Le club, Leonard Michaels, traduit de l'américain par Céline Leroy, éditions Bourgois

Publié le 29 décembre 2010 par Irigoyen
Le club, Leonard Michaels, traduit de l'américain par Céline Leroy, éditions Bourgois

 

A toutes celles et ceux qui, à l'instar de Aurélie, Patricia ou Anne, se sont étonnés, par écrit ou par oral, de ne plus lire ma modeste prose depuis longtemps sur ce blog, je voudrais préciser que tout va bien – merci – et que ce silence prolongé est dû à l'organisation d'un festival de littérature à Strasbourg au mois de mars prochain – je vous en parlerai en temps utile -, activité, vous vous en doutez, très chronophage.

Puisque nous clôturerons, après demain, l'année 2010, je souhaite vous faire part de deux derniers coups de cœur littéraires qui s'ajoutent à ceux dont j'ai été amené à parler récemment dans l'émission « Jeux d'épreuves » sur France Culture et sur lesquels je ne souhaite pas revenir ici de peur de doublonner.

Le premier s'intitule donc « Le club » de l'Américain Leonard Michaels, traduit de l'américain par Céline Leroy, aux éditions Bourgois.

Il s'agit d'un club d'homme. Ils aiment à se retrouver ensemble pour parler de tout et de rien, loin de leur femme ou conjointe dont on pourrait penser, du moins au début du roman, que l'omniprésence étouffante pousse ces messieurs à vouloir légitimement quitter le foyer familial.

L’occasion de s’offrir régulièrement un moment de convivialité en marge du travail et de la famille. Tout le contraire d’un groupe de femmes.

Les membres de ce club s'appellent Harold Canterbury, Solly Berliner, Harry Kramer, Paul Cavanaugh, Terry. Ils sont avocat, conseiller fiscal, professeur, psychothérapeute. Il s'agit d'hommes bien sous tous rapports. Nous sommes à Berkley, Californie, dans les années soixante-dix.

Et de quoi parlent-ils ces messieurs ? De femmes, exclusivement. Le roman emporte le lecteur dans des dialogues où chacun des protagonistes révèle une face cachée de ses rapports avec le sexe dit faible. On découvre que l'une de ces femmes aime les expériences échangistes...

Elle (la femme de Berliner) gémissait d’amour. Elle en faisait trop, vous voyez ce que je veux dire. J’avais envie de la tuer.

… ce qui n'est pas sans conséquence sur le physique du compagnon régulier...

J’ai débandé aussi sec.

… et alimente une violence sourde qui finira par éclater.

Je l’ai frappée et j’ai dit que ça aussi c’était mon idée. Elle a fondu en larmes. Elle s’est mise à pleurer et j’ai eu une érection.

Chez l'un sexe et violence sont donc mêlés. Un autre parlera d'une femme dont il tombe amoureux mais qu'il sera incapable de reconnaître le lendemain.

Ces premières interventions pourraient laisser penser que les protagonistes sont d'immondes machistes qui consolident quotidiennement une forme de pouvoir sur leur « moitié ». Mais à y regarder de plus près, la réalité est nettement plus contrastée. Les confidences de ces personnages masculins révèlent surtout leur propre fragilité. Tous, sauf le narrateur, manquent de distance pour pouvoir se livrer à une telle analyse.

« Pour l’instant, dis-je, j’ai entendu trois histoires sur un même sujet. Cavanaugh appelle ça l’amour. J’appelle ça des histoires sur l’autre femme. C’est-à-dire celle qu’on n’a pas épousée. Selon vous tous, seule l’autre femme est intéressante. Mais s’il n’y avait pas une épouse au départ, l’autre femme n’existerait pas. Surtout dans ton cas Berliner. En gémissant normalement, ta femme n’est que ton épouse. Elle gémit d’amour et elle devient l’autre femme. Et puis il y a les photos de Kramer. Regardez-les. Il a passé sa vie à essayer de photographier l’autre femme, mais chaque fois qu’il a appuyé sur le bouton, c’était comme s’il se mariait. Comme pour nier à une autre femme la possibilité de devenir l’autre femme. Et Cavanaugh, pourquoi est-ce qu’il ne trouve pas son autre femme ? C’est sa manière de protéger son autre femme ? Parce que alors elle ne serait plus l’autre femme. Chaque fois qu’il va à lépicerie et qu’il ne la voit pas, son mariage en sort renforcé. »

Dans ce club, on boit, on fume des cigarettes qui rendent joyeux. Mais le bonheur est éphémère. La douleur des uns et des autres, leurs failles finissent toujours par se révéler à qui sait regarder. Et à ce jeu-là, c'est bien le narrateur qui est le plus fort.

Les épaules carrées. La tête ronde. Il présentait une grande intégrité physique. Lorsqu’il mangeait, il mangeait, et il était composé de formes fondamentales ; du sang de paysan. Une force endurante se cachait sous sa chemise en soie mauve ? Ce surplus d’élégance le rendait complexe, ajoutant une fluidité féminine à la masse de son corps. Il gémissait en avalant, à croire que son plaisir était si grand qu’il pouvait revêtir la même expression que la douleur. Ses paupières se baissaient en même temps que la tarte lui descendait dans le gosier. Il semblait au bord de l’évanouissement, gagné par une souffrance exquise. A côté de sa tête, la main qui tenait sa fourchette paraissait petite. Un pouce épais, rabougri. Pas un pouce intelligent, mais résolu, capable d’évaluer les choses, d’étrangler. Je me rappelais qu’il avait dit être médecin. Alors qu’il ne faisait que manger de la tarte, j’aurais pu le regarder pendant des heures.

Ce qui apparaît donc au départ comme un livre sur cette volonté de puissance si détestable chez les hommes est en fait une mise à nue écrite par un auteur sachant capter jusqu'à la fin l'attention de son lecteur et le projeter dans un tourbillon. Nous sommes peut-être des voyeurs dans ce cabinet de psychanalyse qui ne veut pas dire son nom mais que cette séance cruelle est jouissive !

Tout est passé en revue. La lâcheté de l’homme qui rentre chez lui en se disant que je ne recommencerai jamais mais je recommence, il y a la violence contenue, la tromperie. Mais le boomerang finit toujours par revenir en pleine tête de celui qui l'a lancé. Ces hommes ressentent aussi de l'humiliation. L'un d'entre eux s'envoie en l'air dans une voiture avec une femme qui oublie son prénom. Il y a la faiblesse du médecin qui, en pleine intervention, ne trouve pas la force d'envoyer promener une fille qui l'appelle pour lui raconter des futilités. La vérité, enfouie met un temps fou à être dite.

Quant au mariage, c’est une nature morte. Comme cette table avec ses assiettes et ses verres. Rien ne bouge. Tu croises un vieil ami, vous échangez une poignée de main, tu lui dis : « Quoi de neuf ? » Il répond : « Je me suis marié le mois dernier. » Ton cœur chavire. Le pauvre.

Le livre s'achève sur une scène terrible. Je n'en dirai rien, bien sûr, afin que vous puissiez mieux savourer ce qui se joue là. Encore que la notion de « jeu » ne soit pas très appropriée.

Si toutefois on part du principe que la violence n'a rien de ludique.