Samedi dernier, à 20h40, sur ARTE, « LE PREMIER EMPEREUR DE CHINE » (II).

Par Ananda

Comme attendu, voici le deuxième volet du palpitant docufiction américain qui, le samedi d’avant, nous avait si bien relaté l’ascension, dans la soie et le sang, du premier empereur de Chine, QIN Che Huang-Di le Grand.

La continuation de cette « fresque spectaculaire », abondamment illustrée de scènes de cour et de violence reconstituées (avec dialogues en chinois sous-titrés), ne sera pas pour nous décevoir.

Donc, place à ce second volet.

Une voix solennelle, martiale, tragique, pour commencer, nous « met dans le bain » : « il s’est forgé un empire en versant le sang en abondance » ; « terreur et tragédie sont consubstantielles au premier empire chinois » ; « le premier empereur a suscité l’émerveillement du monde entier mais il s’est aussi enfoncé dans les profondeurs du désespoir ».

En 221 avant Jésus-Christ, le premier empire chinois vient d’être créé par le roi de QIN qui, un à un, a défait les armées de tous les Royaumes Combattants.

Cependant, ne nous leurrons pas : si le pouvoir de Che Huang-Di est « immense », sa situation et celle de son empire tout neuf demeurent « très précaires ».

La « principale préoccupation » de l’homme toujours sur ses gardes qu’est l’empereur  a pour objets les familles régnantes des royaumes qu’il a éliminés.

QIN Che Huang-Di, notamment, sait combien les ZHOU et les HAN le « détestent ». Aussi arrête-t-il la décision d’arracher les nobles de ZHOU à leur terre et de les installer, de les « exiler » dans la capitale de QIN, où des palais son bâtis à leur intention, sur son ordre. Il fait là, en somme, ce que Louis XIV, en France, fera bien plus tard avec Versailles, pour « avoir sa noblesse à l’œil ».

Au total, nous dit-on, 120 000 familles aristocratiques des différents états vaincus et annexés par QIN sont de la sorte « arrêtées et déportées ».

Poussé par la tendance très nette à la mégalomanie qui le caractérise, l’empereur a résolu de faire de sa capitale « le centre du monde » et, par conséquent, « un microcosme de l’empire ».

Ensuite, QIN Che travaille méthodiquement à son « vaste projet » d’édification d’un « même et unique empire ».

Travail de centralisation et d’uniformisation qui se traduit par trois grandes « standardisations » qui revêtent une importance énorme : celle des poids et mesures, celle de la monnaie (il impose la monnaie de QIN à tout le monde) et celle de l’écriture.

Parallèlement – et toujours dans le même état d’esprit – il met en place un « appareil de gouvernement et de contrôle sans précédent ». Son chancelier LI SEU «  divise le pays en 36 commanderies », administrées directement par le pouvoir central. Plus question de « népotisme » désormais, puisque les fonctionnaires deviennent « révocables à merci » !

En 1975, l’ « excavation » du tombeau d’un fonctionnaire de cette époque a permis de ramener au jour « de nombreuses lamelles de bambou » sur lesquelles certaines lois de l’Etat se trouvaient consignées. Ce qui, d’emblée, frappa les observateurs qui les étudièrent, ce fut le caractère prodigieusement tatillon et assurément « impitoyable » des textes qu’ils avaient sous les yeux. Les lois promulguées par l’empereur QIN ne faisaient pas dans la dentelle : leur but manifeste était rien moins que de « contrôler le comportement de tout être humain dans tout le pays ».

Un peu comme à Singapour aujourd’hui (toutes proportions gardées bien sûr) « la moindre transgression était sanctionnée ». Et ces sanctions consistaient en des châtiments de la plus extrême sévérité, parmi lesquels « diverses formes de mutilations » et « l’écartèlement», qui pour sa part constituait sans doute le pire, puisqu’il était sensé, de surcroît, priver l’âme du supplicié de toute possibilité  d’accès à l’au-delà, en raison de son caractère considéré comme dégradant.

On mesure donc la véritable « terreur » que devait entretenir, dans la population, un tel système. Cette terreur était d’ailleurs le but qu’il recherchait ouvertement.

Ainsi QIN obtient-il, grâce à ses lois et à son appareil administratif, une Chine entièrement sous contrôle.

Par contre, il est toujours en butte à l’agressive turbulence des nomades « barbares » du nord et de l’ouest, qui, attirés par la richesse de la Chine, poursuivent leurs attaques régulières.

« Les incursions des HUNS désorganisaient le travail des champs des Chinois et perturbaient leur commerce ». Excédé, QIN Che Huang-Di convoqua un général expérimenté nommé MONG TIEN, dont la famille était l’une des rares à bénéficier de toute sa confiance. Devant une maquette, les deux hommes, après avoir longuement discuté, se mettent d’accord sur l’objectif de « relier les fragments de remparts » multiples qui émaillaient jusqu’alors la frontière nord de la Chine dans le but de la protéger des hordes barbares. Le « projet Grande Muraille » est lancé !

Nullement découragé ni arrêté par le fait pourtant criant qu’à ce moment-là, « la population était dans la misère et l’état manquait d’argent », QIN Che Huang-Di entreprit la construction de ce colossal ouvrage de plus de 7 000 km (qu’on sait maintenant visible de l’espace !) en n’hésitant pas à « enrôler  de force un million d’hommes ».

L’édification de la Grande Muraille coûta au bas mot 1 00 000 vies humaines. Les ouvriers travaillaient tels des bêtes de somme, dans les pires conditions, et tombaient comme des mouches. On se débarrassait des cadavres en les jetant dans le mortier des murs !

Mais, aux yeux de l’empereur, tout cela n’avait pas la moindre importance. Seuls comptaient ses propres désirs et ses volontés de tyran.

Après les problèmes dans le nord – solutionnés par la Muraille – QIN, décidément infatigable , porta son attention vers le sud.

La partie sud du territoire chinois actuel, tropicale, était alors habitée par des populations vietnamiennes , qui n’entendaient pas se laisser dominer par la Chine. De sorte qu’en 219 avant J-C, l’empereur se sentit obligé d’organiser une campagne en pleine jungle inextricable. Très rapidement, malgré leurs efforts, « les QIN se trouvent enlisés » ; « ils ont du mal à localiser et à détruire les vietnamiens, guerriers subtils » et très habiles à mettre à profit leur environnement pour se cacher dans les innombrables marécages et denses forêts que recèle l’extrême sud du sous-continent. Confrontés à cette « guerre confuse » qui les déroute, les QIN connaissent les mêmes problèmes que connaitront, quelques millénaires plus tard, d’autres adversaires des Viêt. Leur plus sérieux obstacle est lié à des difficultés d’approvisionnement. Ils l’écarteront cependant en construisant, en moins d’un an, le canal LIN CHEU, authentique « merveille d’ingénierie » qui leur donnera enfin la possibilité de ravitailler plus facilement leurs troupes en denrées. Le canal LIN CHEU aura un effet décisif. Peu de temps après son percement, les anciens vietnamiens seront vaincus et la région, définitivement conquise par la Chine, sera sinisée.

L’empereur, soldat dans l’âme, est satisfait de ses succès militaires.

Pourtant, comme nous l’avons vu, il « sous-estime beaucoup trop » les souffrances qu’endure son peuple. Pour lui, ce dernier est juste à son service, au service de ses desseins.

« Le mécontentement populaire croît et les révoltes couvent ».

QIN, toujours aussi méfiant, fait envoyer des espions partout ; leurs rapports, accablants, n’ont pour effet que de le rendre « encore plus paranoïaque ».

Et, de fait, il ne manque pas de raisons de s’inquiéter, puisque « même les nobles QIN tendent à devenir hostiles »

Cherchant à se distraire de ses soucis sans nombre, l’empereur « installe des musiciens talentueux dans son palais ». Parmi ceux-ci figure le très réputé musicien aveugle CAO DIEN. CAO DIEN, qui lui aussi en est venu à détester cordialement l’empereur, « remplit sa cithare de plomb » et, en plein récital, la projette sur QIN Che pour tenter de lui fracasser le crâne. Il est maîtrisé de justesse.

Cet attentat, qui frappa QIN dans sa quarante cinquième année, sera marquant, puisqu’il provoquera, chez le premier empereur, l’éclosion en bonne et due forme d’une « paranoïa psychotique » qui couvait déjà depuis un bon nombre d’années et dont nous avons, à maintes reprises, signalé les signes avant-coureurs.

Pour comprendre, rappelons que la vie de l’empereur QIN, depuis l’âge le plus tendre (cinq ans !) a été jalonnée de chocs, de traumatismes, de menaces pesant sur son existence même et venant de son entourage le plus proche. Il faut croire que le redoutable homme n’était pas aussi fort psychiquement qu’il voulait tant le laisser paraître !

Toujours est-il qu’en dépit de tout ce qui venait de se produire, le souverain, essayant de faire comme si de rien n’était (attitude, en soi, très chinoise) fêta son quarante cinquième anniversaire selon l’usage, « en s’entourant de nombreux lettrés » chargés, comme le voulait aussi la tradition, de lui adresser des louanges. Mal lui en prit : contre toute attente, le lettré TCHUN, à cette occasion, se leva et, dès qu’il eût pris la parole, se mit en devoir de souligner, avec une grande insistance, « l’étroitesse d’esprit, l’ignorance, la méconnaissance du passé » dont, selon lui, le maître de la Chine se rendait coupable. LI SEU, aussitôt, de s’insurger « contre une telle insolence », et de se hâter de contrer TCHUN en se lançant dans un éloge dithyrambique du changement et du « monde meilleur » instauré par le génie de QIN Che.

C’est alors que le chancelier va suggérer à ce dernier « la ligne de conduite qui lui sera fatale ». Ce que LI SEU préconise, c’est de « supprimer les textes anciens ».

Il en résulte un décret radical, au terme duquel seront détruits par le feu « des siècles de pensée chinoise » !

Plus généralement encore, « tous les livres sont confisqués, dans toutes les maisons ».

Les lettrés confucéens, qui se sentent agressés par ce qui, à leurs yeux, est de l’ordre du sacrilège, sont au comble du mécontentement. Les relations entre l’intelligentsia et l’empereur QIN s’enveniment au point que les intellectuels, à ses yeux désormais hautement suspects, deviennent l’objet d’une « enquête ».

Plus que jamais, QIN est possédé par sa soif dévorante de « contrôle total sur son environnement et sur les gens qu’il côtoie ». Tout le monde tremble devant lui, et cela est très bien rendu dans le film. Tout ceci est la marque d’une « mégalomanie paranoïaque ».

Les lettrés vont le payer très cher ; ils seront la cible de « mesures extrêmes ».

Pour commencer, la moitié d’entre eux se verra expédiée sur le chantier de la Grande Muraille. On sait qu’une telle décision ne peut qu’équivaloir à un « arrêt de mort », vue la dureté inhumaine des conditions de travail qui règnent là-bas.

La deuxième moitié, pour sa part, ne subira pas un sort plus enviable : 460 de ces malheureux seront, en effet, « brûlés vifs », tandis que le restant sera « enterré vivant ». Là, on ne peut s’empêcher de penser aux excès maoïstes de la Révolution Culturelle, avec son délire anti-intellectuel qui coûta la vie à tant de gens !

Mais revenons à l’ère QIN : la persécution enclenchée par le tyran contre les lettrés déclenche un « tollé général » qui, malgré la peur, se manifeste.

L’opinion publique chinoise est profondément choquée par ce qu’elle considère comme une atteinte à une tradition millénaire. En Chine, en effet, les lettrés constituaient une sorte de « contre-pouvoir » avant la lettre, et « il était admis qu’un lettré fasse des remontrances au souverain au nom des sages textes anciens ». La sagesse et l’autorité de la pensée (via les livres) jouissaient en fait d’un bien plus grand prestige que le pouvoir.

QIN se trouve placé, dès lors, dans une étrange position. Il fait figure d’homme brutal dans la mesure où il méprise les sages, et crache sur la tradition. « Plus il devient impitoyable, plus son pouvoir semble se fragiliser ».

D’ailleurs, peu de temps après, c’est au tour de « signes défavorables » d’apparaître.

Tel ce « fantôme » (est-ce légende ou mise en scène habile ?) qui, une nuit, se « matérialise » devant un groupe de soldat, dans un camp de l’armée. « Esprit d’un guerrier QIN tué lors des guerres d’unification », il brandit –ô horreur – le disque de jade offert par QIN Che au dieu de la rivière en remerciement de sa victoire sur tous les Royaumes Combattants (cf. le premier volet du documentaire) et, l’air mauvais, le rend aux soldats !

Ce geste est sans équivoque : il signifie que l’offrande de QIN a été rejetée, que les puissances surnaturelles n’en veulent pas parce qu’elle est impure et que, par conséquent, « la souveraineté de l’empereur est mise en cause ».

A ce stade, tout se met à aller mal : on rapporte le disque de jade à QIN (lequel, pour ne pas perdre la face ni regarder la vérité en face, se dépêche de le rejeter, dans le plus grand secret, de nuit, dans l’eau des douves de son palais) ; des tas de comètes se mettent à sillonner le ciel (très, très mauvais présage en Chine).

Confusément, l’empereur QIN sent que « le temps de rendre des comptes est venu ».

Pourtant, la démesure de son orgueil est là, toujours aussi prégnante, empêchant toute velléité, toute idée même d’autocritique. QIN « s’efforça de supprimer les preuves qui témoignaient contre lui ».

Affolé, terrifié, il sombre dans la paranoïa totale. Une paranoïa qui le pousse à « déménager sans cesse d’un palais à l’autre ».

« Le premier empire chinois a, à ce moment-là, dix ans d’existence ».

Et son souverain, maintenant « convaincu que le monde des esprits est contre lui », se sent traqué de toutes parts. Sa maladie est devenue telle qu’il est en proie à des crises de délire.

LI SEU, le fidèle LI SEU lui-même, tremble devant la méfiance grandissante de son maître, qui voit en chacun de ses ministres un rival potentiel. QIN Che s’irrite bientôt des marques d’attention prodiguées à son chancelier par les courtisans. LI SEU a  un tort : « il fait étalage de son luxe et profite de sa position », ce qui, là encore, déplait à QIN.

Le châtiment va être très sévère : un bain de sang en plein palais, dont seul, finalement et malgré tout, sortira épargné LI SEU (dont QIN continue d’avoir besoin).

En désespoir de cause, toujours aussi miné par  l’inquiétude, QIN Che Huang-Di décide d’effectuer un pèlerinage au MONT TAÏ, pour tenter de se réconcilier avec le Ciel.

Il gravit le mont sacré (qui, à l’époque, passe pour le mont le plus élevé de Chine) et, une fois son sommet atteint, il y effectue le « sacrifice aux esprits cosmiques », sous forme d’offrandes jetées dans le feu. « Mais en cet instant, voilà qu’un très gros orage éclate », ce qui, là encore, est un signe très funeste. « L’empereur doit accepter le fait qu’il n’est qu’un simple mortel ».

Sous le coup de ce nouveau choc, son esprit malade échafaude un nouveau délire, axé sur l’acquisition de l’immortalité.

Cette obsession tenace va l’amener à se mettre en quête d’alchimistes et à consulter, dans le but de « prolonger sa vie », des kyrielles des « magiciens ». Ces derniers le gratifient d’un nombre impressionnant de promesses et lui proposent tous les « élixirs » possibles et imaginables. Hélas pour QIN, les expériences se concluent toutes par des échecs. Pour autant, il ne se décourage guère. Le « désespoir », allié à la hantise, l’ont rendu très « crédule ».

Il s’entête et « la pression qui pesait sur les alchimistes était très forte ».

En définitive, on lui propose ce qui passe pour un remède-miracle : un composé de mercure et d’arsenic qu’il accepte de boire, régulièrement. A l’époque, on ignore encore qu’un tel composé est très toxique.

Allégrement, QIN continue de « financer tous ces magiciens ». La crédulité, chez lui, a balayé les dernières lueurs de la raison. Il ne recule plus devant aucune folie, tant son idée devient fixe.

Pour preuve : on en vient à lui parler, un jour, d’ « îles magiques situées à l’est et peuplées d’immortels qui, cependant, ne consentaient à confier leur secret de vie éternelle qu’à des enfants ».

Que n’avait-on pas dit là ! QIN expédie 500 jeunes gens et jeunes filles vierges à bord d’un bateau qu’il fait lancer sur la Mer de Chine, vers l’est ; ceux-ci « ne reviendront jamais ». Devant de telles folies, on songe à Caligula, ou à Néron.

Mais, vite, une autre idée germe dans la pauvre tête enfiévrée de QIN : « il en vint à croire que la mort n’était pas la fin de tout et que la vie pouvait se prolonger au-delà du trépas, de façon invisible mais réelle ». Il se prit aussi, un moment donné, à s’imaginer qu’il allait devenir « le seigneur des enfers ».

La folie n’empêcha pourtant pas le premier empereur de bien veiller à se faire bâtir une sépulture à sa mesure (ou, plutôt, à sa démesure).

D’après ce qu’on sait, « 500 à 700 000 hommes ont été affectés à la construction du tombeau de QIN ».

C’était (paranoïa oblige !) un tombeau redoutablement protégé : « celui qui ouvrait le portail » du mausolée central était immédiatement tué par « une très grande arbalète » au déclenchement automatique, laquelle décochait un carreau long de pas moins de trois mètres.

Bon nombre de personnes furent enterrées vivantes dans cette cité mortuaire : parmi elles, « de nombreuses femmes du harem de QIN » mais aussi « des personnes de très haut rang » qui désiraient suivre leur maître dans l’au-delà  auquel, en bons Chinois anciens, elles croyaient fermement.

Les savants l’affirment : « QIN a créé une capitale pour les morts ».

Normal : il était mégalo, il voyait grand, quelque soit le domaine considéré.

Dans cette « capitale », les fameuses statues de soldats en terre cuite grandeur nature remplissaient un rôle essentiel : creuses afin d’accueillir les âmes des guerriers QIN décédés, elles avaient pour mission de protéger leur empereur dans son ultime sommeil.

Elles sont si nombreuses que, d’après ce que nous disent les archéologues, « on en déterre encore aujourd’hui et il est plus que probable qu’on en déterrera encore longtemps ».

Reste que « personne ne sait ce qu’il y a au-delà des soldats en terre cuite ». On aperçoit une espèce de butte, qui doit abriter le mausolée. Mais elle demeure toujours intacte et quelqu’un se hasarde à dire qu’ « il est peu probable qu’on ouvre jamais un jour le tombeau du Premier Empereur ».

Certaines sources ont prétendu que le sanctuaire intérieur recelait de vraies merveilles ; on a parlé, par exemple, de « reconstitutions en miniature de tous les palais QIN, avec plafonds en pierres précieuses, rivières, lacs et océans en mercure » ou, encore, de multitudes d’objets utilitaires et/ou précieux, ce qui parait tout à fait conforme aux habitudes des anciens Chinois en matière de sépultures (au cours des âges et de par le monde, de nombreux peuples qui croyaient ferme en une vie après la mort calquée sur celle des vivants ont eu pour coutume d’accompagner les défunts de leurs objets usuels ou de représentations peintes de leurs cadres familiers ; exemples : l’Egypte pharaoniques, les tumulus des rois celtiques).

Actuellement, les autorités et les scientifiques chinois refusent purement et simplement d’ouvrir la chambre funéraire de QIN, le prétexte invoqué étant la « peur de détériorer ce qui s’y trouve ».

Comme on lui avait soutenu que la vie éternelle ne s’acquerrait qu’en restant tout le temps en mouvement, QIN – ultime extravagance – entreprend une dernière « expédition » qui le conduit à « parcourir son empire accompagné de son armée ». Il a alors 49 ans, mais « sa santé est en train de l’abandonner ».

Ainsi que l’attestent ses symptômes, un « grave empoisonnement au mercure » ronge peu à peu son organisme.

« Ironie du sort , jusqu’à la dernière minute, QIN a espéré qu’il ne mourrait pas » alors même qu’il continuait de boire assidûment « la drogue qui était en train de l’empoisonner » !

Il fut découvert mort par LI SEU « à l’automne de la trente septième année de son règne ».

Quels qu’aient pu être ses travers, ses égarements, ses inhumanités, ses côtés vraiment détestables, il n’en reste pas moins que QIN « a été l’un des plus grands hommes de l’histoire du monde ».

On ne peut contester qu’ « il a changé la face du monde », qu’il « a fait la Chine ».

Malheureusement, après sa mort, LI SEU, désireux de continuer à garder la haute main sur l’Etat (le pouvoir est décidément une sacrée drogue !) prit soin de changer son testament. QIN ayant nommément et fermement désigné comme successeur son fils aîné, le chancelier modifia les termes du document en sorte que la succession revienne au « fils le plus jeune, le plus faible, le plus inexpérimenté et le plus lâche » du défunt empereur. Quatre ans seulement après la disparition du grand homme, à l’issue d’une suite de soulèvements, les HAN terrassèrent les QIN et fondèrent une nouvelle dynastie, moins rigide, plus humaine, quoique, toujours, dans les grandes lignes, fidèle aux vues du premier empereur.

« Depuis, la Chine ne s’est jamais départie de la structure politique établie par l’empereur QIN », dont le grand mérite aura été de créer « le sens de l’Empire ».

Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est qu’aujourd’hui encore – et ce grâce à lui, et à nul autre – les Chinois restent convaincus que la force de la Chine réside dans sa solidarité et dans son sens de l’unité.

Convenons-en, nous disent les savants, « en QIN Che Huang-Di, il faut voir une très grande figure de l’Histoire mondiale, aussi importante que Jules César, Napoléon Bonaparte, Adolf Hitler ou Mao Zedong » (lequel, probablement, du reste, devait, de façon plus ou moins consciente, s’identifier à cette figure-clé de l’histoire de son propre pays). Et l’un d’entre eux, non sans un sourire malicieux qui sans doute se réfère aux taraudantes inquiétudes de QIN concernant la vie éternelle, conclut : « pour nous, il est immortel ».

P.Laranco