Sauvons tous La Petite Bande

Publié le 02 décembre 2010 par Philippe Delaide

Je me permets d'éditer sur ce post l'intégralité du message que m'a transmis Marleen Kuijken-Thiers qui oeuvre depuis plus de deux ans pour tenter de sauver l'ensemble musical La Petite Bande. Il me semble impensable que cet ensemble disparaisse tant il est emblématique de tout le travail admirable fait par les "baroqueux" depuis trente ans. Sous la houlette de Sigiswald Kuijken, La Petite Bande nous a éclairé de façon admirable, notamment sur le répertoire sacré, et plus spécifiquement celui de JS Bach. J'ai alors tout de suite signé la pétition de soutien diffusée l'année dernière, au moment où le Ministère de la Culture néerlandais menaçait de couper purement et simplement tous les subsides à cet ensemble. Dans le contexte de crise économique et financière que l'on connaît, La Petite Bande est à nouveau sérieusement menacée, les pouvoirs public néerlandais risquant à nouveau de se désengager massivement, sur l'action culturuelle en général et sur cet ensemble en particulier. Ce dernier se trouve donc contraint de fonctionner en partie par souscription. Je vais, pour ma part, contribuer. Même si vous le faites modestement, vous envoyez un message très fort de refus catégorique de toute "amnésie" à l'égard de contributeurs majeurs de la vie culturelle en Europe.

Mail reçu le 30 novembre :

Madame, Monsieur,
Un an après ma lettre de novembre 2009, je me remets aujourd’hui
derrière l’ordinateur, en tant qu’épouse de Sigiswald Kuijken,
pour vous raconter comment se portent aujourd’hui Sigiswald et La
Petite Bande.
Mais j’aimerais tout d’abord remercier cordialement tous les
généreux donateurs pour les dons qu’ils ont fait parvenir l’an
dernier – à l’occasion de la fête de Sainte Cécile, patronne
des musiciens ! – à notre fondation « Support La Petite Bande ».
À chaque fois, chaque virement nous réchauffait le coup, et
participait un peu à mon rêve (naïf) d’une « chaîne de foi,
d’espoir et d’amour » autour de Sigiswald et de La Petite Bande.
C’est pourquoi nous organiserons à l’été 2011 un évènement
pour nos chers donateurs. Un évènement avec Sigiswald qui leur soit
spécialement destiné. Ce sera une expression concrète de notre
gratitude. Nous enverrons d’ici six mois une invitation personnelle
à tous les donateurs.
Il semble pourtant que le montant que nous devions collecter de cette
manière ne soit pas suffisant pour ce que nous voulions réaliser.
Nous aimerions par exemple énormément donner ces prochaines années
l’opéra L’enlèvement au sérail de Mozart en version concert et
le graver sur CD. Nous avons déjà donné cette œuvre par le
passé, mais nous avons malheureusement toujours eu trop peu de
moyens financier pour pouvoir l’enregistrer... Ce genre de projets
est de plus en plus difficile à réaliser, alors qu’ils sont
extrêmement précieux autant pour vous que pour nous. Voilà
pourquoi je reviens aujourd’hui frapper à votre porte pour essayer
de réunir les sommes dont nous aurons besoin à l’avenir.
Nous continuons parallèlement à chercher assidûment d’autres
moyens financiers pour La Petite Bande. Mais c’est très difficile
en ces temps de crise. Car la crise bancaire a plongé le monde
entier dans une spirale de peur et de prudence en matière de
finances. Cela a également des conséquences sur les subsides
alloués par l’État… On doit entreprendre des coupes partout, et
il semble que l’on doive aussi économiser sur les subsides du
secteur artistique et que les ensembles doivent désormais compter
sur d’autres sources de revenus que les subsides… ce qui met
aussi La Petite Bande au pied du mur.
Voilà pourquoi je lance avec cette lettre un nouvel appel invitant
à continuer à soutenir La Petite Bande. *
Un proverbe dit : « Les petits ruisseaux font les grandes rivières
».
Je repense ainsi aux 5 000 personnes qui se sont inscrites après la
pétition « Save La Petite Bande ». Nous trouvons extraordinaire
qu’un cercle se soit formé autour de nous et que vous ayez montré
via cette pétition que vous attachiez un réel intérêt à la survie
de notre orchestre. Et que nombre d’entre vous soient prêts à
apporter aussi une contribution financière.
Je ne vais pas répéter ici le calcul figurant dans ma lettre de
l’année dernière, mais il va de soi que, plus nous serons
nombreux à apporter notre soutien, plus nous pourrons agir. Voilà
pourquoi je relance mon appel en rappelant nos coordonnées pour vos
virements.
Nous avons le plaisir de vous indiquer que vous pouvez désormais
utiliser Paypal pour vos paiements, ainsi que les chèques (à
compter d’un minimum de 100 € cependant, les banques
n’acceptant pas les chèques d’un montant inférieur, en raison
de frais trop élevés).
Nous sommes heureux que ces deux possibilités supplémentaires
existent, parce que l’on nous a demandé plusieurs fois l’an
dernier de rendre ces moyens de paiement accessibles. Nous espérons
ainsi que cela incitera nombre d’entre vous à soutenir La Petite
Bande, et nous insistons à nouveau sur le fait que chaque don –
petit ou grand – est le bienvenu.
- Compte n° : BE76 7350 2267 9695 KREDBEBB Support La Petite Bande
- Paypal : sur la page d’accueil de www.lapetitebande.be, vous
trouverez en vis-à-vis de l’intitulé « Support La Petite Bande
» le bouton « DONATE » qui bascule aussitôt sur la page Paypal.
- Vous pouvez envoyer un chèque (à compter de 100 €, en raison
des frais bancaires) au bureau de La Petite Bande, Vital
Decosterstraat 72, 3000 Louvain.
Avant de terminer ma lettre, j’ai demandé à Sigiswald de vous
faire la faveur d’écrire un mot sur les dernières parutions CD de
La Petite Bande, dont nous sommes particulièrement heureux : la
Passion selon Saint Matthieu de Bach et ses Concertos
brandebourgeois. Sigiswald est vraiment celui qui continue à faire
de la musique avec fraîcheur, qui continue à chercher et à
innover, voilà pourquoi je préfère lui laisser la parole :
Notre enregistrement de la Passion selon Saint Matthieu de Bach (pour
Challenge Records) a été réalisé pendant la Passion 2009, en lien
avec notre série de représentations de la Passion selon Saint
Matthieu en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas, en Allemagne et en
France.
Tout comme dans notre série de cantates en cours (jusqu’à
présent 11 CD parus chez ACCENT), nous avons conservé pour notre
Passion selon Saint Matthieu le principe d’une « distribution
simple ». Cela signifie que, comme c’était le cas sous la
direction de Bach, nous n’utilisons pas un chœur au sens habituel,
mais seulement un chanteur par partie. Bach a écrit sa Passion selon
Saint Matthieu pour deux groupes vocal/instrumental à quatre voix
qui alternaient et parfois chantaient ensemble – ces huit chanteurs
devaient chanter aussi bien les passages à plusieurs voix que les
airs et les chorals. Les rôles de l’Évangéliste et de Jésus y
étaient de même inclus : ils étaient destinés au ténor et à la
basse du premier groupe. Cette approche soliste confère à
l’ensemble davantage de couleur individuelle et de diversité
qu’un chœur ne saurait le faire. Outre ces huit chanteurs, Bach
employait encore trois chanteurs supplémentaires chargés
d’interpréter les rôles mineurs qui survenaient occasionnellement
dans le récit de l’Évangéliste ; ce qui porte à onze le nombre
total des chanteurs. Le mode de représentation de Bach découle
clairement d’une recherche précise du matériau source.
Cette distribution authentique des chanteurs, combinée à une
distribution instrumentale également limitée et transparente, ainsi
que nous le montrent les sources, n'a pas été « dirigée » ainsi
que l’on a coutume de le faire aujourd'hui, mais menée au violon,
par le premier des deux « violini primi » (le premier violon, comme
on l’appellera plus tard). C’est ainsi aussi que nous avons conçu
cette Passion. Cette « direction » organique et collégiale diffère
foncièrement de la façon de procéder usuelle aujourd’hui, et
permet à la musique d’à nouveau jaillir et s’épanouir à
partir de l’engagement collectif de l’ensemble des
collaborateurs.
Pour ce qui est de l’interprétation, je me suis efforcé de ne pas
faire obstacle à la profonde dimension spirituelle de cette musique
(qui touche chacun de diverses manières) par une « interprétation
» extrêmement personnelle, mais au contraire de la laisser parler
à partir de la partition même : car c’est Bach est notre guide,
et non notre égo d’interprète…
L’impact direct de l’ensemble résultant n’a cessé de
surprendre le public lors des concerts et semble l’avoir
profondément ému.
Des innombrables enregistrements de la Passion selon Saint Matthieu,
c’est le tout premier à reconnaître ce processus « sans
direction » – je suis heureux d’avoir pu aborder ce
chef-d’œuvre de cette manière.
L’enregistrement des 6 Concertos brandebourgeois de Bach (pour le
label Accent) a ensuite suivi en octobre 2009. Ici aussi, nous avons
écrit l’histoire par notre approche originale – non pas par
volonté d’écrire l’histoire mais parce que l’époque y était
à vrai dire prête, grâce notamment à nos efforts ininterrompus.
Depuis peu, des changements majeurs sont survenus dans deux domaines
essentiels pour les Concertos brandebourgeois : d’abord la
volonté, le culot et la capacité de jouer de la trompette et du cor
de l’époque de Bach, et secondo l’utilisation du violoncello da
spalla, l’instrument auquel pensait Bach en écrivant «
violoncello » dans sa partition. Cet enregistrement combine pour la
première fois ces deux particularités – le trompettiste du
difficile deuxième Concerto (Jean-François Madeuf) et les deux
cornistes du premier Concerto (le même Jean-François Madeuf,
accompagné de son frère Pierre-Yves Madeuf) ont abandonné la
technique du compromis des pseudo-trompettes et cors naturels qui
faisait foi jusqu’à présent. Voilà plus de trente ans que
j’aspirais à ce moment, convaincu qu’il serait un jour possible,
et qui est ainsi réalisé aujourd’hui ! il en résulte une
sonorité nouvelle et audacieuse, et un nouvel équilibre de
l'ensemble.
L'utilisation de trois violoncelli da spalla a également favorisé
une approche rafraichissante du troisième Concerto : en introduisant
ces instruments plutôt que le violoncelle baroque « normal » au son
plus sombre (qui n’était pas encore accessible dans le contexte de
Bach), l’équilibre total est ici aussi devenu étonnamment
transparent ; en outre, l’abandon de la contrebasse (un octave plus
grave) souligne encore davantage le spectre sonore dans le registre
grave – d’ailleurs général dans l’étirement de la logique de
la partition.
Ce nouvel enregistrement des Concertos brandebourgeois illustre
clairement l’évolution qu’a connue la pratique d’exécution au
cours des trois dernières décennies, notamment de notre fait. De
très nombreuses anciennes techniques de jeu ont pu s’imposer ces
derniers temps, les expériences se sont accumulées ; mais certaines
des étapes importantes que nous portons ici à votre connaissance
n’avaient pas encore été entreprises. Il va de soi que nous
n’écrivons pas là le point final ; mais il est clair que Bach se
sent ici de nouveau chez lui, à mon avis !
Voilà ce que voulait vous dire Sigiswald, qui espère tout comme moi
que vous continuerez à former et à soutenir la chaîne de foi,
d’espoir et d’amour autour de La Petite Bande.
Nous vous en remercions cordialement d’avance,
Marleen Kuijken-Thiers