Une nouvelle lecture de Max Weber

Publié le 10 décembre 2010 par Les Lettres Françaises


Une nouvelle lecture de Max Weber

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Il y a un paradoxe à propos de l’oeuvre de Max Weber : si le sociologue allemand mort en 1920 fait incontestablement partie des figures historiques de la sociologie, s’il en est un des « maîtres » en quelque sorte, les travaux actuels dans cette discipline, et notamment les recherches empiriques, ne s’en inspirent que peu. Weber fait toujours l’objet de l’intérêt des philosophes et des politologues, et certains de ses concepts clés sont présents dans les débats actuels, même auprès du grand public, mais les sociologues, de plus en plus attachés à une microsociologie descriptive, notamment du présent, n’ont pas sur le fond recours à son oeuvre. Cet état des choses s’explique sans doute par l’abandon des réflexions à portée franchement théorique et par le refus de situer les recherches au niveau des larges échelles historiques et géographiques choisies par Max Weber. Il n’y en a pas lieu de s’en satisfaire car Max Weber fut avant tout un chercheur appartenant aux sciences sociales, dont il a participé à la fondation intellectuelle.

Alors que la diffusion de l’oeuvre de Max Weber fut lente à opérer en France puisque les premières traductions datèrent des années 1960, ses livres sont maintenant aisément disponibles, dans des traductions renouvelées et globalement de qualité. L’accès à la pensée de Weber n’en est pourtant que faiblement facilité du fait de son caractère même : Weber a multiplié les objets d’étude, a alterné les recherches factuelles – notamment sur les rapports entre les religions mondiales et les pratiques économiques –, les réflexions méthodologiques et les tentatives de systématisation, tout particulièrement dans Économie et Société. La traduction de l’ouvrage de Stephen Kalberg est ainsi particulièrement bienvenue car elle permet d’y voir plus clair dans ce qui n’apparaît que comme esquissé, fragmenté, voire incompatible. Les Valeurs, les Idées et les Intérêts se veut à la fois une introduction claire et solide à l’oeuvre de Max Weber, mais aussi une « clarification » d’un certain nombre de concepts de Weber, tels que ceux d’« idéal type », de formes de « rationalité », de « vocation », etc.

Cette forme de « mise en cohérence » dessine finalement un portrait de Weber très suggestif et stimulant. Nonobstant les inclinaisons nationalistes qu’a pu connaître à certains moments le sociologue, l’œuvre de ce dernier rompt en fait implicitement avec les points d’achoppement de la pensée libérale occidentale de son temps. Car si l’on connaissait son pessimisme devant l’avenir des pays modernes industriels, on constate, à la lecture de ce livre, que son refus d’une hiérarchie entre les systèmes culturels et les civilisations et son hostilité envers la rationalité calculatrice dominante en Occident en font un critique inattendu d’un monde qui n’a pas cessé d’être. Cette introduction à Weber fait donc aussi, à sa manière, œuvre de relecture et va donc au-delà des efforts de vulgarisation habituels.

Baptiste Eychart

Les Valeurs, les Idées et les Intérêts. Introduction
à la sociologie de Max Weber,
de Stephen Kalberg. Éditions La Découverte,
275 pages, 18 euros.


Décembre 2010 – N° 77