Garçons ! La note !

Publié le 26 novembre 2010 par Jlhuss

On a les débats inutiles qu’on peut. A Byzance, on dissertait sur le sexe des anges. A Paris on s’écharpe au sujet des notes. Tout ça ne nous rajeunit pas (je parle des notes, en dépit de mon grand âge, je n’étais pas né quand Constantinople est devenue Istamboul). Moi qui vous cause, j’ai assisté, avant même 1968, à des échanges sur le sujet dont si je n’ose prétendre qu’ils furent les premiers, j’affirme qu’ils étaient, à peu de chose près, identiques à ceux qui viennent d’encombrer radios, télé »et journaux.  Je peux même ajouter qu’ils ont donné lieu à une branche particulière des sciences (molles) de l’éducation qui porte le joli nom de docimologie.

La docimologie ne serait pas une science, même molle, si elle n’avait ses chercheurs, ses docteurs et ses professeurs aucune de ces professions n’étant exclusive des trois autres. Il va de soi que l’accumulation des articles, mémoires, thèses et actes de colloques sur le sujet doit, au jour d’aujourd’hui, suffire au chargement d’un cargo porte-conteneurs. Qui aurait le temps et la patience d’étudier cette somme, y ferait certainement des découvertes bouleversantes et que personne n’aurait pu imaginer si la science, molle, ne s’était penchée sur la question. Ainsi, la chose sera difficile à croire, l’échelle des notes varie presque autant d’un enseignant à un autre que celle des peines entre le tribunal de Brives la Gaillarde et celui de Quimper (si ces deux juridictions existent toujours). On remarque aussi, c’est le sujet de la pétition qui est à l’origine de ce billet, que la note, quand elle est bonne, réjouit le cœur de l’élève lambda qui, du coup, résout avec enthousiasme les problèmes les plus ardus et entrera plus tard à l’ENA. Si elle est mauvaise, au contraire, elle l’attriste au point, de le décourager d’apprendre la table de multiplication par sept ce qui l’incite à rester au bas de sa cage d’escalier pour y vendre des produits illicites, activité qui ne requiert que la maîtrise de l’addition et de la soustraction (avec retenue à la source pour les fournisseurs).  On comprend immédiatement et sans qu’il soit besoin de faire un dessin le gain social (*) obtenu si l’on se décidait à supprimer cette machine à produire du délinquant et à la remplacer…

La remplacer par quoi au fait ? Des lettres ? Parce que si Kevin alignait les D, il serait moins complexé que s’il entassait les deux ? Exit donc les lettres et passons à autre chose : l’évaluation personnelle, idée à la fois généreuse et géniale qui consisterait à ne prendre en compte que les progrès réalisés par les élèves sans jamais les comparer entre eux. Ainsi, quand notre ami Kevin aurait, au bout de quatre années de dur labeur assimilé la conjugaison du verbe chanter au présent, cette performance serait considérée comme égalant celle de Louis-Germain qui, dans le même temps (mais vraisemblablement pas dans la même école) auraient appris à maîtriser les redoutables fantaisies des plus retors des verbes du troisième groupe.
Je sais, je caricature, mais c’est qu’il faut bien constater qu’il en est de l’éducation comme de la littérature. Les bons sentiments ne suffisent pas à produire de la qualité. Après quatre décennies et vingt réformes toutes plus modernes et bien intentionnées les unes que les autres, il y a aujourd’hui de moins en moins d’enfants issus des classes populaires dans ce qu’il est convenu d’appeler les filières d’excellence et les résultats obtenus par notre pays lors des évaluations (collectives) internationales sont de plus en plus mauvais. Très sincèrement, je ne pense pas que le nouveau mode de recrutement des maîtres qui supprime toute espèce de formation professionnelle, comme si le métier d’enseignant était le seul qu’on n’a pas besoin d’apprendre, arrangera les choses. Au regard de cette catastrophe annoncée, la question de savoir si l’on doit, ou non, supprimer les notes n’apparaît à peu près aussi sérieuse que celle qui agitait jadis les jurys du certificat d’études primaires, lorsque l’on se demandait si, dans l’hymne national, les candidats devaient chanter « un sang qu’impur » ou si l’on pouvait admettre « un sang  himpur » . Une devinette pour finir :
Comment dit-on « rideau de fumée » en langage ministériel ?
Trop facile : on dit « débat de société »

Chambolle

(*) expression directement tirée du fatras en attente d’embarquement sur le porte-conteneurs évoqué plus haut)