THEO LÉSOUALC’H Le verbe vagabond (1930-2008)

Publié le 19 décembre 2010 par Les Lettres Françaises

THEO LÉSOUALC’H Le verbe vagabond (1930-2008)

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Il est des poètes qui s’en vont comme des souffles. On les imagine volutes, s’éloignant impondérables et se dissolvant soudain dans l’espace, qu’il est difficile de leur trouver une trace. Théo Lésoualc’h s’est voulu un tel destin : « Est né. A vécu. A vieilli. A mouru. Tout ça sans même un pronom personnel ! », en nous quittant le 28 novembre 2008 et renaissant dans l’album que lui consacre Guy Benoit sous le beau label des Editions Mai Hors Saison.

Sa vie sauvage, au vent de liberté, qu’une précarité voulue (Il rit de se voir attribuer le R.M.I., puis le minimum vieillesse !) jamais ne plomba, commença par le voyage tout en regards pour les immensités continentales, d’abord l’Europe du Nord, puis les routes silencieuses du Sud, de l’Orient : l’Inde avant l’éveil du Japon et les détours par l’Iran, la Thaïlande, l’art du mime érigé en suprême expression. Après viendront la parole et les mots jetés d’abord comme les brèves fulgurances d’une gestuelle dépouillée. Ensuite, la poésie de l’instant et la prose narrative sous forme de roman au risque du débridé et de l’inachèvement, car Théo Lésoualc’h avait nulle prétention. Certes il traversait le verbe, émettait quelques sentences, livrait quelques jugements mais ne cultivait pas le message péremptoire et l’illusion de dire la vérité.

« On voudrait danser à blanc. ? Gesticuler en pleine blancheur du papier. On voudrait se fondre anonyme au moment de signer.  Naître exclu des lettres. Etre en immunité le dormeur oublié des mots. On voudrait. »

Très tôt il avait compris que le devant de la scène n’était pas son emploi. Il le savait, « Celte bougnoule » qui n’entrerait pas dans l’Histoire « ni à pied ni à cheval ». Il ne serait que dans l’évanescence, la retraite essentielle dans sa tanière-ancrage des Cévennes, le bord de mer de la clandestinité. Atavique breton du périple, il travaillerait dans les marges, s’accorderait quelques relations atypiques (Emmanuelle Arsan, la passion extatique, et Jadorowsky, le cinéaste de l’énigme sacrée), des intenses et fugaces amours et, dans le même temps, à l’échelle de la vie fragile, choisirait la solitude et la contemplation du cosmos en apprenant la science des plantes et les voies animales de l’immanence. Il était familier de ces compagnies multiples qui enchantent le monde de leur diversité éphémère.

Il déserta l’empire technologique, son formatage obligé et sa rumeur de mort. Il préféra rester humain, se dédia à l’art des masques, à la verve langagière, à l’écriture de la nudité. Maurice Nadeau (La vie vite, phosphènes, Marayat), Christian Bourgois (Oui poisson lune), Jean Jacques Pauvert (Erotique du Japon), le remarquèrent. Après, il donna des fragments et se détourna (se détourna-t-on de lui ?) Il voulut tout son temps et aboutit au Rien infini qui est l’autre nom de l’éternité sans l’âme. Il aima Nietzsche et Artaud.

« L’introuvable me hante. Vide d’instants. Vide de son absence. Tandis que m’assaillent les blancs du temps en échappements privilégiés. Rabougris. Incasables le plus souvent. Et il faut m’accommoder de ces miettes et vaquer encore dans leur haleine. Me reste l’infini pour ça. »

Il connut les explorations extrêmes. On en fit un écrivain beatnik. Peut-être une manière facile de le placer quelque part dans la grille littéraire par ce qu’il était en mouvement, adepte des substances paradisiaques et des amours libres sous des ciels exotiques. On n’a que trop tendance aujourd’hui à ramener Kerouac en bandoulière. Sans doute Théo Lesoualc’h était-il en sympathie profonde avec lui – qui ne l’est pas ? – comme il le fut avec Claude Pélieu. Mais, d’être assimilé il dut se sentir enfermé. Il adulait tout autant Céline et Miller. Il n’espérait guère en la postérité. La critique est dédaigneuse et l’Histoire oublieuse. Toutes deux l’ignorèrent. Qu’importe, il joua avec la lumière.

« Ma voix sera dans le non-dit

d’un non-lieu sur mesure

et ça fera du bruit je vous l’dis. »

Yves Buin

Lésoualc’h, clandestin de nulle part et simultanément. Editions Mai Hors Saison. 2010.

Décembre 2010 – N°77