La maison du jeudi – Villa Girasole – Angelo Invernizzi

Par Arnaudium

Quasiment inconnue en France, la villa Girasole est un OVNI dans le paysage architecturale des années 30. Et pour cause, cette audacieuse villa construite entre 1929 et 1935 à Marcellise en Vénétie, sur les collines des environs de Vérone, est à ma connaissance la plus ancienne maison tournante de l’histoire, d’où son nom (Girasole signifie en italien « qui tourne autour du soleil). Conçue par Angelo Invernizzi, la villa Girasole est longtemps restée incomprise et marginalisée. On redécouvre aujourd’hui la stupéfiante modernité de la maison à l’occasion de la restauration orchestrée par la Fondation Girasole, qui lui permet de tourner à nouveau pour faire fièrement face au soleil. Découverte de cette maison visionnaire.

Après de splendides maisons d’architectes, honneur à une maison d’ingénieur. Car c’est de l’imagination de l’ingénieur Angelo Invernizzi qu’est sortie la Villa Girasole, une des œuvres les plus curieuses de l’entre-deux-Guerres italien, une oeuvre injustement décriée et reléguée au cabinet de curiosité des bizarreries architecturales. Il fallait sans doute être audacieux pour imaginer une telle demeure, avec une antériorité de plusieurs décennies. Il s’agit tout simplement de la première maison tournante (autour du soleil) de l’histoire, qui en inspira beaucoup d’autres. Pour autant Angelo Invernizzi n’était pas fou et son idée est loin d’être incongrue à cette époque. Il faut en effet replacer la maison Girasole dans le contexte des années 1930 et 1940, qui voit poindre la thématique de «l’adoration du soleil». On pouvait comprendre que l’idée de rotation des bâtiments pour capter la lumière solaire allait rencontrer un certain succès. En 1934, Pierluigi Nervi avait d’ailleurs un autre projet de maison tournante, mais qui ne fut jamais réalisé.








Invernizzi avait déjà une certaine expérience dans les mécanismes rotatifs, puisqu’il avait déjà conçu une station de réfrigération rotative pour les fruits et légumes à Vérone, ainsi qu’un chemin de fer pour le tri des wagons, mais l’ingénieur ira bien plus loin dans la maison Girasole, qui puise son inspiration dans les navires de guerre (le mécanisme de la tourelle à canon). Le projet est en tout point remarquable, car il s’agit de faire pivoter une maison de 1 500 tonnes représentant un volume de 5 000 m3 sur une piste circulaire de 44 mètres de diamètre. La machinerie est digne de l’ingénierie militaire. La maison est composée de deux étages en forme de L. Elle dispose en son milieu d’une tourelle de 42 mètres de haut, une sorte de kiosque ou de phare qui est aussi le clin d’oeil aux navires de guerre. La rotation de la maison sur les trois rails circulaires est assurée par un moteur diesel. Il faut pas moins de 15 chariots pour soutenir le mouvement de la maison, qui glisse à une vitesse de 4 millimètres par seconde. Il faut ainsi 9 heures et 20 minutes pour opérer la rotation complète de la maison. Conçues pour faciliter les réparations nécessaires, les roues sont clairement visibles dans l’espace entre le toit-jardin et le dessous en béton de la villa.






Les grilles de la terrasse et des balcons évoquent le monde des navires, tandis que le revêtement des parois de la partie tournante (composé de panneaux Eraclit, un matériau allégé composé de laine de bois et de collage de magnésium) évoque le monde de l’ingénierie aéronautique. La piscine triangulaire est conçue par l’ingénieur milanais Fogliani. Elle laisse transparaître l’influence du futurisme italien, avec ses formes sculpturales et ses angles biseautés. L’intérieur, conçu par l’ami de l’architecte et collègue Ettore Fagioli, apporte aussi son lot d’innovations : il intègre des stores à commande électrique, un dispositif technologique expérimental, des ascenseurs Otis et un système d’éclairage indirect intégré Osram. Les aspects décoratifs ne sont sont pas délaissés pour autant : on y découvre des piliers couverts de mosaïques d’or, les planchers en mosaïque ou en bois, des mosaïques multicolores dans la salle de bains, un papier peint luxueux.





Vieillissante et en état de décrépitude, le sort de la maison s’est trouvé bouleversé avec la création de la Fondation Girasole, née de la rencontre entre Angelo et Lina Invernizzi (les enfants du créateur) et l’Académie d’Architecture de Mendrisio, avec la participation de la municipalité de San Martino Buon Albergo. La fondation a entièrement restauré la villa et ses environs avec comme objectif, non pas d’en faire un musée, mais d’en faire au contraire une structure vivante, et plus précisément un laboratoire de recherche sur les énergies renouvelables, en relation avec les universités et les entreprises.


Sans appartenir au fonctionnalisme pur (elle ne satisfait pas les cinq points de Le Corbusier), la villa Girasole appartient à l’évidence au rationalisme architectural. Elle incarne une synthèse inédite entre modernisme, rationalisme et futurisme. Une synthèse qui reflète un chapitre essentiel de l’histoire des arts appliqués italiens.