Pages à brûler

Par Fibula
Pages à brûler, de Pascale Quiviger, Éditions Boréal, 2010
Comme je l'ai parfois mentionné sur ce blogue, Pascale Quiviger fait dorénavant partie de mon panthéon personnel d'auteurs que je vénère (presque). En effet, depuis la lecture de La maison des temps rompus, qui m'avait jetée à terre, j'ai rattrapé mon retard en lisant Le cercle parfait, paru en 2004 aux Éditions de l'Instant même,  et qui m'a aussi énormément plu, et à la parution du dernier livre de la Québécoise exilée à Londres, j'ai sauté de joie et me suis empressée de me le procurer. Avec Pages à brûler, Pascale Quiviger nous entraîne dans un nouveau genre, plus proche au départ du polar, puisque nous essayons avec l'inspecteur Bernard Lincoln de comprendre la disparition d'une femme, Clara Chablis.Dans une lettre qu'il adresse à sa femme Louise, l'inspecteur lui explique les raisons de ses absences répétées et de sa presque folie dans le cadre de cette enquête plutôt non conventionnelle.Puis, dans les différents chapitres, nous nous glissons dans la peau du chien de l'inspecteur, de la meilleure amie de la femme disparue, du père du conjoint de Clara, et dans celle de Daniel, le conjoint en question et principal suspect dans l'affaire.Ainsi, nous découvrons la mystérieuse Clara par la bouche de ceux qu'elle a côtoyés (bon, sauf pour le chien). Et à chaque fois dans un style différent : le style précis de l'inspecteur (p.11) laisse place à l'urgence de la meilleure amie de Clara, Rose Jordan (p.75) et à la poésie de Daniel (p.191). Avec Constance Fullum (p.117), nous nous retrouvons dans un livre de Dickens...
L'auteure ajoute une dimension fantastique à l'histoire avec des références à une éventuelle gémellité entre Daniel et Clara, qui ont la même date de naissance et un code génétique très semblable. De plus, Clara dispose d'étranges pouvoirs, et une certaine influence sur tous les gens qu'elle croise. Elle représente l'altruisme et la compassion à l'extrême, ne possédant aucun bien matériel (condition nécessaire à la liberté selon l'auteure), perçant les gens dans leurs plus grandes fragilités, et devinant leurs vies. Ce dénuement et cette compassion représentent une fascination et un "presqu'idéal" de vie, cher à l'auteure, qui pratique le bouddhisme et la méditation.
Chaque personne qui côtoie Clara ressort de cette relation complètement transformée. Il en va ainsi de son amie Rose, bipolaire, qui nous décrit sa maladie : «C'est au cours de la même année qu'un psychiatre a diagnostiqué mon trouble bipolaire, et le reste de ma vie est tout en forme d'escaliers qui montent, descendent et s'arrêtent à l'improviste.» (p.86-87). Rose est celle qui vit le plus mal la disparition de Clara.
La folie - ou la quasi-folie - est souvent présente dans les œuvres de Pascale Quiviger, et dans celui-ci en plus de Rose qui a d'importants problèmes nerveux, nous côtoyons un schizophrène pyromane qui au contact de Clara s'apaisera. L'auteure explique : «Pour moi, les catégories "santé mentale" et "folie", c'est un peu comme le vrai et le faux. On avance sur une crête beaucoup plus étroite qu'on ne le pense» (article du Devoir par Caroline Montpetit)
Par Daniel, le conjoint de Clara, celui qui est le dernier à l'avoir vue avant sa disparition, nous accepterons et comprendrons mieux le fonctionnement de cette jeune femme pas comme les autres.
Ces pages à brûler, quelles sont-elles ? Les pages d'un mystérieux cahier rouge, fil conducteur de ce roman, cahier reliant les générations, les êtres, les femmes.
Celle qui a déjà dit en entrevue que «L’écriture est transportable. Ça m’ouvre des horizons. Vivre ailleurs fait que nous n’appartenons à aucun espace. Ça rend mon travail plus malléable. Mon identité est en doute. Tout est familier et, en même temps, ne l’est pas du tout. Ma vision n’est pas celle de l’appartenance, mais elle est liée à des solidarités planétaires.» livre encore une fois un roman dont on ne connait pas le lieu géographique précis. Cela pourrait se passer à Londres, à Paris, ou à Montréal. À ce sujet, l'auteure précise : «J'aime l'idée du non-dit, je trouve que cela rend les humains plus universels. J'ai l'impression de voler quelque chose au lecteur, si je lui en dis trop sur les personnages.»
Ce qui est sûr, c'est qu'elle nous livre encore une fois un très beau roman, puissant et poétique, parfois mystérieux.
La critique d'EmorageiUn article dans La PresseLa critique du VoirL'article dans Le Devoir 
Petite note sur l'auteure : Pascale Quiviger, également artiste peintre et enseignante, a publié en 2007 un livre intitulé Un point de chute, qui se présente comme une réflexion sur la naissance des formes, et qui intéressera probablement les artistes parmi vous... pour moi, ça n'en rajoute que plus à mon admiration pour l'écrivaine.
En écrivant ceci, j'écoute Dead Can Dance, le concert à Montréal enregistré le 4 octobre 2005 au Théâtre Saint-Denis (j'y étais !).