"Scott Pilgrim".

Par Loulouti

On peut parler d’événement manqué en France.


"Scott Pilgrim" ("Scott Pilgrim vs The World" en VO) aurait du être l’un des joyaux de cette fin d’année.


Mais une sortie confidentielle, une distribution on ne peut plus frileuse et une absence totale (ou quasi-totale) de publicité dans les médias "établis" auront envoyé ce monument cinématographique dans les limbes du 7ème art.


Et comme je le disais encore hier, nous sommes abreuvés pendant ce temps là de produits consommables sans queue ni tête.


Désolant.


Mais je dis bienheureux les cinéphiles qui, comme moi, auront eu la chance d’assister à la projection du nouveau long métrage d’Edgar Wright ("Shaun of the Dead" et "Hot Fuzz" tout de même) car "Scott Pilgrim" restera la Palme d’Or, l’Oscar des fans de 2010.


Assurément.



J’ai longtemps mûri cette chronique car j’avais l’impression qu’il s’agissait d’un Saint Graal rédactionnel. Une entreprise périlleuse. La tâche me paraissait insurmontable mais j’ai quand même décidé de me lancer.


"Scott Pilgrim" est à la base un comics book créé par Bryan Lee O'Malley. Le film d’Edgar Wright fait la synthèse du matériau originel et passe haut la main l’épreuve de l’adaptation cinématographique.


Le film en lui-même est un spectacle complètement barré, débridé, hallucinant en tous points. Un ovni cinématographique, un truc de dingues de presque deux heures. Il nous faudrait un temps fou pour énumérer les moments cultissimes tant Edgar Wright place la barre haut.


Un vrai divertissement de cinéma.



Je récuse fortement l’idée qu’il s’agit d’un long métrage destiné uniquement aux fans même si la multiplication des références et des sources d’inspiration peut en freiner la compréhension globale. A chacun de voir son propre "Scott Pilgrim" avec ses lacunes, ses manques. C’est ainsi.


"Scott Pilgrim" est une comédie romantique touchante à plus d’un titre mais les affres de l’amour (les duos ou triangles amoureux) servent avant tout le propos général et la trame n’est jamais freinée par Cupidon. Edgar Wright touche son cœur de cible avec une approche sacrément intelligente des sentiments amoureux qui animent ses protagonistes. On passe du rire au larmes, de la détresse au bonheur absolu d'un claquement de doigts sans clichés ni poncifs.


Le tissu narratif est tellement éclaté que le monde des séries télévisées (ahhhh les rires enregistrés) s’invite au beau milieu de "Scott Pilgrim" à l’occasion d’une saynète extrêmement drôle entre Scott et son ami Wallace Wells (Kieran Culkin).


La bande dessinée n’est pas non plus en reste avec l’insertion à l’écran de renseignements sur les caractéristiques des différents personnages. Le procédé surprend mais enthousiasme. On y adhère pleinement.

Et que dire de la comédie musicale façon Bollywood ? Splendide.


La culture rock donne au film un cachet nerveux, déjanté. La musique construit aussi "Scott Pilgrim". "Sex bob-omb", le groupe de Scott, a une importance capitale dans le déroulement de l’œuvre.



Sur le plan formel les morceaux du groupe transmettent une énergie incroyable au film, une pêche d’enfer. Si le rythme du long métrage est aussi intense, il le doit pour beaucoup à une bande originale d’une originalité si j’ose dire à souligner.


Sur le fond, Scott Pilgrim entretient des relations contrastées avec chacun des membres du groupe. La franche amitié, l’indifférence totale ou la béate admiration sont les sentiments qui animent les membres du "band".


La pierre angulaire du film est bien sûr l’univers des jeux vidéo. Scott Pilgrim (Michael Cera) est un Roméo du 21ème siècle dont la tâche est le charmer sa nouvelle Juliette, la mystérieuse Ramona Flowers (Mary Elizabeth Winstead). Pour se faire le jeune homme de Toronto va devoir affronter "La Ligue des Ex Maléfiques" composé des 7 ex-petits amis de la belle.


Ces affrontements prennent graphiquement la forme de duels qui nous rappellent les jeux de baston et de plateforme de notre enfance. Edgar Wright respecte tous les codes du genre et truffe son film d’innombrables inserts (pas "coin"). Le spectateur progresse en terrain connu.


On a fait mieux depuis en termes de qualité et de définition mais les trentenaires et les quadragénaires seront heureux de retrouver certains des plus grands succès que les plus jeunes appelleraient certainement la préhistoire ludique.


Des combats intenses, démesurés, surprenants, ébouriffants, tous différents. Nous plongeons au cœur d’une série d’instants intenses et jouissifs.


La débauche créative est le maître mot des batailles que mènent Scott Pilgrim. Le jeune homme doit faire appel à bon nombre de savoirs faire. Edgar Wright ne lésine par sur les moyens employés. Aucune séquence ne ressemble à la précédente.


Ces univers sont mêlés de manière frénétique. Le spectateur est béat d’admiration et jubile à chaque seconde. Le film n’arrête pas de nous surprendre. Edgar Wright a visiblement décidé de se lâcher et d’aller au bout de ses idées.


Et le spectacle est phénoménal, intense, ahurissant, prodigieux. Je manque de superlatifs mais "Scott Pilgrim" est une adaptation folle et furieuse qui fera date dans l’histoire du cinéma. On en prend plein les yeux et les oreilles.

Edgar Wright n’y va pas non plus avec le dos de la cuillère. Sa manière de filmer privilégie l’efficacité. Visuellement nous passons d’un endroit à un autre en moins d’une seconde. Chaque plan est unique. Le long métrage fourmille de trouvailles percutantes. Le cinéphile n’est jamais lassé. La technique fait sans cesse exploser la narration. A chaque séquence son innovation. Le film est tellement riche qu’un seul visionnage est un peu juste à mon sens.


"Scott Pilgrim" est un film qui fait beaucoup rire aussi. Mais pas un rire gras et gratuit. Les bons mots sont nombreux, les subtilités omniprésentes. A certains moments l’éclate est carrément totale (quand Scott se jette au travers d'une vitre pour échapper à Knives Chau).


Si le charme de "Scott Pigrilm" opère tant c'est qu’il nous propose une galerie de personnages réellement intéressante et extrêmement contrastée. Le travail scénaristique dessine chaque protagoniste avantageusement. Chacun a son moment de gloire à un moment ou un autre.


"Scott Pilgrim" est servi par des comédiens à la pointe de leur art.


Michael Cera (très crédible déjà dans "Juno") trouve à coup sûr ici son meilleur rôle en fighter improvisé.



Mary Elizabeth Winstead est à coup sûr l’une des étoiles montantes du cinéma nord américain. Son minois si craquant fait sensation. Personnellement j’adore.


Dans la famille Culkin, il n’y pas que…, et le prénommé Kieran pose ses jalons avec assurance en gay et fier de l’être. Sa manière de communiquer avec Stacey, la sœur de Scott, (Anna Kendrick) nous comble de bonheur.


Parmi "La Ligue des Ex Maléfiques" notons la présence remarquable de Chris Evans dans une parodie absolument savoureuse des stars de films d’action (avec l’utilisation de doublures comme cerise sur la gâteau), Brandon Routh ("Superman Returns") en héros végétalien aux super pouvoirs et Jason Schwartzman en boss ultime que doit combattre Scott.


Stephen (Mark Webber) et de "Young" Neil (Johnny Simmons) membres du groupe décrochent aussi des lauriers mérités. 


Outre Mary Elizabeth et Anna Kendrick, "Scott Pilgrim" doit beaucoup à la gent féminine.


Knives Chau (Ellen Wong) la première fiancée de Scott, Julie Powers (Aubrey Plaza) la boulimique de jobs en tout genre et Kimberly Pine (Alison Pill) la batteuse du groupe "Sex bob-omb" se rangent au rayon des éléments incontournables du film.


"Scott Pilgrim" est une œuvre culottée, sacrément bien foutue. Un film qui fera son bonhomme de chemin parmi les fans de la première heure et des autres à défaut d’avoir reçu traitement digne de son rang.


Edgar Wright confirme qu’il est un très grand metteur en scène.


Un long métrage à voir et à revoir.


Tout simplement.