Les médias complices du Président ?

Publié le 15 janvier 2008 par Willy
Les médias complices du Président ?


Par http://contrejournal.blogs.liberation.fr/



« La majorité de la presse est craintive, voire complice du président de la République, estime Lara Marlowe, correspondante de l'Irish Times, une semaine après la conférence de presse de Nicolas Sarkozy. Les questions de déontologie et d’éthique relatives aux fonctions du président sont systématiquement éludées ». «Se promener dans l’avion de Vincent Bolloré n’est pas très avisé, juge Mark Hunter, journaliste d’investigation américain, maître de conférences à l'Institut Français de Presse (Université Paris II). Sarkozy dit qu’il ne cache rien, c’est vrai. Sauf le pourquoi de ses relations ! ». Katrin Bennold, correspondante de l'International Herald Tribune, estime qu’en France, les « questions gênantes » sont rarement posées.

«La question essentielle du conflit d’intérêt ne lui est jamais posée»

Lara Marlowe (Irish Times) « Avec la presse, Nicolas Sarkozy a la même attitude qu'avec les partenaires sociaux ou les responsables de sa propre majorité. Dans un premier temps, sa stratégie consiste à cajoler et séduire, mais lorsque ça ne marche pas, à jouer l'agressivité. On l'a vu lors de sa conférence de presse, lors qu'une journaliste de France 24 lui a souhaité une bonne année, il s'est fait complice, amical, mais il n'a pas supporté la question de Laurent Joffrin sur le monarque élu. Il a même rappelé les difficultés financières de Libération.... Poser de bonnes questions équivaut à se griller vis à vis des conseillers: c'est la façon dont les dirigeants français conçoivent les relations entre la presse et le pouvoir. Mais cette situation s'est aggravée par le pouvoir de Nicolas Sarkozy.
Les questions qui fâchent sont donc rares. Il a évité la question du pouvoir d'achat, et pas un journaliste n'est revenu dessus, contrairement à la tradition qui veut qu'on reprenne les questions restées sans réponse. Autre exemple. Avant son élection, il a dit vouloir une république irréprochable. On voit qu'il prend des vacances aux frais d'amis milliardaires. Il répond mais ce n'est pas aux contribuables de payer mes vacances. Il y a pourtant une troisième solution: c'est qu'il paye lui même ses vacances! Cette question essentielle du conflit d'intérêt, personne ne lui a posé. Pour éviter de répondre, il s'est souvent comparé à ses prédécesseurs. Mais là encore, c'était purement dilatoire.
La majorité de la presse est très craintive. Complice. Les pôles de résistance sont rares. Les meilleurs amis de Nicolas Sarkozy sont à la tête des médias les plus influents (TF1, Europe 1, Paris Match, le JDD...), et ce réseau relationnel est durable parce qu'il résulte d'une longue construction. Son comportement avec les journalistes doit aussi être souligné. Il tutoie les journalistes. A la Garden party de Rachida Dati, j'ai entendu des collègues le tutoyer aussi. Si le président de la République n'impose pas la distance nécessaire, c'est le devoir des journalistes de le faire.
Dans la mesure où il est hyperactif, on est obligé de le suivre. On n'y échappe pas. Et je ne pense pas que la journée sans Sarkozy soit une solution... De même qu'on ne peut pas faire l'impasse sur sa vie privée. On l'a bien vu pendant la campagne électorale. Nous avions deux faux couples présidentiels. Les journalistes savaient que Ségolène Royal et François Hollande n'étaient plus ensemble, et que les retrouvailles de Nicolas Sarkozy et de sa femme étaient probablement factices. Ils ont donc joué la comédie... Est-ce que la presse a posé la question? Non. On élude en permanence les vraies questions de déontologie et d'éthique. »

«Je ne vois aucun avantage politique à l’exposition de sa romance glamour»

Mark Hunter. « Les tactiques de Nicolas Sarkozy ne sont pas nouvelles. Avant lui, Jack Lang, par exemple, qui s'inspirait d'ailleurs de Ronald Reagan, avait compris qu'en se concentrant sur l'action, on détournait l'attention des résultats. Nicolas Sarkozy a l'avantage de l'action, et il contraint les autres, en particulier les médias, à suivre. La différence tient dans le raffinement, dans l'implication dans le détail manifestée par Sarkozy et dans la réaction permanente. Il est intéressant de constater qu'il réagit aussi aux médias, en portant son attention sur ce qu'ils désignent comme important. En quelque sorte, il prend les médias à leur propre piège. Il lui reste à espérer que des résultats viennent. L'affaire Clearstream lui a permis de se présenter à l'élection présidentielle comme un outsider, voire un opposant, alors même qu'il partageait la responsabilité gouvernementale. Si la situation de l'économie, et tout particulièrement celle des banlieues continuent de se dégrader, on voit mal comment il pourrait échapper à ce bilan là. Alors qu'il annonce que les caisses sont vides, que le temps des largesses gouvernementales n'est plus de saison, on apprend qu'il a augmenté son salaire et le Parlement ne veut pas rendre ses propres privilèges. Je ne vois aucun avantage politique au spectacle de sa romance glamour, trois mois après un divorce caché, qui a suivi la remise en scène de sa vie de famille pour des raisons électorales. Se promener dans l'avion de Vincent Bolloré, dont on connait les intérêts dans les médias, n'est pas plus avisé. Sarkozy dit: je ne cache rien. C'est vrai, sauf le pourquoi de ses relations! On peut donc se demander quel est le sens et l'utilité de cette exposition médiatique. Nicolas Sarkozy risque fort de donner l'impression de s'occuper de son propre bonheur avant celui des gens de ce pays. A tort ou à raison, c'est d'ailleurs la conclusion que pas mal de gens semblent avoir déjà tiré.»

Mark Hunter est l’auteur de nombreux ouvrages d’enquête et d’un Que sais-je sur le journalisme d’investigation (PUF, 1997).

«Les questions gênantes n’ont pas été posées»

Katrin Bennold (International Herald Tribune). «Nicolas Sarkozy avait annoncé une rupture dans le style de l’exercice présidentiel. Et cette conférence de presse rompt avec le style de la monarchie présidentielle précédente, malgré le contexte d’hyper-présidence. Les journalistes n’auraient certainement pas posé les questions aussi personnelles à ses prédécesseurs… Dans le même temps, les questions n’ont pas été très difficiles sur l’agenda des réformes, qui est au cœur des interrogations. En France, il est rare que les questions gênantes soient librement posées à des conférences de presse. En Angleterre, la tradition inverse existe: celle de poser des questions difficiles tout le temps. C’est une dynamique très saine. Et les hommes politiques sont obligés de s’y soumettre.»