-La dernière fois que je rencontrais Félix (Félix n’est pas son vrai nom mais je me méfie des vengeances, comme vous le comprendrez par la suite.) c’était au bar du “Penalty”, dans le village des Vans, en Ardèche méridionale. Il était 10h du matin et le bougre avait déjà un verre dans le nez. Quand je dis un verre, il faudrait plutôt dire plusieurs bouteilles. Il tenait à peine sur son tabouret et sa gitane “papier maïs” pendait, éteinte depuis longtemps entre son pouce et son index jauni. « Tiens voilà Flèche, je suis bien content de te voir ». De mon côté, j’aurais été en peine d’affirmer la même chose. Le Félix était de cette sorte de type qu’on évite chaque fois qu’on le peut. Mielleux, lèche-cul, cherchant des crosses sans raison, ce mec me dégoûtait avec sa mèche de cheveux gras qu’il relevait sans cesse de devant ses yeux mi-clos. Comment cette poubelle vivante avait pu se dégoter le beau petit lot avec lequel il vivait, relevait du miracle.
-Dis donc, Flèche, les poissons, ça t’ intéresse toujours ?
-Ben, ouais, pourquoi ?
-Tu connais le pont sur le Chassezac, après le Nassier ?Eh bien, moi je peux te dire qu’il y a une grosse truite là-bas, en remontant vers la gauche, sous la falaise.
Bien sûr que je le savais. Cette truite était un vrai monstre que j’avais essayé en vain de tenter depuis des lustres avec des streamers et autres confiseries du même ordre. Que dalle ! À chaque fois que je m’y étais frotté, je rentrais à la maison la canne en berne entre les jambes. Et pourtant, je l’avais vu une fois bouffer des petits poissons. Les dents de la mer ! Même que mon ami Cyril l’avait vu lui aussi un soir et qu’il n’est pas près d’oublier cette apparition . Et le Félix reprend : “Et bien l’autre soir, j’y suis descendu avec mon masque, mes palmes et mon fusil harpon, et je me la suis faite,la truite. Putain qu’elle était grosse ! J’ai dû la couper en deux pour qu’elle rentre dans le congélo !”
À ce moment, j’ai eu une grosse nausée. Dépasser à tel point les limites de la connerie
Ce n’est qu’une semaine après que la nouvelle me vint aux oreilles. C’est la serveuse du “Penalty” qui m’a mis au parfum. Le Félix avait grimpé sur un cerisier d’un paysan de Payzac, là haut, aux ” Plantades”, pour lui rafler ses cerises. Une branche haute avait cédé, et le connard s’était éclaté la tête sur une grosse racine quelques mètres plus bas. Mort sur le coup. À l’annonce de cette bonne nouvelle, j’ai eu du mal à escamoter un légitime sourire de satisfaction qui illumine la face du bon ouvrier après un ouvrage bien fait.
ENGLISH The last time I saw Felix was (Felix is not his real name, but i’m wary of vengeance as you’ll understand later) in the “The Penalty”, it’s village bar in les Vans in southern Ardeche, France. It was 10 am and that jerk was already dead drunk. He had trouble keeping his equilibrium on the stool and his cigarette butt, out long time ago, hung between his thumb and his dirty brown index finger. “Hey, Fleche, happy to see you !”. It was difficult to reciprocate the welcome. Felix was the sort of guy you would do the extra mile to avoid. Slimy, black nose, belligerent, that fucker made me sick every time I saw him lift his greasy hair up from his half closed tiny eyes.
-Tell me, Fleche, still interested in fish ?
-Yep. Why?
-Do you know the spot near the Chassezac river, below “Nassier”? I’m telling you, there is a huge trout laying there upstream..to the left bank, under the cliff!