Littérature gastronomique

Publié le 28 novembre 2010 par Bernard Girard
Je n'avais pas mais alors pas du tout aimé les précédents livres de Houellebecq (voir ici). Je lis le dernier, La carte et le territoire, qui vient de recevoir le Goncourt. Agaçant, écrit à la façon d'un article de Paris-Match, mais intéressant. On y retrouve ce goût de l'auteur pour les écritures industrielles (catalogues, guides touristiques, manuels de management, mais aussi encyclopédie façon Wikipedia…) avec quelques perles comme ce passage où parler pour ne rien dire atteint des sommets qui m'enchantent : "Il n'y avait pas grand monde ce soir-là dans le restaurant, juste un couple coréen qui partit assez vite. Olga opta pour un gaspacho à l'aragula et un homard mi-cuit avec sa purée d'ignames, Jed pour une poêlée de Saint-Jacques simplement saisies et un soufflé de turbotin au carvi avec sa neige de passe-crassane. Au dessert Anthony vint les rejoindre, ceint de son tablier de cuisine, brandissant une bouteille de bas armagnac Castarède 1905. « Cadeau de la maison... » dit-il, essoufflé avant de remplir leurs verres. Selon le Rothenstein et Bowles, ce millésime envoûtait par son amplitude, sa noblesse et son panache. Le finale de pruneau et de rancio était l'exemple type d'une eau-de-vie rassise, longue en bouche, avec une dernière sensation de vieux cuir."
Comme souvent les restaurateurs qui écrivent leurs cartes, Houellebecq multiplie les mots sans référent ou qui, plutôt, font référence à des composants dont on n'a pas la moindre idée : qui sait que l'aragula (on dit aussi arugula) est de la roquette? que le carvi est un cousin du fenouil et de l'anis et que la passe-crassane est cette poire jaune que l'on trouve décorée d'un pointe de cire rouge. Quant à rancio c'est, semble-t-il, un mot du vocabulaire des oenologues qui évoque un goût doux et moelleux, vaguement madérisé utilisé pour décrire les liqueurs.


Rothenstein et Bowles fait penser à un guide des vins, genre Parker en plus raffiné mais je n'en ai pas trouvé trace (après une recherche sur Google, naturellement, ce livre est de ceux qu'on lit avec internet, c'est en cela qu'il est, malgré tout, moderne). Inventé par Houellebecq dans un de ces jeux où la multitplication des mots que l'on ne connait pas mais qui existent, des références à des personnages (Beidberger, Hirst…) ou des produits qui existent (Armagnac Castarède) l'autorisait à nous faire prendre pour vraies des fantaisies qu'il a imaginées. 


Un peu plus loin dans le même chapitre, il nous apprend que Jean-Pierre Pernaut, dont il fait un cuisinier, a fait son coming out et déclaré à la télévision : "oui, j'aime David". Tout est un peu de cette eau qui n'est pas sans rappeler les jeux de l'oulipo ou, dans un regitre différent, ces peintures en trompe l'oeil qui révèlent, par un détail saugrenu, ce qu'elles sont.


On retrouve ce même jeu avec la vérité dans ses personnages, dont Houellebcq, cet écrivain antipathique (l'auteur, non pas celui qui signe le livre mais celui que décrivent les journalistes) auquel son personnage principal, Martin, va rendre visite (on apprend de la bouche de Beidbeger,autre personnage de fiction traité comme un sujet d'article de journal, qu'il est radin et qu'il acceptera d'écrire la préface de son catalogue s'il est assez bien payé, on découvre qu'il boit qu'il est dépressif, vaguement raciste, enfin déplaisant).