[Critique DVD] Voyage à Cythère

Par Gicquel

Depuis «Le pas suspendu de la cigogne»,  le cinéma de Théo Angelopoulos m’avait plutôt refroidi. Surtout qu’il m’était quasiment inconnu. Alors déchiffrer en sept films, les premiers, l’univers d’un réalisateur hors du commun, relève du défi, sinon du pensum.
Je me suis attelé à la tâche un peu au hasard des synopsis, et je peux vous assurer que le hasard fait bien les choses. Avec ce « Voyage à Cythère », j’ai découvert un immense cinéaste doublé d’un observateur hors du commun.
Ce film, peut-être celui qui représente le plus ses obsessions de l’histoire contemporaine, de la mémoire, et de la faillite des espérances, raconte l’histoire d’un vieil homme qui après trente-deux ans d’exil revient en Grèce. Il est magnifiquement interprété par Manos Katrakis .Là où plus personne ne l’attend, sinon une famille, et surtout une femme qui « n’a vécu que pour ton retour » reconnaît le fils, autant paralysé que subjugué par l’arrivée du patriarche.

Il l’est d’autant plus, et c’est une force supplémentaire du réalisateur, que cinéaste lui-même le jeune homme prépare un film sur ce retour paternel. Le film dans le film donc, mais pas à la façon de  »Soyez sympas, rembobinez » et encore moins de « Nine » ( dans ce blog).

Plutôt l’élaboration d’un scénario que mène le fiston dramaturge (Giulio Brogi)en suivant son géniteur découvrir au fil des jours la Grèce d’aujourd’hui dans laquelle il ne peut plus être un acteur.Des plans magnifiques de montages désertés, dans la brume et la solitude préfigurent l’avènement de la fin d’un monde, si cruel qu’il en viendra à rejeter l’homme à la mer. C’est d’une beauté cruelle, d’une telle véracité que je n’en croyais pas mes yeux, ni mes oreilles, alors qu’alentours une fête battait son plein, et que la pluie battait le pavé.
Là encore images paradoxalement somptueuses, instants de poésie inattendue et perdue dans les yeux hagards du vieil homme que Angelopoulos promène lentement sur les chemins tourmentés de son histoire. Et par une alchimie subtile, le noir et blanc se substitue alors à la couleur qui déjà n’avait rien d’éclatante.
Il y a du respect et de l’élégance derrière cette caméra, une attention singulière aux personnages et aux choses qui les retient. Tous les protagonistes de l’histoire sont minutieusement accompagnés par le réalisateur  même avec parcimonie comme la mère qui a toujours vécu, recluse et discrète.
Elle est jouée par Dora Volanaki, elle est  parfaite, à l’image de tous les comédiens et de ce très grand film .


Bonus


Pour chaque film, Théo Angelopoulos apporte son propre éclairage. Ici il le compare à « Odyssée», au retour d’Ulysse, et à Pénélope qui ne le reconnaît plus. L’allégorie avec la Grèce est évidente, mais son film va encore plus loin, à travers le portrait de gens qui ont subi l’histoire sans pouvoir la changer. « Tu as fait la révolution, tu as pris le maquis et puis tu es parti. Pourquoi es-tu revenu ? » lui demande un ancien camarade.
« Tout a changé » poursuit le réalisateur. « La raison pour laquelle il a combattu n’existe plus. Et que dit une femme à son homme qui revient après trente ans d’absence » interroge-t-il encore, en rappelant que ce film est tiré d’une histoire vraie, celle de la famille de son assistant. « Sa mère avait alors demandé à son père, de retour  “ as-tu mangé ? ”, la phrase que j’ai reprise pour mon film ».

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Né en Grèce en 1935, Théo Angelopoulos est l’auteur d’une filmographie monumentale au palmarès impressionnant : une Palme d’or (L’Eternité et un jour), un Prix du scénario (Voyage à Cythère) au festival de Cannes, un Lion d’argent (Paysage dans le brouillard) et un Lion d’or (Alexandre le Grand) au festival de Venise.
A l’avènement de la dictature des colonels, il réalise ses deux premiers longs métrages, «La Reconstitution» et «Jours de 36». Trois ans plus tard, «Le Voyage des comédiens », œuvre-fleuve qui revient sur les années les plus sombres de la Grèce, est unanimement salué par la critique internationale.
Ce coffret comprend
«La Reconstitution» (1970), une femme assassine son mari avec la complicité de son amant.
«Jours de 36» (1972), un prisonnier soupçonné du meurtre d’un syndicaliste prend un député en otage.
«Le Voyage des comédiens» (1975), une troupe de comédiens parcourt un pays déchiré par la guerre.
«Les Chasseurs» (1977), un groupe de chasseurs issus de la bourgeoisie découvrent le corps d’un maquisard enfoui dans la neige.
«Alexandre le Grand» (1980), un brigand charismatique traverse la Grèce pour regagner son village natal.
«Athènes» (1983), un poème documentaire sur la ville du cinéaste.
«Voyage à Cythère» (1984), un vieil homme rentre en Grèce après trente-deux années d’exil.

Suppléments :
- Présentation du film par Théo Angelopoulos
- Entretien entre le critique Michel Ciment et Théo Angelopoulos autour de la première partie de son œuvre, de ses débuts au «Voyage à Cythère.»