Coupables, non coupables

Publié le 07 décembre 2010 par Toulouseweb
Le verdict du procčs Concorde accable Continental Airlines.
Ce n’est toujours pas la fin de l’histoire, il y aura appel et, de ce fait, prolongation. Reste le fait que le tribunal de grande instance de Pontoise a prononcé un verdict clair, net et sans bavures qui clôt le premier chapitre judiciaire de l’accident de l’été 2000, ce qu’il est désormais nécessaire de qualifier de premier procčs. Les deux anciens d’Aerospatiale, Henri Perrier et Jacques Hérubel, sont relaxés, tout comme Claude Frantzen, ex-DGAC. De męme, Stanley Ford, superviseur de la maintenance de Continental Airlines, échappe aux foudres de la justice française, ce qui n’est pas le cas de John Taylor, chaudronnier, jugé coupable de faute de négligence pour avoir remplacé une pičce d’usure de nacelle moteur de DC-10 sans respecter les rčgles. Ladite pičce, Ťwear stripť, est tombée sur la piste de Roissy-CDG empruntée quelques minutes plus tard par un Concorde d’Air France.
On ne connaît que trop bien la suite. Pour aller ŕ l’essentiel, la réparation bricolée a constitué l’élément déclencheur d’une séquence d’événements aux conséquences littéralement catastrophiques. Et, pour le le TGI de Pontoise, présidé avec fermeté par la juge Dominique Andréassier, le doute n’était pas permis. C’est donc Continental Airlines personne morale et John Taylor, personne physique, qui portent la responsabilité de l’accident. Les dommages et intéręts qui leur sont réclamés, plus modestes qu’on le pouvait le supposer, et inférieurs aux exigences des parties civiles (Air France en tęte), apparaissent quasiment accessoires par rapport aux enjeux, dits ou implicites.
Aussitôt le jugement rendu, Me Olivier Metzer, avocat de la compagnie américaine s’est déchaîné. Il a non seulement annoncé une décision instantanée de faire appel mais il a aussi fermement dénoncé une justice Ťstrictement française, au nom du protectionnisme françaisť. Telle est, bien sűr, la rčgle du jeu, face ŕ de nombreuses caméras, ŕ une multitude de micros friands de formules fortes et ŕ des blocs-notes en mal de précisions cruelles. Ce faisant, Me Metzer a pourtant négligé une facette importante du dossier, ŕ savoir que l’avenir de Concorde n’est plus un enjeu depuis bien longtemps. Au-delŕ de l’accident survenu il y a dix ans et demi, de toute maničre, l’envolée du prix du pétrole avait condamné le transport aérien supersonique qui exigeait pas moins d’une tonne de carburant par passager sur l’axe Paris-New York.
Concorde est au musée depuis 7 ans et le verdict judiciaire, tout comme l’enquęte technique du BEA, ne peuvent donner lieu ŕ des recommandations susceptibles d’améliorer la sécurité aérienne. Si ce n’est une piqűre de rappel générique: en matičre d’aviation, aucun détail ne doit ętre écarté, rien ne peut ętre négligé et en aucun cas il n’est acceptable de s’éloigner des rčgles. Pas question, par exemple, de remplacer une banale pičce d’usure de DC-10 en effectuant une réparation Ťmaisonť. Le Ťwear stripť se trouvait et se trouve toujours en bonne place dans le catalogue de pičces de rechange fabriquées par General Electric. Dčs lors, on comprend que Continental soit condamnée pour maintenance défectueuse.
John Taylor n’est pas un lampiste, męme s’il occupait une position modeste dans la chaîne de commandement des rouages techniques de la compagnie. Par ailleurs, le hasard faisant curieusement les choses, c’est trčs exactement 10 jours avant le crash de Gonnesse que le législateur français, par une loi datée du 10 juillet 2000, a précisé la notion de responsabilité pénale des personnes physiques, par rapport ŕ celle des personnes morales.
On notera au passage que John Taylor a été desservi par son absence, laquelle serait pourtant liée ŕ un statut personnel particulier, celui d’apatride dépourvu de passeport et de ce fait peu enclin ŕ quitter les Etats-Unis de peur de ne pas ętre ensuite autorisé ŕ y revenir. Qui plus est, on l’a appris en marge du verdict, il a fait l’objet d’un mandat d’arręt international, justifié par son absence de réponse ŕ la sa convocation des juges, et bien que son casier judiciaire soit vierge. Ce n’est pas banal, on en conviendra.
La présidente du TGI de Pontoise l’a énoncé clairement en rappelant la distinction entre causalité directe et indirecte. ŤLes personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué ŕ créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalementť. Cela, précise le législateur, s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particuličre de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le rčglement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui ŕ une risque d’une particuličre gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. C’est moins compliqué, moins subtil, qu’il n’y paraît ŕ premičre vue.
C’est aussi lŕ que réside, de toute évidence, l'origine de l’intime conviction des juges de Pontoise. Mais leur lecture des textes, les conclusions qu’ils ont tirées de quatre mois de procčs, du défilé des experts, des témoins, n’a de toute évidence rejoint l’appréciation du procureur. Lequel, lors de l’énoncé du verdict, n’était peut-ętre pas absent par hasard.
Quoi qu’il en soit, le moment était venu de tourner la page et on peut regretter qu’il y ait appel. On ne se lassera jamais de Concorde, bien sűr. Mais pas au tribunal.
Pierre Sparaco - AeroMorning