Nos quatre saisons - Un pré-bilan par Le Fric-Frac Club

Publié le 20 décembre 2010 par Fric Frac Club
Parce que c'est notre pizza préférée, parce que tout le monde connaît Vivaldi et parce que, apparemment, ça rappelle la renaissance. Nous vous proposons de (re)lire une poignée d'articles publiés cette année. Leur (vague) point commun, mis à part nous tenir à coeur ? Tous semblent définir, clairement ou en creux, un certain type de littérature. Cette littérature, nous espérons la mettre aussi en évidence dans la Bibliothèque Fric-Frac 2010 que nous publierons la semaine prochaine. Nous vous laissons donc ces quelques pistes d'exploration tandis que nous retournons aux discussions animées qui accompagnent chaque élaboration de liste de fin d'année. Ladbroke, me dit-on, a déjà ouvert les paris sur sa composition. L'hiver : Épique Italie.
Traversant le continent liquide méditerranéen par le haut, passant par dessus ma chambre, on pourrait croire que l'Italie dort à poings fermés depuis 40 ans. Il est parfois compliqué d'imaginer qu'un romancier italien puisse être autre chose qu'un sicilien écrivant des polars néo-véristes. Mais il semblerait bien qu'il y ait quelque chose de nouveau qui pousse derrière l'avachissement marketing d'une littérature fade qui n'a plus rien à nous dire (je reparlerai de cette horrible chose sucrée qu'est La solitude des nombres premiers de Paolo Giordano... un million d'exemplaires vendus en Italie), cherchant à prendre sa place & à imposer une remise en cause totale des comportements culturels transalpins. Le collectif Wu Ming est, avouons-le sans faire injustice au travail de Serge Quadruppani, relativement peu connu du public français. A tort. Le New Italian Epic dont ils sont, qu'ils le veuillent ou non, les porte-voix, encore moins. Le texte, qui pose enfin des mots sur un geste qui n'attendait que ça, n'a même pas était édité en France. (Lire l'article complet)
Sergio Chejfec voit double.
Chejfec nous emporte dans une immense et dense digression qui passe par différents stades, dans un mouvement qui va de l'observation des arbres ou des animaux du parc, ou simplement de son sol, à des réflexions quasi-métaphysiques provoquées par ces regards portés sur l'entourage et échangés avec les objets animés ou inanimés. Les enjeux du récit débordent très rapidement le simple éloge de la marche ou de l'observation, l'art de la promenade ou de la dérive urbaine - et est capable de suivre puis quitter la tradition connue des écrivains ou penseurs marcheurs (de quelque sorte qu'ils peuvent être), de Rousseau à Nietzsche, de Walser à Sebald, des surréalistes aux situs... Plutôt que sur la marche en tant que telle, Mis dos mundos propose une longue réflexion sur la marche de la pensée et de la création. (lire l'article complet)
Le printemps : Nabokov savait lire.
Chaque année, Nabokov demandait à ses élèves de remplir une petite fiche pour répondre à la question suivante : « Pourquoi vous êtes-vous inscrit à ce cours ? » La réponse la plus pertinente qu'on lui ait faite fut : « Parce que j'aime les histoires ». La réponse est simple, mais pas simpliste du tout. Tout grand roman, martèle sans cesse Nabokov,est un conte de fées : « En fait, toute fiction est une fiction. Tout art est mensonge. Le monde de Flaubert, comme celui de tous les grands écrivains, est un monde imaginaire, qui a sa propre logique, ses propres conventions, ses propres coïncidences. » La réalité est une chose, la fiction en est une autre. En lisant Don Quichotte, le lecteur n'apprendra rien sur l'Espagne du XVIIe siècle. Un grand texte ne rend pas compte du monde, il est un monde. (Lire l'article complet)
Germán Sierra renvoie l'ascenseur - Première partie et seconde partie.
Je pense que l'innovation n'est pas une qualité mais plutôt un dialogue en cours avec les œuvres du passé et les circonstances du présent (Ron Sukenick, dont je partage largement l'idée qu'il se faisait de la littérature innovatrice, parle d'une « tradition rivale » qui remonte aux discussions de Socrate – le grand mainstream – avec les Sophistes, et il soutient que cette tradition a survécu tout au long de l'histoire de l'art). Il y a eu un moment historique, la modernité, au cours duquel ce dialogue s'est développé surtout en adoptant dans l'art des formes et des techniques qui, jusque là, n'avaient pas été considérées artistiques, mais aujourd'hui, c'est déjà une manœuvre traditionnelle, une parmi d'autres. Les arts plastiques ou la musique ont assimilé ce fait sans aucun problème (c'est peut-être pour ça que, comme le dit Eloy Fernández Porta, il y a plus d'artistes plastiques qui citent ses livres que d'écrivains), et à n'importe quelle foire artistique, dans n'importe quel musée d'art moderne, on peut voir un portrait réaliste, une pièce conceptuelle et une vidéo dans la même salle sans que cela semble étrange à personne. (lire l'article complet : part 1 & part 2)
L'été : L'autre histoire du roman.
Elle déborde à chaque page de cet enthousiasme magique qui donne envie de surligner en fluo la moitié de ses phrases et de dévorer tous les livres qu'elle évoque. Moore a une idée amoureuse en tête (« Give me big, thick books full of ideas », répond-il le plus simplement du monde à ceux qui opposent difficulté de lecture et plaisir de lecteur), quelques étoiles du berger de choix (l'érudition, la métafiction, les livres qui parlent d'autres livres) et il se donne tous les moyens – un poil de mauvaise foi, un peu d'arbitraire et une érudition démente – pour faire hurler à l'Histoire mondiale du roman ce que personne n'avait jamais tenté de lui faire dire auparavant de manière aussi partisane : écrire un roman, c'est inventer une forme pour raconter une ou des histoires, la performance rhétorique est indissociable de l'art littéraire, et le plaisir de la lecture provient au moins aussi largement de l'appréciation de la-dite performance que des histoires qu'elle nous raconte. (lire l'article complet)
L'automne : Benjamin, honoré.
Au fleuve homogène du roman réaliste perfectionné au siècle précédent, s'oppose la constellation d'éléments hétérogènes que constitue le grand roman de la ville, devenue omphalos de son époque toute entière : Dublin chez Joyce, Saint-Pétersbourg pour Biély, Berlin pour Döblin, Paris pour Breton et Aragon. Babel (linguistique) ou Babylone (pécheresse), se fantasmant comme centre de l'univers chez Joyce ou se découvrant déjà prématurément vieillie chez les surréalistes, la ville est elle-même, dans ses architectures et ses populations, montage de temporalités, de couches sociales, de flux divers. L'intrusion du document brut, de l'élément discordant, chanson ou prospectus, voire du saut stylistique comme les tramways sautaient brièvement de leurs rails lors des changements d'aiguillages, était aux yeux de Benjamin le paradoxal et nécessaire retour à des formes plus antiques qui avaient été auparavant gommées. (lire l'article complet)