Les mondes parallèles de Fillon et Sarkozy.

Publié le 25 novembre 2010 par Letombe

Mercredi 24 novembre, François Fillon a engagé la responsabilité de son gouvernement auprès des seuls députés UMP pour la seconde fois. Il est assez inhabituel qu'un chef de gouvernement attende 10 jours après la constitution de son équipe pour recevoir cette confiance. Ce délai témoigne de la faible importance accordée aux députés-godillots par Nicolas Sarkozy. Ce discours de politique générale n'était qu'une formalité sans intérêt ni importance. Nicolas Sarkozy avait presque tout dit, il y a 8 jours, à la télévision. Pour le reste, on ne se lasse pas de commenter les mensonges « off » de Nicolas Sarkozy.
Le monde parallèle de Fillon
A l'UMP, Jean-François Copé a pris les rênes du parti, et s'est fait remplacer lundi par Christian Jacob à la présidence du groupe UMP de l'Assemblée nationale. Cette élection de Jacob, un proche du rival Copé, serait l'un des premiers échecs de François Fillon. Mais ce mercredi, tout le monde à droite et dans certains journaux voulait croire au « nouveau » Fillon.
Son discours de politique générale fut sans réelle surprise. La nouvelle stratégie électorale de Nicolas Sarkozy pour 2012 est de se poser en protecteur des Français. Grâce à lui, va-t-il nous vendre d'ici le premier tour de l'élection présidentielle en avril 2012, les Français ont été protégés de la crise, et, mieux, de la mondialisation. Il faut, coûte que coûte, effacer cette image de Présidence des Riches alourdie par l'échec de la quasi-totalité des promesses de campagne de 2007. Pour la forme, on veillera à toujours utiliser le terme de « réforme ». Fillon démarra fort : « La persévérance politique est le choix le plus conforme à l'intérêt national. »
Il appliqua surtout, ce mercredi, le programme présidentiel à la lettre. En élève appliqué, presque besogneux, il a tenté de glisser ici ou là sa petite touche personnelle. Insistant sur le redressement des comptes publics, Fillon a promis de ramener le déficit budgétaire sous les 2% du PIB en 2014. Il a surtout prononcé, à deux reprises, ce mot jadis honni du vocabulaire sarkozyen, la « rigueur ». Il a encore loué « un choix politique que nous assumons : le choix de la vertu budgétaire ». Il promet aucune « dépense publique supplémentaire.» Il va jusqu'à proposer l'inscription de l'équilibre budgétaire dans la Constitution. On a pu noter, ici ou là, d'autres affranchissements « incroyables » de la tutelle présidentielle. Ainsi, Fillon s'est-il permis une critique presque osée contre le bouclier fiscal : « Avec le bouclier fiscal, nous avons cherché à limiter les effets d'une fiscalité inadaptée mais, il faut le dire, sans traiter le mal à la racine. »  Sur le fond, Sarkozy avait déjà ouvert la voie à cette révolution copernicienne voici plusieurs mois.
Fillon ressemblait finalement à un toutou dont Sarkozy aurait assouplit (temporairement ?) la laisse.
En 47 minutes de discours, Fillon a aussi voulu rassurer des députés RPR-UMP conquis mais inquiets:  « l'élan de la réforme est intact.» Après trois ans et demi d'échecs, cette déclaration est curieuse : pas à pas, Nicolas Sarkozy a renié ses promesses (pouvoir d'achat, emploi, développement durable, droits de l'homme, pauvreté), jusqu'à annuler lui-même certaines de ses mesures (défiscalisation des emprunts immobiliers, identité nationale). A l'Assemblée, Fillon assumait sans complexe certains mensonges présidentiels : « Nous avons réussi à réduire la récession » ou encore :
Dans le détail, Fillon a tenter de présicer quelques-unes des « nouvelles nouvelles » promesses du moment :
- il y aura une réforme « profonde de la fiscalité du patrimoine », car l'impôt doit être « juste ». Cette formule du premier collaborateur du Président des Riches sera précisée plus tard, en juin. Au même moment, Sarkozy, recevant des sénateurs UMP, expliquait qu'il se refusera à créer une nouvelle tranche supérieure de l'impôt sur le revenu. Et Christian Jacob, le tout nouveau président des députés UMP, a précisé la pensée sarkozyenne : il faut  « taxer les revenus du capital plutôt que la détention du capital.» Ces aveux mériteraient à eux seuls une nouvelle nuit du 4 août.
- Fillon a promis de changer les « règles de la représentativité des organisations patronales ». Il s'agirait d'un gage pour améliorer le dialogue social. La formule sonne creux. 
- le gouvernement lancera une grande concertation nationale sur la protection sociale et sur la dépendance des personnes âgées. Un an après le débat sur l'identité nationale, le sujet est plus social et fidèle à la nouvelle stratégie de Sarkozy. Mais ne nous trompons pas, « Il ne faut pas laisser dériver les comptes de l'assurance maladie. Nous lancerons une concertation nationale sur la protection sociale qui associera les partenaires sociaux, les professionnels de santé, les mutuelles, les collectivités. »
- Fillon voudrait doubler le nombre de jeunes en alternance.
- sur les jurés populaires, Fillon s'est interrogé : « Quels délits peuvent donner lieu à des formations de jugement impliquant la participation d'assesseurs issus de la société civile? Faut-il envisager un seuil de gravité? Est-ce en première instance ou seulement en appel? ».
Finalement, François rata l'essentiel, coincé dans la vulgate sarkozyenne : à aucun moment, il n'expliqua comment il comptait améliorer la compétitivité de la France dans les 18 mois qui viennent, ni comment il espérait atteindre les 2% de croissance annuelle promis, quand la quasi-totalité des économistes privés tablent au mieux sur un petit 1,5%.
Sans surprise, le premier ministre et son gouvernement ont reçu la « confiance » des 326 députés UMP et Nouveau Centre présents ce jour là. La bouderie des « centristes », la semaine dernière, est terminée. Jean-Louis Borloo, d'ailleurs, grand courageux, a finalement décidé de conserver un pied à l'UMP.
Les affres pakistanaises
Nicolas Sarkozy, lui, reste empêtré dans l'affaire du Karachigate. Son intervention « off » vendredi dernier à Lisbonne devant des journalistes a finalement été publiée dans son intégralité, malgré les consignes de Franck Louvrier. Même l'enregistrement du coup de sang présidentiel a été livré au public. Depuis, chaque journal décortique, commente et analyse. Vendredi, Sarkozy a certes été méprisant, mais ce n'est pas la première fois. Il a été menaçant, mais là aussi, ce n'est pas nouveau. Mais il a livré de nombreuses inexactitudes :
1. Il a minimisé son rôle dans la campagne d'Edouard Balladurje l'ai soutenu »). Pour quelqu'un qui n'hésite pas à exagérer son importance dans l'action publique, il est croustillant de constater aujourd'hui comment il cherche à se faire tout petit. Samuel Laurent, pour le Monde, rappelle qu'il était bien plus qu'un simple porte-parole de campagne en 1995. Même si le directeur de campagne de Balladur était Nicolas Bazire, Nicolas Sarkozy était à l'époque présenté comme «l'homme-orchestre de la campagne » de Balladur.
2. Sarkozy a aussi minimisé son rôle dans la vente des trois sous-marins au Pakistan : sauf à croire qu'il n'a pas respecté la réglementation de l'époque, Sarkozy, en tant que ministre du budget, a bel et bien validé le montant des commissions, de toutes les commissions, versées aux intermédiaires. La suppression de l'agrément préalable en octobre 1992, mentionnée dans son argumentaire de défense, ne visait que les premières étapes de la négociation de ventes d'armements. Mercredi, Mediapart a d'ailleurs publié une nouvelle pièce au dossier : une lettre (ou projet de lettre, car le document n'est pas signé), de François Léotard ministre de la défense à Nicolas Sarkozy ministre du budget lui demandant d'octroyer la garantie de l'Etat au contrat de vente des 3 sous-marins.
3. Sarkozy a menti en déclarant qu'il n'était pas au courant de l'existence de la société HEINE au Luxembourg : « une pièce avec le nom de Nicolas Sarkozy, qui dit ça ? Mais enfin, écoutez, jamais. » « Vous comprenez, je ne sais pas, je n'en sais rien.» Libération a publié des courriers échangés avec Jean-Marie Boivin, le gérant de cette société, en 2006, quelques mois avant la campagne présidentielle de 2007. Un rapport de la police luxembourgeoise, en janvier dernier, a établi, pièces à l'appui, que cette société HEINE avait été créée sur instruction de Nicolas Sarkozy en 1994. Et le 24 janvier 2009, Boivin a conclu avec l'Etat un accord par lequel il recevait 8 millions d'euros d'honoraires pour « bons offices » après la dissolution de la dite société.
4. Sarkozy ne s'est pas expliqué sur les entraves à l'enquête des juges en charge des différents volets de l'affaire. Pourquoi donc les juges réclament encore et toujours des documents qu'on leur refuse.
5. Sarkozy a minimisé les soupçons de rétro-commissions dans cette vente d'armement. Or, Charles Millon, ancien ministre de la Défense de Jacques Chirac en 1995, a expliqué au juge Renaud Van Ruymbeke que son « intime conviction » reposait sur des rapports oraux et une enquête de la DGSE, même si, a-t-il reconnu, aucune « preuve tangible de ces dépôts » n'avait été trouvée.
Finalement, ce vendredi soir devant quelques journalistes, Nicolas Sarkozy a surtout oublié les familles des victimes. Pas une phrase, pas un mot.
Le syndrome grec
Après la Grèce, voici l'Irlande attaquée par des spéculateurs. Nicolas Sarkozy « parlera » jeudi au téléphone à Angela Merkel. La précision est officielle. L'Irlande a finalement accepté de réclamer l'aide financière des Etats-membres de la zone euro, ainsi que du Royaume Uni, dans le cadre du dispositif adopté au printemps dernier au moment de la crise grecque. L'Irlande a besoin de quelques 85 milliards d'euros de prêts, européens ou bilatéraux, pour faire face à ses échéances et éviter d'emprunter trop cher sur des marchés devenus méfiants. On s'inquiète déjà pour le Portugal (35 milliards d'euros) et l'Espagne (350 milliards d'euros).
L'enveloppe européenne n'est pas sans fin : en avril dernier, 17 Etats européens s'étaient mis d'accord sur 750 milliards d'euros d'ici 2013, dont 60 milliards de prêts financés sur fonds communautaires, 440 milliards de garanties bancaires des Etats, et 250 milliards d'euros garantis par le FMI. Mais certains analystes doutent que l'Europe puisse mobiliser autant d'argent et de garanties : les Etats aidés (Grèce, Irlande, et peut-être le Portugal voire l'Espagne), ne pourront pas aider à leur tour, ... par définition. Le dispositif du printemps dernier ne prévoyait pas un effet domino. L'enveloppe de prêts et garanties mobilisable serait plutôt d'environ 475 milliards d'euros, un montant insuffisant pour assurer un pays supplémentaire comme l'Espagne.
Mercredi, François Baroin assurait que l'aide européenne était suffisante. Une langue de bois inévitable, et sans doute, indispensable.

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