Paul Baraka : un coma a fait de lui un musicien

Publié le 15 janvier 2008 par Titus @TitusFR
Expérience de mort imminente. En anglais, l'expression consacrée est NDE pour "Near Death Experience". Elle décrit les hallucinations évoquées par certaines personnes ayant repris conscience à la suite d'un coma... C'est une expérience de cet ordre qui a orienté le Québécois Paul Baraka vers la musique et l'a amené à devenir compositeur. Un parcours assez extraordinaire qu'il nous avait raconté alors qu'il venait de publier son tout premier album, "Music for the imaginary", à la fin des années 90.
Depuis la sortie de son premier album, "Music for the imaginary", le compositeur établi à Boucherville (Québec) a fait bien du chemin. Réputé notamment pour ses musiques de films ou séries TV, il a déjà été en nomination aux prix Gémeaux et Gemini en 1999 et 2000 pour la musique de la série d'animation Bob Morane (diffusée en France par Canal + et France 3). Mais le talent de ce fils spirituel de Vangelis et Carl Orff ne se limite pas à ses réalisations pour la télé ou la publicité. Touche à tout d'une créativité sans borne, cet iconoclaste génial continue à bousculer les canons de la musique Nouvel Age avec des productions toujours originales et abouties. A l'époque de notre rencontre, Paul Baraka disait poursuivre un seul but : arriver à recréer les superbes musiques entendues durant son coma...
Demo du compositeur Paul Baraka

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Titus - Paul Baraka, nous allons bien sûr revenir sur ce déclic, cet instant de votre vie qui vous a inspiré une certaine métamorphose, mais j'aimerais que l'on revienne tout d'abord sur vos origines. Je crois que vous êtes né au Liban. Vous y avez vécu ?
Paul Baraka - En fait, non, je n'ai pas vécu au Liban. Je n'ai pas d'origine libanaise. Je suis né là-bas car mon père voyageait beaucoup. Mes origines sont surtout égyptiennes et grecques. J'en suis assez fier. Quand on retrace les origines, paraîtrait-il que ça remonte jusqu'à l'époque pharaonique. Qui sait, je suis peut-être la réincarnation de Toutankhamon (rires)...
Titus - Ca vous inspire, ces origines ?
Oui, c'est relativement nouveau parce que je suis en train de redécouvrir mes origines. Je suis récemment retourné en Grèce... Les Grecs étaient de grands philosophes et les Egyptiens ont un côté mystique et spirituel. Tout cela m'influence de plus en plus.
Titus - Ces origines apparaissent en filigrane dans votre musique où de nombreuses influences de cultures diverses se côtoient. Je pense à des morceaux comme "African dream" ou "Macedonia" où l'on décèle une touche orientale, non ?
Tout à fait. Pour ce qui est de "Macedonia", ça a été inspiré par l'histoire d'Alexandre le Grand. J'avais visité l'expo sur Alexandre le Grand au palais des Civilisations. Alexandre le Grand n'était pas un destructeur; c'était un conquérant mais il ne détruisait rien. J'ai beaucoup admiré ça et j'ai essayé de le traduire en musique. Rendre compte de cette puissance qui n'était pas agressive !
Titus - Les expériences de mort imminentes fascinent toujours. Pouvez-vous nous raconter ce qui vous est arrivé ?
Mon cas est assez particulier. Je me suis trouvé plongé dans un état semi-comateux pendant un mois. Pendant tout ce temps, j'étais dans un état second et je ne me souviens absolument de rien, excepté d'une musique. C'est ce qui m'a fait changer d'orientation car, avant cette expérience, je travaillais comme informaticien dans l'administration. Lorsque je suis sorti du coma, je n'avais plus qu'un but : reproduire la musique que j'avais entendue. Je voulais aussi comprendre pourquoi je me trouvais hanté par cette musique.
Titus - Avez-vous le sentiment d'être parvenu à reproduire, dans votre premier disque, la musique que vous aviez entendue ?
Non, je dois souligner que la musique de cet album n'est pas exactement celle que j'ai entendue. Je suis encore en train de la chercher... Ce que j'ai entendu n'était pas très paisible. Rien de calme ou serein. Ce n'était pas le Requiem de Mozart. C'était plus dynamique... Mais je n'ai pas encore trouvé les mots pour décrire ce que j'ai entendu.
Titus - Avez-vous le sentiment d'avoir vécu une expérience de mort imminente ?
J'en ai pris conscience après coup... J'ai subi quelques contrecoups peu après mon coma. De mon état semi-comateux, je ne me souviens que de la musique, donc je ne peux pas en dire grand-chose. Mais certaines choses me sont revenues plus tard : le fameux tunnel notamment. je pense avoir vécu des moments très intenses mais je cherche encore la réponse. Cela m'encourage dans ma quête intellectuelle. Je crois qu'il y a quelque chose après la vie, j'en ai la conviction. J'essaye de trouver des réponses au travers des sciences pour arriver à expliquer ce qui s'est passé. A un moment donné, j'ai eu un accident en faisant du sport. Je me suis cogné la tête et cette petite commotion cérébrale a causé beaucoup de choses. La musique s'est imposée de plus en plus, notamment pendant mes rêves. Lorsque j'en parle comme ça, je dois donner l'impression d'être quelqu'un de très troublé, mais en fait, pas du tout. Je trouve ça très inspirant. Pour moi, le seul lien entre nous et l'au-delà, c'est la musique. Parce que la musique nous amène parfois à des niveaux de conscience et de vie extraordinaires. Toutes les religions l'ont bien compris.
Titus - Qu'est-ce qui avait provoqué votre coma ? Etait-ce un accident ?
Non. C'était une déprime. Ca a commencé avec une mononucléose, une extrême fatigue, et ensuite ça s'est accentué à cause d'une déprime profonde qui m'a amené à m'autodétruire, j'imagine. J'ai vraiment failli y passer...
Ecouter la réponse de Paul Baraka, dans Calypso, sur CINN FM :


Pour moi, c'est un moment de révélation puisque toute ma vie, désormais, est basée sur la musique. Cette expérience m'a tellement obsédé que je me suis présenté au Cegep Saint-Laurent pour m'inscrire à une formation musicale. Ils ont fini par m'accepter, même s'ils me faisaient remarquer que je n'avais aucun antécédent musical... Pour moi, cela n'avait aucune importance. Mon but, c'était d'arriver à reproduire ce son que j'avais entendu pendant mon coma. J'ai commencé par écouter beaucoup de musiques : du classique, du médiéval, mais aussi du très moderne...
Titus - C'est vrai qu'on décèle une foule d'influences, et notamment l'empreinte de la musique classique, dans ce que vous écrivez !
Je suis très attaché aussi au système tonal. A l'avenir, je pense que je m'attacherai à faire un lien entre la musique ethnique et la musique classique. La musique classique dégage une intensité extraordinaire mais est plutôt intellectuelle. Quant à la musique ethnique, elle est plutôt émotive. Je veux arriver à faire le lien entre les deux : pour le moment, je n'en suis encore qu'à tester différentes choses dans le but de me rapprocher du son que j'ai dans la tête...
Titus - Pourquoi, au moment où vous avez décidé de vous consacrer à la musique, vous êtes-vous dirigé vers le piano, un instrument que l'on retrouve de manière prédominante sur votre album ?
C'est un instrument complet, sur lequel on peut composer des symphonies entières. On peut rapidement mettre ses idées en pratique avec le piano. La flûte ou la guitare ne sont pas des instruments aussi complets. Il y a eu des transcriptions de la neuvième symphonie de Beethoven au piano et le résultat est fantastique. Cela n'aurait pas pu être fait sur aucun autre instrument.
Titus - Ca paraît tout de même extraordinaire car seulement deux ans après votre admission à ce programme de musique au Cegep Saint-Laurent, vous remportiez déjà le prix d'expression musicale du Cegep et vous avez aussi commencé à représenter l'établissement en compétition provinciale. Est-ce vrai que vous n'aviez jamais étudié la musique avant ça ?
Jamais sérieusement. Disons qu'à l'école, un peu comme tout le monde, j'avais fait un minimum de flûte et j'avais reçu quelques cours d'initiation. Mais je n'avais jamais imaginé devenir un jour musicien.
Titus - J'ai parlé tout à l'heure de métamorphose. Le mot n'était pas trop fort... Ca paraît incroyable de faire le chemin que vous avez parcouru en seulement deux ans !
Oui, je crois que je peux être fier de ça. Quand j'ai poursuivi mes études à l'université, mes professeurs ne me croyaient pas quand je leur disais que je n'avais que deux ans de pratique. J'ai du mal à me l'expliquer encore aujourd'hui, mais je suis persuadé que tout ça partait d'une volonté tellement forte... Je crois qu'on peut tous faire des choses extraordinaires si on s'en donne vraiment la peine...
Titus - Après le Cegep, vous avez poursuivi vos études à l'université de Montréal, où vous avez approfondi vos connaissances dans la musique de synthèse...
Au départ, j'ai été admis à l'université de Montréal en formation de piano classique. Mais cela ne me plaisait pas. J'ai réalisé que je ne pouvais pas évoluer dans un système aussi conformiste. C'était très strict : on faisait du classique, de l'électro-acoustique, du jazz, mais on ne faisait pas de tout. Et moi, je ne pouvais pas m'arrêter à un style et devenir un simple interprète. Et la composition était trop stricte. Il leur fallait toujours réinventer le monde et ce n'était pas mon but. Je ne dis pas que l'Académie est mauvaise, loin de là. Simplement que ça ne me convenait pas à l'époque. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir envie d'y retourner pour approfondir mes connaissances en orchestration.
Titus - Vous avez déjà beaucoup écrit pour le cinéma, notamment pour des courts métrages. Vous avez aussi écrit de la musique pour des vidéos promotionnelles ou publicitaires. J'ai relevé aussi que vous aviez écrit de la musique de ballet pour la chorégraphe Iro Tembeck, en plus de compos speed metal contemporain, et d'autres dans le style pop dance... C'est tout de même très éclectique comme approche...
Je crois que toute musique a sa valeur. Il faut juste savoir l'écouter en tenant compte du contexte dans lequel elle a été émise. J'ai voulu expérimenter, et je compte bien continuer dans cette veine à l'avenir. Il va y avoir des albums plus chantés de ma part et des albums dans ce style. J'aime tous les styles. Ma collection va du Nirvana à du Ligeti.
Titus - Votre album s'intitule "Music for the imaginary", c'est à dire "musique pour l'imaginaire". Est-ce qu'à votre avis, il se rapproche davantage de la musique que vous avez toujours cherché à recréer depuis votre coma ? Sur une échelle de 0 à 10, vous estimez en être où ?
Au niveau un seulement. Je pense en être véritablement à la première étape de l'accomplissement. Je crois toucher ici à la première étape qui est l'imaginaire. Pour moi, c'est là où l'inspiration commence. N'importe qui a cette habileté. Cet album veut être une forme de stimulation, avec des compositions propices à l'évasion.
Titus - J'ai écouté l'album en songeant à votre expérience. Les premiers morceaux m'ont fait penser au passage dans l'au-delà, une étape après laquelle on semble émerger dans un univers plus serein, que vous exprimez d'ailleurs par le piano, et puis la dernière partie de l'album semble représenter un retour à la conscience après l'éther...
C'est exactement ça. C'est aussi à l'image de l'aventure de la vie. Quand on est jeune, on croit à tout. On est prêt à tout absorber, et puis on revient un peu sur terre. On voit tout ce qui est beau. Vers la fin de l'album, qui est plus intense, j'ai voulu donner l'impression de choc pour symboliser la société, ce qu'elle devrait être et ce qu'elle n'est pas. On le sait tous, dans le fond. C'est l'aventure humaine. J'ai toujours eu envie de savoir ce que l'homme fait sur terre. C'est la question que tout le monde se pose. Depuis que j'ai l'âge de lire, je me suis toujours intéressé à la question. Les mouvements quantiques, la théorie du chaos, la genèse, tout cela m'influence dans la composition et c'est là que je suis aller piocher mes thèmes.
Titus - Ce questionnement, on le retrouve à l'écoute de votre album. Le piano sert aussi à distiller les souvenirs et les rêves...
Ecouter la réponse de Paul Baraka, dans Calypso, sur CINN FM :


C'est vrai que c'est un instrument, en tout cas pour cet album, de douceur. Il était le symbole du romantisme, l'époque pianistique que je préfère. J'ai souhaité l'utiliser de manière minimaliste : créer l'émotion avec un minimum de notes. Je trouvais ça fantastique. J'ai passé le stade des hyper virtuoses où il fallait faire le plus de montées et de descentes d'octaves. Je n'ai pas voulu un album de virtuosité mais plutôt un album de simplicité. Et le piano représente la simplicité...
Titus - Et on observe le contraste avec des pièces plus torturées, à l'image d'"Orpheus", une pièce d'une puissance remarquable qui m'a fait penser au "Carmina Burana" de Carl Orff...
On a trop associé "Carmina Burana" au côté noir, satanique presque. Mais le côté noir est en chacun de nous... Cette pièce, pour moi, représente une révolte, puissante mais juste. A mon sens, on pourrait dire la même chose au sujet de "Carmina Burana". C'est une libération. Ce n'est pas aussi noir qu'on le dit parfois...
Titus - Pour ma part, je n'ai pas trouvé ce morceau lugubre. Plutôt dynamisant, en fait, à l'image d'une reprise de conscience, de la nécessité de faire face à la réalité...
C'est basé sur le mythe d'Orphée. C'est pour ça que je l'ai appelé Orpheus. L'inspiration du plus grand chanteur de tous les temps était Orphée. Quand elle est morte, il a perdu sa voix, et il est allé la chercher parmi les morts. On lui a dit toutefois que jamais il ne faudrait qu'il la regarde et que jamais il ne devrait douter. Au milieu de sa montée des enfers, il l'a cependant regardée et a perdu l'inspiration. Ma composition est basée sur ce thème : c'est quelqu'un qui découvre le passage d'Orphée et tout ce côté extraordinairement noir mais créatif. La morale de l'histoire, c'est sans doute qu'il ne faut pas chercher à savoir d'où vient l'inspiration. Il faut juste l'accepter. "Orpheus" est sans doute, sur l'album, ce qui se rapproche le plus de ce que j'ai entendu durant mon coma.
POUR EN SAVOIR PLUS :
Le site MySpace de l'artiste : Paul Baraka.
Le site officiel du compositeur.
LA DISCOGRAPHIE DE PAUL BARAKA :
"Music for the imaginary" (1998 - réédition en 2007)
"Elyxium" (fin 2007)
"Biofear" (fin 2007) : spectacle conçu et réalisé par Paul Baraka.
BO du documentaire "Le chemin des étoiles" de Jean-Claude Marin (2006), sur les pèlerinages à Compostelle.