Travailler sur soi : pourquoi ? Comment ?

Par Jean-Louis Richard

Depuis que l'humanité existe, travailler sur soi est sa principale activité. Nous pensons faire tant d'autres choses... et le terme même de "travail sur soi" questionne.

Pourquoi, comment travailler sur soi ?

Quel rapport avec la psychanalyse ?

Vous lisez cette page. Mille activités inconscientes vous mobilisent. Vous respirez. En prendre conscience modifie votre respiration. Des idées, des sentiments, des souvenirs, une partie de vous se met en mouvement dans votre psychisme. Vous seul ressentez ce que vous ressentez en ce moment, quelque partielle qu'en soit votre conscience.

Vous préparez votre repas, vous conduisez votre voiture, vous embrassez un ami rencontré au café... votre identité intérieure foisonne de ce qui vous anime et que vous seriez bien en peine de nommer.

La conscience n'est pas comme le lait dans la porte du frigo. Personne ne peut ouvrir la porte et goûter le lait. Vous-même, quelle conscience avez-vous vraiment de votre identité ? A deux, ça se complique. Je ne saurai jamais ce que cela fait d'être vous. Vous ne saurez jamais ce que ça fait d'être moi. Que faisons-nous d'autre qu'essayer ?

De tous temps, hommes et femmes se sont mis en tête -c'est le cas de le dire- de travailler sur eux. Nous travaillons déjà beaucoup à changer le monde, pourquoi faire évoluer la personne que nous sommes ?

Parce que travailler sur soi est aussi vital que respirer.

Sylvie, 46 ans, est mariée et mère de trois enfants. Elle a perdu sa mère il y a un an. Elle se sent différente depuis quelques mois. Son couple la préoccupe, ses enfants la fatiguent, le rapport à son corps évolue. C'est comme si tout ce qui fondait sa joie de vivre s'effritait. Bernard, 40 ans, célibataire, voit le temps passer, ses copains se marier et pouponner, alors qu'il ne construit rien dans la durée. Ce qui le faisait rire il y a peu l'inquiète, sans parler de son rapport à la cocaïne qui l'interroge. Didier, 55 ans, repart à zéro : nouveau métier, nouvelle femme, nouvelle vie. Il affronte pour la première fois avec cette intensité d'interminables nuits à chercher le sommeil.

Croyez-vous que Sylvie, Bernard, Didier puissent décréter que "ça passera" et laisser leur bonheur de vivre, d'aimer, de travailler, glisser entre leurs doigts ?

Vivre heureux, aimer ses proches, travailler sans s'user, c'est un équilibre aussi subtil qu'inexpliqué. Tout signal faible est à prendre au sérieux, d'autant plus que les réponses rapides aggravent la situation. Sylvie va revoir un ami d'enfance et fonder ses espoirs sur une nouvelle relation en marge de son couple. Bernard va passer à trois grammes de cocaïne et se dire que jusque-là tout va bien. Didier va se jeter dans son travail pour tout oublier.

Sylvie sortira abîmée de sa dernière illusion, Bernard détruira sa plasticité cérébrale et Didier creusera le trou de sa future dépression. Rester dans sa zone de confort prépare des lendemains plus chargés. Le seul avantage des solutions clés en main est de nous mener plus vite au pied du mur.

Savez-vous ce qui survient quand les équilibres internes rompent et que les efforts à engager pour retrouver la sérénité sont cent fois plus conséquents ? Observez le feu : un seau d'eau suffit au tout début, puis c'est une citerne, et quand tout diverge il n'y a plus qu'à attendre que l'incendie épuise le combustible à sa portée. Qui souhaite devenir le combustible de ce qu'il a traité à la légère ? Pour être précis, un autre scénario peut se développer, la mort psychique. Je parie que vous préfèrerez l'incendie.

Le travail sur soi serait donc une façon de soigner les désordres psychiques ?

Oui et non. Oui, face au tableau clinique d'une décompensation. Quand la santé est altérée et la vie bouleversée, l'association du travail sur soi et d'un traitement médical s'impose. Ce sont les cas les plus rares car le travail sur soi est préventif, pour garder santé et joie de vivre. Il fait partie de l'hygiène de vie, au même titre que l'alimentation saine, l'exercice physique ou le choix de rapports humains et d'activités qui nous conviennent. Il entraîne notre psychisme, à l'image du corps, à conserver sa souplesse et son adaptabilité face à l'imprévu.

D'accord pour travailler sur soi, mais comment faire ? Le plus simple serait peut-être de s'en remettre aux bons conseils d'un tiers ? Attachez votre ceinture.

Votre voiture fait un drôle de bruit. Votre garagiste ouvre le capot, tend l'oreille. Ca y est, il sait. Il a vu ça cent fois. Vous avez de la chance (?), vendredi ce sera réglé. Un problème, c'est l'écart entre deux réalités observées, en tous points identiques, à un détail près : l'une est satisfaisante, l'autre pas. C'est au petit matin la différence entre la Twingo de votre voisin qui démarre au quart de tour et la vôtre, même année, même kilométrage, à ceci près qu'elle refuse de démarrer. Elle ne peut pas le faire exprès, la Twingo. C'est un mécanisme complexe, certes, mais déchiffrable, donc réparable, par tout spécialiste plus malin qu'un tas de ferraille.

Pour modifier un système quel qu'il soit, il faut en savoir plus que lui, et se forger sa propre image de comment ce système fonctionne. Tout n'est qu'affaire de volonté. Voilà pour les systèmes inanimés. Et l'homme, comment intervenir sur lui ? Qui peut se dire plus complexe que l'homme ? La femme ???

Vous pourrez lire toute la littérature depuis Hippocrate, éplucher toutes les publications scientifiques depuis un siècle, je vous mets au défi de m'expliquer comment fonctionne votre psychisme. Sans parler du mien. Comment voulez-vous qu'un psychisme humain fasse le tour d'un psychisme humain ? Autant demander à votre Twingo de réparer sa voisine de parking.

Et vous vous en remettriez aux conseils d'un tiers pour vous changer en profondeurJ'ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour vous.

On commence par la bonne ? Vous descendez des hommes et des femmes préhistoriques qui n'ont jamais, je dis bien JAMAIS, suivi le moindre conseil. Ceux qui appliquaient de temps à autre un conseil avisé n'ont pas eu le temps de se reproduire. Ils sont tombés sous les coups de leurs nouveaux amis. Les costauds, vos ancêtres à vous, résistaient à tout. Rien de ce qui bougeait autour d'eux ne les faisaient changer d'avis, rien n'entamait leur moral. Un coup de massue, et hop, ça repartait. Entre deux coups de massue, ils se reproduisaient, beaucoup plus que leurs rivaux moins résilients.

Observez de près le dernier conseil que vous croyez avoir appliqué. Tout conseil provoque le réflexe inverse. Ce vestige de notre instinct de conservation crée bien des malentendus.

Au fond de vous, comme vos ancêtres, vous êtes étanche à la volonté de qui que ce soit ainsi qu'à tout bouleversement de votre environnement. La flamme bien cachée dans les replis de votre âme, celle qui fait que c'est vous, oui, vous qui me lisez, pas l'autre, cette flamme résiste à tout. C'est ce qui nous permet de survivre et de retrouver notre équilibre dans les pires conditions.

La mauvaise nouvelle, c'est que vous allez devoir oublier l'option facile de vous en remettre aux conseils de qui que ce soit. C'est l'histoire du fumeur : plus son entourage lui demande d'arrêter, plus sa barque déjà bien chargée tangue, moins elle est manœuvrable, et moins il a le choix. Il finira par fumer davantage pour supporter ses proches qui lui disent d'arrêter. Cela sans parler du fait établi que le fumeur doit avant tout construire d'autres modes de gestion de son énergie.

Vous ne pouvez pas davantage compter sur un acte positif ou une modification de votre environnement pour vous faire bouger dans votre for intérieur. Nos représentations intérieures comptent beaucoup plus que la réalité extérieure. Elles sont conçues pour rester stables face à tout changement du dehors. Si une certaine marque de voiture apportait la joie, ça se saurait. Le travail sur soi est une activité intime et déconnectée de toute influence ou changement extérieur. Tant mieux, car un monde où ceci ne se vérifierait pas génèrerait une insécurité invivable.

Si l'extérieur ne peut pas vous changer, vous allez peut-être croire qu'après tout ce n'est pas si compliqué de réfléchir sur vous et de choisir les résolutions appropriées.

Une résolution n'est jamais qu'un conseil qu'on se donne à soi-même. Franchement, quand avez-vous observé que cela marchait ? Non seulement nous sommes au fond de nous étanches aux conseils externes, mais toute résolution que nous prenons est une façon plus ou moins consciente de ne rien changer.

Didier est toujours débordé, son agenda est impossible. Il décide de prioriser ses tâches, de s'accorder du temps non affecté, d'arrêter de reporter sans fin ce qui l'ennuie, enfin tout ce qu'il va pouvoir conclure d'une analyse rationnelle de son "problème" de gestion de son temps.

Nous l'avons tous vécu, cette démarche ne fonctionne quasiment jamais. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a en l'espèce ni "problème", ni (ré)solution.

La façon dont Didier vit son emploi du temps est un équilibre qui résulte de multiples facteurs, pour certains liés à son contexte, pour d'autres liés à son identité. Pour simplifier, supposons le contexte constant. Il reste les facteurs liés à l'homme et au professionnel qu'est Didier. Tant que ces caractéristiques intimes n'évolueront pas, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Ce n'est pas un problème, c'est l'expression de la personne qu'est Didier dans l'environnement qu'il a choisi. S'en plaindre, raisonner, décider de changer est une façon de réagir et -une fois encore- de préserver un confort historique, surement pas un moyen d'avancer.

Chacun sent qu'il est plus rapide de changer de contexte que de se changer soi-même. C'est ce que font beaucoup de professionnels qui changent d'entreprise ou d'hommes et de femmes qui changent de partenaire. Un détail les rattrape : nous choisissons beaucoup plus nos contextes que nous ne le croyons. Il est courant de changer son contexte sans en fait le modifier pour ce qui compte vraiment. De fait, le changement observé ne joue qu'en surface, et les mêmes comportements reviennent à la charge.

Travailler sur soi, ce n'est donc ni agir de l'extérieur, ni faire son auto-critique pour décider de changer. Si rien d'extérieur ne peut faire le chemin à notre place, comment procéder ?

L'essentiel du travail sur soi se déroule de façon peu ou pas consciente. Après la perte d'un proche, par exemple, un travail de deuil nous mobilise. La partie dont nous avons conscience est ce que nous ressentons : peine, colère, peur, voire désespoir. Au fil des mois, alors que rien ne semble avoir changé en nous, nos sensations évoluent. Notre travail de deuil réorganise nos représentations intimes de la personne perdue, des moments passés avec elle et de la substance de ce qui nous relie à elle. Un an après le décès de sa mère, Sylvie s'est construite une nouvelle image intérieure de la femme qu'elle est, de et après sa mère, sur la base d'une relecture de sa vie avec elle.

Pour proposer une image, comparons notre psychisme à une très vaste maison, avec de grandes et de petites pièces, de larges couloirs, d'étroits corridors, des escaliers, des recoins et plein de surfaces plus ou moins habitées. Notre travail sur nous consisterait à nous intéresser à une aile de cette maison, à y découvrir un relatif désordre et à donner une nouvelle vie à cet espace en rangeant, aménageant, décorant à notre goût.

Ce que Sylvie a fait dans son travail de deuil, c'est rénover la grande pièce poussiéreuse de son lien à sa mère. En entrant, elle a trouvé la haute armoire normande de la relation de sa mère à son grand-père, posée devant la fenêtre à une place manifestement inconfortable. Elle a découvert à quel point l'ancienne souffrance de sa mère l'encombrait, elle, à son tour. Nous ne pouvons rien jeter en nous, tout se conserve. Nous avons en revanche toute liberté pour inspecter, alléger et revisiter ce qui limite notre bonheur. Cela s'appelle élaborer notre identité sur la base de notre héritage familial et de tout ce que nous avons vécu et emmagasiné en nous.

Ce travail sur soi se pratique inconsciemment chaque nuit au fil de nos rêves, dont une infime partie émerge à notre entendement. Il est si vital qu'on peut tuer quelqu'un juste en l'empêchant de rêver. Pour prendre une autre image, travailler sur soi ce serait redisposer les pièces de l'immense puzzle de la personne que nous sommes pour vivre plus en harmonie, plus libre et plus heureux. C'est dans l'état du rêveur, alors que nous ne sommes plus dupes de nos anciens compromis, que nous prenons de nouvelles libertés pour réarranger nos pièces en sortant de nos limites.

Peut-être désirez-vous travailler plus en conscience sur vous pour accélérer et intensifier votre évolution. De nombreuses instances de travail sur vous sont à votre disposition. En voici trois, par ordre croissant d'intensité, donc de risque et d'inconfort : le travail, l'attention et la psychanalyse.

1- Travailler, c'est nous frotter à la réalité, investir notre désir et notre énergie à produire un résultat séparable de nous. Il peut s'agir d'un travail au sens professionnel, ou de multiples autres travaux : pratiquer un sport, planifier des vacances, préparer le repas, réparer la machine à laver. Si le travail n'était que l'application d'une procédure stricte et sans imprévu, cela nous fatiguerait mais ne nous ferait pas travailler sur nous. De fait, rien ne se passe jamais comme nous nous y attendons. Notre corps réagit de façon inattendue, le site Internet consulté recommande un nouvel hôtel, nous changeons le menu prévu en inspectant le réfrigérateur, la pièce de rechange livrée correspond à un autre modèle de machine à laver. C'est parfois ce qui nous amuse ou nous contrarie, c'est toujours ce qui nous fait travailler sur nous.

Le travail productif se fonde sur nos représentations de la réalité extérieure. L'imprévu nous conduit à louer ou critiquer les facteurs externes, puis à remettre en question nos croyances, notre place dans le système, la façon dont nous jouons de notre identité pour produire le résultat désiré. Nos cartes de référence intimes s'en trouvent modifiées.

Tout travail comprend une dose plus ou moins forte de travail sur soi. C'est heureux, sinon travailler se résumerait à s'user en échange d'un résultat, ce qui, convenons-en, serait inquiétant, quelle que soit la valeur de ce résultat.

2- Je citerai l'attention comme seconde instance de travail sur soi. Lorsque vous êtes venu au monde, c'est au travers de l'attention que vous avez portée à vos proches, et de l'attention sincère qu'ils ont eue en retour pour vous, que vous avez grandi. L'attention totale, bienveillante et désintéressée à et de l'autre est très précieuse. Elle suppose l'absence de projets, d'enjeux de pouvoir ou de rapports de force. En milieu professionnel par exemple, le coaching peut quand il est bien pratiqué procurer cette qualité d'attention. L'attention est depuis toujours une clé de notre travail sur nous. Ce que je perçois de ce que l'autre perçoit de moi me conduit à regarder sous un nouveau point de vue la personne que je crois être.

Pour reprendre l'image de notre maison, chacun sait qu'il est plus facile de décider ce que l'on va réaménager dans une demeure avec le concours du regard neuf d'un nouvel invité. Ce à quoi nous nous étions habitués depuis longtemps, ce papier peint décollé, cette marche fendue, va saisir son regard, et le nôtre avec.

L'attention exclut tout jugement, tout projet, toute séduction. Elle consiste à regarder ensemble, à accepter de recevoir et de donner sans autre objectif que de produire un niveau plus élevé de lien.

Reprenons l'exemple de Sylvie. Sa copine de lycée Claire lui ressemblait en tous points à 20 ans. Même caractère, même physique. Elles se sont mariées la même année avec des hommes très semblables, de vrais couples jumeaux. Elles ont eu leurs trois enfants aux mêmes âges. Pour couronner le tout, elles exercent le même métier dans des compagnies comparables. Claire se présente à l'opposé de Sylvie, resplendissante, sereine, avec ses soucis comme tout le monde, mais libre dans sa tête, en harmonie avec sa vie. Qu'est-ce qui distingue Sylvie de Claire ? La chance ? Peut-être, mais que s'est-il passé de si différent dans leurs vies pour expliquer un tel écart 26 ans plus tard ?

La différence est à chercher dans leurs relations intimes. Sylvie et son mari ont vécu une passion initiale. Chacun a cru trouver en l'autre les réponses à ses intimes interrogations, et cet espoir a finit par être déçu. Ils se sont ensuite installés dans une association de moyens où l'attention véritable à chacun s'est évanouie. Sylvie ne se sent pas si aimée que cela, et n'aime pas tant son homme non plus. Leur communication est pauvre, leurs comportements dictés par la quête de leurs plaisirs plus ou moins disjoints. Claire et son mari, à l'inverse, ont très tôt travaillé sur leur lien de couple. Travaillant et questionnant leur relation, chacun a travaillé son identité sans attendre la solution de l'autre. Et chacun a changé, mûri, exploré son âme sous le regard bienveillant de son conjoint. Oh, bien sûr, ce ne sont pas des saints. Chacun a fait des erreurs et en a assumé sa part. Le travail intime de chacun sous l'attention de l'autre a produit ses fruits.

L'échange attentionné, sans autre objectif que de communiquer et mettre en perspective ce que chacun ressent sous le regard de l'autre, complète et amplifie depuis toujours les apports des rêves et du travail quotidien.

3- Je citerai enfin la psychanalyse. Une pratique vivante, qui nous a gratifiés ces 20 dernières années d'avancées et de résultats incomparables. Ce que le public comprend de la psychanalyse n'a rien à voir avec ce qu'elle est.

Pour beaucoup, consulter un psychanalyste c'est s'allonger et parler à quelqu'un de silencieux et d'invisible. La psychanalyse serait une sorte d'enquête sans fin débouchant sur je ne sais quelles "prises de conscience" expliquant la personne qu'on est sur la base d'évènements jusqu'alors oubliés. Plus étonnant encore, la psychanalyse serait réservée aux fous.

Le cadre de travail analytique permet à chacun de refaire le chemin de la formation de son identité pour créer ses nouveaux équilibres plus libres, plus heureux, plus sûrs. Si la conscience est cette flamme dans les replis de votre âme, il a bien fallu qu'un jour quelqu'un vous aide à l'allumer. L'analyse vous offre une nouvelle chance de l'allumer vous-même, cette fois en pleine conscience.

La psychanalyse remet en scène de façon productive nos émotions, nos pulsions, le rapport à notre corps, le rapport à notre réalité, tout ce qui nous identifie. En analyse, aucune question n'appelle de réponse car répondre c'est s’arrêter de questionner. Aucune action n'est visée car agir c'est s'agiter pour éviter de chercher qui l'on veut être. Le dialogue avec l'analyste nous replace -en totale sécurité- au coeur de la relation la plus intense et la plus productive à l'autre qui nous a permis de forger notre individualité face au monde. La psychanalyse est, en ce sens, un complément d'éducation.

L'élaboration au travers des associations libres et des interprétations du praticien est au coeur de la démarche analytique. Bien plus productive que la seule attention bienveillante, elle nous conduit à délier puis relier autrement les matériaux de notre psychisme pour (re)trouver la profondeur et la liberté dont d'anciens équilibres -à l'époque appropriés- nous avaient privé.

Le travail commence en face à face et peut dans certains cas prévoir des tranches en position allongée. La parole du psychanalyste aguerri rythme et nourrit le silence. Se taire est l'option prudente des débutants. La durée des sessions a changé : les 55 minutes de Freud puis les 20 minutes de Lacan ont fait place à 1h30, puis 2h. Ce qu'il se passe pendant la seconde heure n'a rien à voir avec la première.

Quant à la fréquence des sessions, nous sommes de nos jours loin des 3 ou 4 fois par semaine des textes classiques. Seule importe la focalisation, qui permet à l'analysant de garder le fil de tout ce qu'il vit d'une session à la suivante pour entretenir l'intensité productive de son travail intérieur.

Prenons par exemple le rythme d'une ou deux sessions de deux heures par mois. Cette fréquence garantit de disposer d'un matériau riche et élaboré dans l'inter-session. L'analyse passe ainsi à la vitesse supérieure. Les thèmes aujourd'hui travaillés n'ont plus grand chose à voir avec les bonnes vieilles névroses de transfert de nos aînés et nous imposent de faire converger toutes les ressources de l'analysant vers des sessions plus productives qu'autrefois.

Combien de temps dure une analyse ? Une tranche est un chemin à deux de quelques mois à plusieurs années. L'analysant continue ensuite à pratiquer un travail inconscient beaucoup plus riche qu'avant. Je dis parfois qu'on entre en analyse, on n'en sort pas : cela devient une seconde nature.

La psychanalyse fonctionne parce qu'elle s'appuie sur ce que nous avons déjà : notre mobilité psychique qui s'accélère chaque nuit pour produire notre premier travail inconscient de reconfiguration interne. Elle se fonde sur la richesse d'un siècle de pratique, avec son lot de succès et d'erreurs qui forment un corpus sans équivalent dans les sciences humaines.

André Green avait coutume de dire que personne ne pourrait jamais savoir ce qui se passe dans une séance d'analyse. Aucune description ne peut donner une idée de ce qui s'y joue. C'est un cheminement à deux, puisque tout ce que nous faisons d'important sur cette terre nous le faisons à deux. C'est ce deux si particulier de l'analyse qui permet d'être à la fois seul et accompagné, unique et si proche de l'autre.

Rien de mystérieux à cela. Tout parent observe que son enfant se développe et grandit dans le mystère infini de la relation duelle. Éduquer, analyser, impossibles métiers et si nécessaires.

Chaque chemin de travail sur soi reste unique. Depuis quand votre chemin vous attend-il ? Venez en parler si le coeur vous en dit !