Silence

Publié le 15 janvier 2008 par Caroline Baudin

Ces derniers temps ce qui me surprend le plus à Barcelone c’est le silence.
Comment est-ce possible au pays des bruyants ? Au pays des crieurs professionnels ? Le même pays dans lequel une classe de 40 personne couvre quotidiennement le bruit d’un amphi français plein. Où, même au plus profond de leur langue, tout est plus fort : discuter signifie se fâcher, entendre signifie comprendre.

D’où vient ce silence apocalyptique.
Le matin, le silence hébété de centaines de personnes en pilote automatique, plus très bien sures d’avoir une vraie bonne raison de s’être tirée du lit pour s’enfouir sous terre dans un endroit sombre, chaud et malodorant, et s’y entasser avec un échantillon de ses semblables si étrangers.
Ce silence agressif d’yeux cernés et casqués, tout juste relevé par un grésillement générique émanant de ces paires d’écouteurs blancs. Comme un souffle blanc, comme un bruit vide. Un silence oui, mais pas une absence de bruit : une torpeur. Comme un manque. Comme si ces personnes là, savaient qu’elles oubliaient quelque chose. Elles n’ont pas encore tout mis en marche, ce n’est pas qu’il est trop tôt pour parler, c’est qu’il est trop tôt pour penser. C’est qu’une force pire que la volonté les pousse à être là. Et c’est cette hébétude là que contemple leur silence. Parler serait vulgaire. Le moment est vraiment un vertige omnibus. proxima estacion : catalunya.

Le soir, le silence toujours, mais il est devenu pesant. Il est devenu choisi, comme le fait d’être ici. Parce que rentrer a la maison n’est pas un réflexe conditionné, c’est un sauvetage qu’ils s’offrent un peu tous. Ce silence là est un souffle retenu, d’autant plus fort que chaque instant l’approche de la délivrance.
C’est un soupir de satisfaction en suspens. Pour autant personne ne sourit plus que quelques heures auparavant, dans l’autre sens. Les individus non individués continuent d’affluer de la gauche du quai pour attendre la rame sur le banc de droite et les gens arrivant par la droite continuent de traverser tout le quai pour s’asseoir à gauche. Les déjà assis se décalent méthodiquement pour laisser chaque fois un espace équi-distand entre chaque personne du banc, que ce soit 1 mètre ou 1 centimètre. Même en matière d’espace vital, tout est relatif, sauf l’égalité.
Les écouteurs distribués à chaque oreille continuent de grésiller génériquement, certains doigts se risquent à battre une mesure incertaine. Ce silence est caractéristique, une demi heure avant c’est le brouhaha d’après shopping, les hurlements en VO de touristes qui se sentent libres d’être enfin incompréhensibles. La jouissance d’être en crypté, une sorte de canal+ au pays des non abonnés.
Rien à voir non plus avec l’excitation de la demi heure suivante, excitation gominée qui sent le CK One et porte des ballerines Bershka, excitation qui fera le trajet inverse quelques heures plus tard dans des combinaisons différentes qu’à l’aller. Et même après minuit, cette excitation là restera bruyante.
Le silence qui me trouble n’est pas le silence d’une rame ramenant au lit trois ex-jolies filles aux joues gonflés de vodka et aux talons promis aux compeed.
Le silence qui me trouble est celui de la foule résignée, celui de centaines de coiffures ratées, celui de beaucoup trop d’esprit qui n’ont rien d’autre à penser que le nom de leur arrêt, ce silence qu’on lit dans les regards qui transpercent les journaux gratuits.