse parce que j'ai le genre de métier où je peux imaginer des adolescents de 17ans s'embrasser et personne ne me traite de perverse. 

Mais à part écrire, qu'est-ce que j'aime faire ? J'adore voyager, c'est ma passion. J'aime aller au cinéma, lire et cuisiner. Mais je pense que mon occupation favorite est de passer une journée farniente avec ma famille, quelque part, dans un jardin, ou sur une plage. 

- Quel personnage historique admirez-vous le plus ?

Il est toujours vivant mais j'admire Nelson Mandela plus que n'importe qui. C'est quelqu'un qui a tellement d'intégrité, il a surmonté tant d'épreuves. Et, alors qu'il aurait pu devenir vraiment amer à l'encontre de ses ravisseurs, pour le bien de tous il a réussi à pardonner et à négocier avec ses ennemis. C'est vraiment un exemple de tolérance et d'indulgence. 

J'ai vu le film, Invictus, sur la façon dont il a supporté l'équipe de rugby alors que c'était un symbole de l'oppression blanche. J'aimerais qu'il y aie plus de dirigeants comme Mandela dans le monde.

- Quel est votre héros de fiction préféré (en général, pas dans vos livres) ?

Atticus Finch dans Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur.

- Est-ce que vous avez toujours voulu devenir auteur, même lorsque vous étiez plus jeune ?


Non, ce qui est amusant c'est que j'ai toujours inventé des histoires avant même de savoir écrire. Et, ensuite, j'ai toujours écrit, depuis mon plus jeune âge. Mais cela ne m'est jamais venu à l'esprit que je pourrais devenir écrivain. Et, alors même que j'écrivais des histoires, je n'étais pas une de ces personnes qui affirment : je veux devenir écrivain.
Après le lycée, j'ai voyagé pendant 3 ans. Ensuite je suis allée à l'université et je me suis dit je veux devenir médecin et aider les gens. Je voulais rejoindre Médecins sans Frontières et voyager autour du monde. J'ai donc fait environ 2 semestres de classe en pre-med et j'ai réalisé que ce n'était pas pour moi. 
Après cela, j'ai choisi de suivre des cours de journalisme et d'écriture de nouvelles. Et ce n'est pas le cours d'écriture de nouvelles qui m'a le plus plu. J'ai donc voulu être journaliste. J'ai fait des études de journalisme et je suis devenu journaliste. J'adorais cela, mais cela ne m'avait toujours pas traversé l'esprit de devenir écrivain. 
Cela a duré jusqu'à ce que j'ai ma fille et que je réalise que je ne pouvais plus être la sorte de journaliste que j'étais. J'ai écrit Les coeurs fêlés et ensuite ça a été une révélation, comme lorsque la pluie s'arrête, les nuages s'en vont et le soleil apparaît. Pendant que j'écrivais Les coeurs fêlés j'ai adoré cela mais c'est vraiment après l'avoir écrit que j'ai réalisé que c'était ce que je voulais faire.
Ça a été vraiment une lente évolution, qui s'est faite par étape. En ce moment, je suis en train d'écrire mon 4ème livre pour "young-adult" et j'adore cela, c'est vraiment ce que je veux faire. On pourrait penser que la prochaine étape de ma carrière serait d'écrire des romans pour adultes, mais je n'en ai pas envie.
- Quel est, pour vous, le meilleur moyen d'écrire ?

Je ne fais pas de plan et je n'utilise pas de tableaux comme le font certains auteurs. En général, je pense en permanence au roman que je suis en train d'écrire et donc, comme j'y pense tout le temps, j'ai déjà une vague idée où cela va m'amener. 

Ce que je préfère dans l'écriture c'est qu'on découvre systématiquement de nouveaux éléments à propos de notre histoire ou de nos personnages, pendant qu'on est en train d'écrire. Je trouve que ce qui est remarquable c'est que lorsqu'on se dit je ne sais pas ce qu'il va se passer, je ne sais pas comment les choses vont évoluer, ce que vont faire les personnages, on le découvre petit à petit et ils nous y amènent eux-mêmes.

Pour mon prochain roman, j'ai essayé de griffonner des directions mais, en fait, c'est totalement inutile parce que je ne les suis absolument pas. 

- Où préférez-vous écrire, à la maison ou à l'extérieur ?

J'ai un bureau dans un coin du salon familial, un très grand bureau et c'est là où j'écris. Je n'aime pas écrire dehors comme dans un café, par exemple, parfois je le fais si je dois y rencontrer un ami mais je préfère écrire à la maison.
- Est-ce qu'il y a des parties d'un roman qui sont, pour vous, plus difficiles à écrire que d'autres, comme par exemple le début ou la fin ?

La partie centrale d'un livre est en général la partie la plus délicate. C'est là où la dynamique est la plus difficile à maintenir. Au début il y a souvent une dynamique forte ainsi qu'à la fin. Mais au milieu c'est plus délicat.
Dans Là où j'irai la partie la plus complexe était sans aucun doute à partir du moment où ils vont au bowling jusqu'à la scène sur le pont parce qu'à ce moment du récit l'intensité retombe un peu.
Dans Si je reste, après avoir fini d'écrire le livre j'ai du revenir et ajouter quelques détails à la scène de l'accident et ça a été la partie la plus dure émotionnellement. Lorsque Mia a cet instant d'horreur et qu'elle réalise ce qu'il se passe. A ce moment, j'avais déjà écrit tout le livre, je m'étais attachée à elle, je savais ce que je lui infligeais comme souffrances donc revenir sur cette scène c'était atroce pour moi et je sanglotais en l'écrivant. C'était seulement quelques lignes mais ça a été très difficile pour moi de les écrire, parce que je l'aimais et je savais ce qu'elle allait subir puisque j'avais déjà fini l'écriture du livre. Cette partie a été très dure émotionnellement.
- Comment équilibrez-vous l'écriture avec la maternité ?

C'est plutôt difficile, cela va un peu mieux maintenant que les filles sont toutes les deux à l'école, mais elles sont dans deux établissements différents. C'est délicat d'équilibrer tout cela, de prendre soin de moi et de la maison. Pour faire court : c'est difficile. J'ai très peu de temps pour écrire. L'écriture d'un livre c'est seulement une partie de ce que je fais, il y a aussi de nombreuses autres choses : rester en contact avec les fans, faire des interviews, faire des choses pour mes éditeurs, il y a 30 éditeurs maintenant, tous ne me le demandent pas mais plusieurs le font. Tout ceci fait partie de mon travail et je suis très heureuse de le faire, mais cela prend du temps. Et je continue à écrire des articles pour des magazines parce que je suis folle. 

J'essaye aussi de faire des activités physiques, d'aller courir, je dois faire les courses, préparer les repas donc c'est très difficile. J'amène les filles à l'école le matin et j'essaye de faire ce que j'ai à faire le matin comme cela je peux rentrer à la maison et j'ai plusieurs heures devant moi pour écrire. Lorsque je commence à écrire je me mets vraiment dedans et c'est très frustrant d'avoir seulement une heure de disponible. Pour corser un peu les choses, j'ai établi une règle : l'ordinateur est éteint lorsque les filles rentrent à la maison le soir après l'école.
Donc il s'agit vraiment d'être efficace avec le peu de temps disponible et d'être disciplinée. J'ai été journaliste pendant 12ans, avant de devenir écrivain, donc je sais comment m’asseoir à mon ordinateur et hop ... c'est parti. Ce qui m'aide également, c'est que lorsque j'écris un roman, j'y pense tout le temps, même lorsque je conduis quelqu'un à l'école ou lorsque j'amène quelqu'un au cours de danse. Je suis toujours en train d'y penser, j'imagine en permanence et tout cela fait aussi partie du processus de travail.
- Quel est le pays que vous préférez ? (Gayle a fait un tour du monde d'un an avec son mari)

Lors de notre tour du monde, mon endroit préféré a été l'Inde. En terme de ville préférée je dirai Paris et Amsterdam. Le pays où je n'ai pas encore été mais que je voudrais le plus visiter est le Brésil.
- Avec lequel de vos personnage vous identifiez-vous le plus ? Est-il plus facile pour vous d'écrire selon le point de vue de Mia ou d'Adam ?

Celui avec qui je m'identifie le plus est probablement Adam. Mia est celle que j'aime, que j'ai le plus envie de materner et de protéger. Mais après avoir écrit Là où j'irai, je pense qu'Adam est celui que je comprends le mieux. J'ai été très surprise par Mia car elle est très différente de moi. Quand sa voix a commencé à s'imposer à moi je me suis demandé d'où elle venait. Je ne suis absolument pas comme elle.
Je m'identifie avec Adam en terme d'hostilité et de rancoeur, sa colère d'avoir été laissé derrière. Toute mes angoisses d'adolescente et mon amertume se sont vraiment exprimés à travers lui, pour toutes les fois où j'ai été lâchée ou laissée derrière.
Ce qui était troublant dans le fait de prendre le point de vue d'Adam c'est d'être énervé contre Mia alors que je l'aime beaucoup. J'ai du me contenir dans les premiers brouillons car on était tous les deux très énervés contre elle. Et comment pouvais-je être en colère contre Mia alors que je l'aime tellement ? Mais je me plaçais du côté d'Adam et je ressentais ses émotions à lui.
Cela n'a pas été plus simple d'écrire d'un point de vue de l'un ou de l'autre. Si je reste a été beaucoup plus facile à écrire, il est venu beaucoup plus vite, plus propre. Avec Là où j'irai j'ai du faire quelque chose comme 20 brouillons, j'ai du l'écrire, et le réécrire encore et encore.
- Est-ce que vos personnages sont basés sur des personnes que vous connaissez ?

Oui, la maman et le papa dans Si je reste. Si je reste est basé sur une histoire vraie. Des amis sont morts dans un accident de voiture très semblable, c'était une famille de 4 et malheureusement ils sont tous décédés. Donc la maman et le papa de Mia sont basés sur la mère et le père et Teddy sur le petit garçon. 
Mia est vraiment sortie de nulle part, j'ai été choquée la première fois que je l'ai rencontrée. Adam a probablement des parties de mon mari mais mon mari n'est pas aussi parfait, ou en colère.
Je pense que c'est impossible de ne pas inclure des éléments, chaque personnage a des parties de gens que je connais. Henry a un peu de mon mari, Willow un peu de moi. Et il y a des fragments de moi dans tous mes personnages.
- Contrairement à beaucoup, j'étais très heureuse avec la fin de Si je reste et, dans un premier temps, lorsque j'ai entendu parler d'une suite j'avais un peu peur. Finalement, après avoir lu Là où j'irai je le trouve peut-être même meilleur. Cependant je suis curieuse de savoir si c'était prévu depuis le premier livre ou si cela a été une surprise, y compris pour vous ?

Non, certainement pas. C'est amusant, je pensais que Si je reste se terminait exactement là où il devait se finir. J'ai entendu des gens dire que c'était très brusque mais selon moi c'était la fin parfaite. Et je n'avais aucune intention du tout d'écrire une suite. Mais le problème c'est qu'Adam et Mia avaient une idée différente. Je n'arrêtais pas de penser à eux et de me dire que c'était une fin terrible, que je les avais laissés dans une situation très sombre et dramatique.
On se sent un peu responsable pour nos personnages, même s'ils ne sont pas réels. Quand on est un auteur ils le deviennent, en quelque sorte. Et je sentais que je devais les laisser dans un endroit plus tranquille et plus reposant. Je me suis battue contre cette idée pendant un an et puis finalement j'ai abandonné et j'ai écrit Là où j'irai. Mais je suis contente, je pense que les gens ont peu d'attentes pour ce nouveau livre, donc cela joue en ma faveur.

- Je suis impressionnée parce que dans Si je reste et Là où j'irai vous traitez de sujet assez sombres et dramatiques. Ecrits par quelqu'un d'autres ces deux livres auraient pu être déprimants, mais en réalité les deux sont très légers et contiennent beaucoup d'espoir. Est-ce que dans votre vie vous êtes une personne très positive ?
Je suis un gémeau donc j'ai un peu des deux en moi. Les deux livres traitent d'amour et l'amour est une chose compliquée, il peut nous amener dans des endroits sombres mais il peut aussi nous guérir. C'est vrai que les deux livres ont des passages douloureux mais comme ils traitent d'amour c'est une sorte de souffrance cathartique. Et après leur lecture on se sent en quelque sorte lavé de notre douleur. 

Cela ne m'intéresse pas d'écrire des livres déprimants. Je souhaite écrire des livres émotionnellement bouleversants mais absolument pas déprimants. J'écris le genre de livres que je souhaiterais lire.
- Est-ce que vous pouvez nous donner plus d'informations sur l'adaptation cinématographique ? Est-ce qu'il s’arrêtera à la fin de Si je reste ?

Les droits ont été achetés, pour le moment, seulement pour Si je reste. Ils ont les droits pour les personnages maintenant, donc personne d'autre ne peut les acheter pour Là où j'irai. Mais j'imagine que si Si je reste est produit et qu'il a du succès peut-être qu'ils choisiront de faire la suite, mais peut-être pas, on ne peut jamais savoir. Donc pour l'instant, la fin du film correspondra à la fin de Si je reste.
- Est-ce que vous travaillez actuellement sur un prochain livre ? Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Oui, j'écris un nouveau livre mais je ne peux pas en parler. C'est très différent, cela ne concerne pas du tout Mia et Adam, il y a quatre points de vue et c'est un livre pour young-adult, il n'y a pas de guitariste. Et je suis obsédée par ce roman ce qui est une bonne chose.
Il n'y aura pas de troisième livre avec Adam et Mia.
Thank you so much for this interview !
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