Lecture (Science) : Le problème du Temps.

Par Ananda

REVUE « POUR LA SCIENCE », Numéro Spécial : « LE TEMPS EST-IL UNE ILLUSION ? », N°397, Novembre 2010.

Qu’ont à dire les scientifiques sur le Temps ?

Eh bien, si j’en juge par le contenu de ce dossier du magazine « Pour la  science », les choses sont, à ce sujet, encore bien loin d’être claires.

Du reste, comment s’en étonner, vu que nous vivons, comme le souligne à l’envi Edgar Morin, dans un monde « éminemment complexe » ?

Depuis la nuit du temps humain (du moins en terme de conscience, de raison), l’Homme cherche à comprendre l’univers qui l’entoure, à en percer les secrets. Répond-il pour autant à ses propres questions ? C’est une autre affaire…

Ce numéro spécial de « Pour la science » nous offre le panorama – très pointu – de l’état actuel d’avancée des recherches, des concepts ayant trait au Temps, essentiellement en matière d’astrophysique, de physique des particules élémentaires (les deux domaines étant, bien entendu, interconnectés), de biologie, de neurosciences, d’ethnologie et d’archéologie.

Etrange Temps qui, bien qu’ayant des effets très concrets (causalité, évolution, dégradation, entropie) sur l’univers, demeure un concept très abstrait aux échelles « extrêmes » de la physique des particules élémentaires et des données macroscopiques de l’astrophysique !

Le Temps ne serait-il qu’un effet de l’irréversible, en d’autres termes une traduction de l’évolution de la matière ?

Le Temps marquerait-il, en fait, la direction du mouvement de l’Univers observable, dont on sait maintenant qu’il a une origine, un point de départ, le fameux Big-bang, et qu’il est « en expansion » ?

Et puis, d’ailleurs, pourquoi l’Homme se pose-t-il, pourquoi nous posons-nous la question du Temps ?

Sans doute, tout d’abord, parce que nous possédons une conscience, laquelle n’existerait pas si nous n’avions pas une mémoire qui nous « fabrique » un passé, et une faculté d’anticiper qui, elle, nous projette dans un avenir.

Sans doute, aussi, parce qu’en tant que mammifères diurnes, nous sommes régis par une « horloge biologique » qui fixe notre rythme circadien à à peu près 24 heures.

Sans doute, encore, parce que nous demeurons immergés, encagés dans « l’instant présent » que notre perception « épaissit », d’où la question récurrente que nous nous posons : «  [le temps] est-il physique, objectif ou intrinsèquement lié à notre rapport au monde ? » (in premier article, consacré à son aspect philosophique).

Est-il vrai comme il est dit dans le même article que « Notre conscience unifie les instants discontinus du temps de la physique, les « atomes de temps », de sorte que cette dimension devient continue et homogène » ?

Comment la « ligne (orientée) du temps » se construit-elle : « est-ce l’instant présent qui la parcourt progressivement ou n’advient-elle que point par point, un instant présent après l’autre ? » Le Temps est-il un en-soi dissociable des autres constituants de l’Univers, où il occuperait une place à part ?

Questions complexes…et réponses qui tournent quelque peu en rond.

Ainsi, Etienne KLEIN, physicien philosophe, nous assure-t-il que si, « pour la physique, deux instants qui se succèdent » se contentent de ne pas « exister ensemble », d’être « distincts » et de s’exclure mutuellement d’une « existsence simultanée » tout en appartenant « à une même série », il n’en reste pas moins que c’est à la « capacité intégrative » de notre conscience que nous devons le fait d’organiser un « ensemble de points […] en une ligne continue » et que, chez nous, c’est la perception même du présent qui induit une « alliance continue du passé immédiat et du futur imminent ».

C’est à partir du présent et du seul présent ( « seule réalité ou du moins […] première réalité », « temps premier ») que nous pensons et disons le passé et l’avenir, alors que la physique, pour sa part, se contente d’être purement, platement chronologique…vous saisissez la nuance ?

ll y a là un vrai divorce, un divorce irritant entre l’appréhension mathématique et l’appréhension humaine. En effet, Klein ajoute que « la théorie de la relativité peine à rendre compte de la présence du présent ».

Mais certains physiciens s’aventurent encore plus loin : poussés par leur  fameuse recherche d’une « théorie unifiée » qui mettrait enfin fin aux disparités entre la relativité et la physique quantique, ils sont de plus en plus séduits par l’idée d’un temps qui serait ce qu’ils appellent une « émergence », c'est-à-dire un phénomène inédit, complètement distinct des propriétés associées qui le sous-tendent (en vertu du non moins fameux principe « le tout n’est jamais égal à la somme de ses parties »).

Entraînés dans leur élan, ces savants se risquent même à parler d’ « illusion » (article de Craig CALLENDER) : « Aujourd’hui la fossé entre le temps de la physique et le temps de l’expérience humaine atteint sa conclusion logique : beaucoup de théoriciens sont arrivés à croire que, fondamentalement, le temps n’existe même pas ».

En effet n’oublions pas qu’Einstein a unifié le temps et l’espace dans son concept d’ « espace-temps » et que, d’après la relativité générale, « la gravitation [en courbant l’espace-temps] déforme le temps de telle sorte que l’écoulement d’une seconde ici peut ne pas signifier la même chose que l’écoulement d’une seconde ailleurs » !

Calender insiste, et il a raison de le faire : « le temps était déjà déchu » dès 1915 !

De plus, « à la fin des années 1960 », une équation obtenue par WHEELER et DE WITT se révéla « totalement dépourvue de variable temporelle ».

Alors, vu sous cet angle, le Temps ne serait plus qu’ « une invention commode », liée essentiellement au fait que « nous sommes, par nature, un des éléments de l’univers ».

En dernier ressort, la « gravitation quantique » (au niveau, cette fois, des particules élémentaires) serait « atemporelle », et « ce que nous percevons comme étant le temps pourrait ne refléter que les relations entre » différents « sous-systèmes de l’Univers ». Le cadre véritable, intrinsèque du monde serait, en fait, « parfaitement statique ».

Voilà qui paraît bien abstrait…mais qui a de quoi laisser rêveur.

Ce qui est certain, en tout cas, c’est que « la relativité condamne l’idée newtonienne [cependant tout à fait valable à notre échelle] de temps universel et absolu ». Mieux (ou pire) encore : « la relativité restreinte exprime la disparition du temps », laquelle s’avère « encore plus radicale en relativité générale ».

En relativité, c’est simple, « Il est […] impossible d’assigner une durée bien définie à un processus physique », notamment parce que « les durées dépendent de l’observateur ». Cette « absence de durée implique celle de temps absolu ».

Les « notions de simultanéité et de chronologie » elles-mêmes « volent en éclat » dans un tel cadre, où tout se rapporte à « la vitesse finie de l’information », à savoir celle de la lumière. De sorte qu’aux échelles cosmiques, la position et la vitesse de chaque observateur par rapport aux évènements influe sur le moment où il les voit survenir. A titre d’exemple, on vieillit moins vite dans l’espace que sur terre.

A une toute autre échelle, l’échelle subatomique, s’il est de fait que « la physique quantique est construite sur la notion de temps universel, dont la relativité générale nie l’existence […] Il existe néanmoins une reformulation [de cette physique] qui élimine [aussi] la notion de temps » : les « approches » telles que la « gravité quantique à boucles » ou les « écumes de spins » « impliquent non seulement l’absence de temps mais aussi de toute structure d’espace-temps préalable » (LACHEZE-REY).

Pour Carlo ROVELLI , ça ne fait aucun doute : si radical que ça puisse paraître, « La meilleure option est d’abandonner la notion de temps toute entière », car « La physique quantique et la relativité générale, prises ensemble, indiquent que  pratiquement tous les aspects de la notion […] de temps ne sont que des propriétés locales et partielles de la temporalité qui dépendent des limites de nos sens et des particularité de notre expérience ».

Pour la mécanique quantique, par exemple, « le temps […] n’est plus orienté et perd même sa structure linéaire » !

Ce qu’il est intéressant de retenir, c’est que « dans l’infiniment petit, au cœur des trous noirs ou dans un état de l’Univers proche du Big-bang, la nature ne ressemble pas à un défilé bien ordonné mené à la baguette par une variable t ».

Maintenant que « des formulations temporelles de la mécanique quantique et de la relativité générale ont pu être élaborées au cours des deux dernières décennies », la physique réalise qu’elle peut se passer du temps, de son idée, de son concept. Et allons-y gaiement : « l’idée d’un temps indépendant des évènements qui s’y déroulent est fausse ».

Abandonner le Temps peut contribuer décisivement à unifier relativité générale et mécanique quantique (et, ainsi, à atteindre le « Saint-Graal » de la physique).

Mais, pour autant, « notre temps » newtonien doit être pris en compte – ne serait-ce que parce que nous le percevons, tant de façon intuitive que mathématique.

Là, Carlo Rovelli appelle à la rescousse l’interprétation du « temps thermique ».

Expliquons-nous : la physique distingue deux catégories de « systèmes » : « les systèmes mécaniques et les systèmes thermiques ». Dans les deux systèmes, le temps a son importance. Mais, là aussi, on en arrive à se demander s’il s’agit « vraiment du même temps dans les deux situations ». En effet, les phénomènes mécaniques sont « réversibles […] l’oscillation renversée dans le temps d’un pendule sans frottement ne diffère pas de [son] oscillation initiale ». En revanche, il en va tout autrement des phénomènes d’ordre thermique, tel celui d’un gaz, qui ne saurait se recomprimer spontanément une fois qu’il s’est dilaté. « La deuxième loi de la thermodynamique […] stipule que l’entropie (=le désordre) d’un système isolé ne décroit jamais au cours du temps ». Toujours d’après C. Rovelli, « Le « temps » qui apparaît dans les équations de la thermodynamique semble essentiel pour décrire le monde tel que nous l’observons ».

Reste que la thermodynamique est une « description moyenne, probabiliste, approximative », essentiellement due à « l’ignorance », à l’impossibilité de « connaître en détail » « l’agitation chaotique des atomes et des molécules » des « systèmes formés d’un nombre immense de composants ».

Ecoutez bien ce qui va suivre : « si le seul véritable temps physique réside dans les phénomènes thermodynamiques, et si ces derniers ne sont qu’un effet des moyennes et de notre ignorance de ce qui se passe à l’échelle microscopique, il s’ensuit que l’impression du temps elle-même n’est due qu’à notre ignorance de la dynamique détaillée au niveau microscopique ». Cette conception «  a pu être […] étendue au cadre de la physique quantique ».

En conclusion, le Temps ne serait, « en somme, rien d’autre qu’un effet de notre ignorance de l’état microscopique des systèmes macroscopiques ».

L’irréversibilité s’explique donc par le caractère macroscopique, lequel implique un nombre immense de « composants en jeu ».

Mais qu’en est-il à d’autres échelles ?

A l’échelle des atomes et autres particules élémentaires, Roger BALIAN nous le certifie : « on ne peut distinguer la direction du passé de celle du futur ».

Curieusement, « à l’autre extrême […] les lois de la mécanique céleste sont [également] réversibles : si l’on imaginait que les vitesses de toutes les planètes et de tous les satellites soient instantanément et exactement inversées, on retrouverait dans 50 ans ces objets exactement dans les mêmes positions qu’il y a 50 ans ». Pourtant, il n’en demeure pas moins qu’à une échelle plus grande encore (« des milliards d’années-lumière »), on le sait, « l’Univers est en expansion, et non en contraction », ce qui implique une « flèche du temps », quoique, ceci dit, « rien n’empêche, dans les théories actuelles, d’imaginer un Univers qui serait en contraction ».

La flèche du temps serait donc tout bonnement une « question d’échelle ».

Dans notre cadre quotidien, elle se trouve mise en évidence par le deuxième principe de la thermodynamique selon lequel « lorsqu’un système isolé évolue spontanément, l’entropie de son état final ne peut être inférieure à celle de son état initial ».

On sait à l’heure actuelle que tout « changement d’échelle  fait apparaître des propriétés nouvelles, émergentes, dues à l’organisation et au comportement collectif des composants, propriétés a priori imprévisibles en raison du nombre gigantesque de composants ». L’irréversibilité (le Temps) serait, ainsi, une de ces émergences. Mais elle présente, selon Roger Balian encore, un « paradoxe ». En fait, il ne s’agirait que d’une fausse irréversibilité. « Poincaré a démontré qu’un système régi par une dynamique réversible revient au voisinage de sa configuration initiale au bout d’un certain délai ».

A titre d’exemple, un gaz, « initialement dans l’état A, devrait retourner au bout de ce temps dans un état voisin de A. Mais, étant donnée « l’immensité du nombre des configurations » en jeu, ce temps ne pourrait en réalité qu’être « incomparablement supérieur à l’âge de l’Univers », ce qui rend la probabilité évoquée plus haut complètement nulle. Aucun gaz ne se recontractera jamais de façon spontanée « après s’être dilaté », même si c’est, au plan théorique, mathématique, tout à fait possible !

La flèche du temps semble avoir aussi un lien avec un autre facteur, beaucoup plus mystérieux celui-là : l’asymétrie entre matière et antimatière dans l’Univers.

Dans notre Univers actuel, l’antimatière, double négatif de notre matière (mises en contact l’une avec l’autre, elles s’annihilent, en produisant des photons, c'est-à-dire de la lumière) est rarissime, alors qu’au moment du Big-bang, le jaillissement d’énergie avait enfanté presque autant de matière que d’antimatière...cependant ce « presque » (« peu après le Big-Bang […] pour 10 000 000 000 particules d’antimatière, on devait trouver 10 000 000 001 particules de matière ») semble revêtir ici une considérable importance, dont cette phrase de la physicienne Marie-Hélène SCHUNE, fort parlante, se fait le reflet : « Les 10 000 000 000 paires particule-antiparticule se seraient annihilées et le petit, tout petit excès de matière, est finalement resté…et ce tout petit excès, c’est nous ! ».

Les physiciens s’expliquent très mal cette « rupture de symétrie » qui a conduit notre matière à éliminer sa jumelle. Ce qu’ils soupçonnent toutefois (pour des raisons mathématiques compliquées sur lesquelles j’éviterai de m’étendre), c’est son éventuelle relation avec « la question de la flèche du temps ».

Mais certains mystères restent tenaces !

De tout ce qui précède, en tout cas, me paraissent émerger certaines « lignes de force » conceptuelles particulièrement intéressantes, tels le caractère émergent du temps, son lien avec la grande « poussée » cosmique que semble être notre Univers , avec le changement d’échelle qui a succédé au Big-Bang, le temps dans sa relation intime avec la complexité, le temps en tant que « convention », simple « point de repère » que l’Homme a éprouvé le besoin de se donner pour parvenir à mesurer « la variation des choses », autrement dit le temps en ce qu’il est une traduction de l’entropie de notre système thermodynamique.

Alors, peut-être pourrait-on être en droit de se demander à nouveau si la bonne question ne serait pas, en définitive, de savoir pourquoi ce Temps intrigue tellement les physiciens. A cause du rôle – ou plutôt du non- rôle – qu’il serait susceptible de jouer dans les progrès vers la fameuse théorie physique unificatrice suprême ? A cause de son caractère mathématiquement assez insaisissable ? En raison de son étroite relation avec la conscience et l’observation humaines ? Du fait que, pour notre conscience d’êtres vivants très particuliers, le Temps est source d’angoisse, comme tout ce que nous ne pouvons contrôler ? Parce que la fuite du Temps représente à nos yeux la détérioration, l’usure, la marque même de notre finitude (y compris celle de notre conscience) et qu’en tant que tel il constitue pour nous un problème cognitif, philosophique majeur ?

Il y a sans doute un peu de tout cela.

Certaines phrases cueillies aux détours des articles de ce magazine paraissent troublantes : « Et si le temps variait, pourrions-nous le savoir ? Qu’adviendrait-il si tout à coup une seconde durait le double ? Que remarquerions-nous ? Rien semble-t-il, selon les physiciens ! […] Et si le temps s’arrêtait et si l’Univers se figeait, le remarquerions-nous ? Non, car la mécanique quantique indique que notre seule observation ferait repartir le temps ! » (Philippe BOULANGER).

Avouez que nos scientifiques se triturent singulièrement les méninges !

C’est qu’il y a encore bien des raisons d’être intrigués : « Le temps est source de paradoxes ».

Exemples : « Changez le passé : le présent et le futur seront détruits », ce qui condamne d’avance toute forme de machine à voyager dans le temps.

Et pourtant ! Comme le dit Boulanger, ne nous réjouissons pas trop vite : « ce raisonnement est renversé dans la théorie des trous de ver qui relient un trou noir (lequel absorbe toute matière) à un trou blanc (lequel expulse toute matière) ».

Les trous de ver existent-ils ?

On l’ignore encore, mais pendant longtemps, l’on n’a pas pu non plus prouver l’existence réelle des trous noirs. Les équations de la physique sont rarement prises en défaut.

D’autre part, on sait que vitesse et gravité ralentissent le temps, et peuvent donc permettre de « voyager dans son futur ». De ce fait, la « distorsion du temps » existe, elle est même un fait avéré : elle concerne, notamment, « certains rayons cosmiques [qui] subissent des distorsions temporelles spectaculaires » ou encore la surface des étoiles à neutrons, où « la gravité est si forte que le temps est ralenti d’environ 30% par rapport au temps terrestre » et bien entendu les trous noirs qui, lorsqu’on approche de leur surface (ce que je ne saurais vous conseiller), figent le temps, toujours par rapport à notre temps terrestre.

L ’intérieur d’un trou noir est, quant à lui, pour nous, de l’ordre de l’irreprésentable : « au-delà de la fin des temps » !

Le simple fait, pour l’un d’entre nous, de « passer très vite » près d’un de ces monstres équivaudrait à effectuer « un grand saut dans le futur ».

Et pour ce qui est du « retour dans le passé » ?

Il paraît « plus problématique » (cf., plus haut, les « paradoxes »).

Néanmoins, Gödel postule, calculs à l’appui, qu’il n’est pour autant pas « interdit par la théorie de la relativité ». Là, nous en revenons aux « trous de ver » que nous évoquions précédemment.

Le trou de ver est un « concept » échafaudé « au milieu des années 1980 ». Kip THORNE a voulu savoir s’il était « compatible avec les lois de la physique ». Il voit le « trou de ver » comme un « trou noir » raté, un « système massif » qui serait empêché de céder à sa « tendance naturelle » à l’implosion par la présence, en lui, de « matière exotique », dite encore « matière antigravitationnelle » ou « énergie négative ». Une telle « énergie négative » serait présente « dans certains systèmes quantiques ».

Paul DAVIES conjecture que ces fameux trous de ver encore largement hypothétiques seraient bel et bien présents dans l’espace « en tant que reliques du Big-Bang ». « En outre, ajoute-t-il, décidément optimiste, les trous de ver pourraient naturellement apparaître à des échelles minuscules, de l’ordre de la longueur de Planck ».

Sommes-nous pour autant plus avancés ?

Certes pas, car trous de ver ou pas trous de ver, les « paradoxes causaux » (ou encore « paradoxes temporels ») attachés au voyage dans le passé demeurent, et pèsent très lourdement.

La possibilité du voyage dans le temps qu’autorisent leurs théories gêne beaucoup les scientifiques (qui n’aiment guère l’absurdité). Aussi en sont-ils, dans leur « bulle de réflexion », à se demander comment « protéger la chronologie ». N’est-ce pas pour le moins insolite ?

Dans un registre nettement moins abstrait, le magazine se penche également sur le lointain devenir de notre cosmos. Alain RIAZUELO le soutient : « Des étoiles aux amas de galaxies, rien, dans l’Univers, n’est éternel. Sur des échelles de temps démesurément longues, tous les objets que nous connaissons finiront par disparaître dans le néant ». A cela, une raison très simple : celle de l’expansion cosmique.

« Les observations actuelles indiquent que l’Univers est majoritairement empli d’une forme mystérieuse de matière, l’énergie sombre, qui provoque une accélération de l’expansion cosmique. Ainsi, tout porte à croire que l’expansion se poursuivra indéfiniment, si tant est que les propriétés de l’énergie sombre ne changent pas dans le futur ».

Dans des milliards de milliards de milliards de milliards d’années-lumière, les premiers corps célestes à disparaître seront les étoiles, dont les systèmes planétaires se désagrègeront. « Existera-t-il d’autres générations d’étoiles après la fin de celles qui brillent aujourd’hui ? ». « Probablement pas, se répond à lui –même Alain Riazuelo, car le taux de formation d’étoiles d’une galaxie diminue de façon drastique avec le temps ».

Ici, on le constate donc, le Temps est bel et bien présent. Il s’agit de notre Univers, qui est un système thermodynamique forcément  régi par l’entropie (l’évolution, l’usure). L’Univers que nous habitons n’est, au fond, qu’un énorme souffle d’énergie qui comprend (et porte en lui) l’espace, le «Temps et la matière !

Dans une seconde phase, les cosmologistes prédisent que les galaxies se disperseront. Riazuelo évoque une sorte de processus d’ « évaporation », entraîné par l’annihilation de la matière noire (laquelle, précise-t-il, « contribue à retenir les étoiles et autres objets au sein des galaxies »)

Nous avions la faiblesse d’imaginer l’atome « éternel » ? Eh bien, détrompons-nous !

En effet, si, « D’après le modèle standard de la physique des particules, l’électron et le proton sont parfaitement stables […] il semble [ pourtant] établi aujourd’hui que le modèle standard n’est qu’une théorie valable à basse énergie, et qu’elle découle d’une théorie plus générale, encore à construire. Ces théories de grande unification prédisent que le proton n’est pas stable et, par conséquent, qu’aucun atome ne l’est ». La mort est donc partout ! « La durée de vie du proton pourrait […] atteindre 10 puissance 49 ans »

Après la désintégration de tous les protons, ne demeureront plus que les électrons, positrons, neutrinos et trous noirs (stellaires et super massifs issus des centres galactiques). A leur tour, ces derniers s’évaporeront, le taux d’évaporation étant « d’autant plus  élevé que la masse du trou noir est petite ». « L’ultime structure résiduelle du cosmos » consistera en des particules appelées positroniums, combinaisons deux à deux d’électrons et de positrons qui elles-mêmes, à terme, s’annihileront en photons.

Tout finirait dans la lumière ?

Peut-être, mais ça, c’est l’hypothèse partant du principe que le proton est instable. Comme on n’est encore vraiment sûr de rien en ce mystérieux domaine, il en existe une autre : « que se passera-t-il si la matière ordinaire (= le proton) se révèle parfaitement stable ? ».

Eh bien, « au fil du temps (encore lui !), la matière ordinaire se refroidira quasiment jusqu’au zéro absolu et, à terme, « Astéroïdes, comètes, rochers, poussières, tout finira par ressembler à une sphère ». Suite à des écoulements de temps colossaux et sous l’effet de « réactions presque infiniment lentes de fusion ou de fission » (atomique), tout se transformera…en fer ! « L’Univers sera alors un lieu immensément froid et vide où erreront des boules de fer de toutes tailles ». Et puis, triste « vestige ultime » : « de la poussière de fer […] Virtuellement indestructible ».

Et le Temps, dans tout ça, me direz-vous ? Une fois de plus, il se joue de nous, et nous nageons dans le paradoxe, car, malgré tout ce que la théorie de la relativité a pu nous apprendre, il existe bien un « temps cosmique » : « le temps (presque) absolu de la cosmologie ». C’est l’existence de ce temps qui nous permet « de dire que l’Univers est âgé de 13,7 milliards d’années ». Le temps cosmique résulte du fait que « L’Univers est, à grande échelle, homogène et isotrope » et que, par voie de conséquence, tous les points en étant « équivalents », « le temps s’y écoule partout de la même façon ». Et Riazuelo de conclure son fort intéressant article par la réflexion qui suit : « le temps cosmique est une extension de notre temps propre à l’échelle de l’Univers , autorisée par l’homogénéité de celui-ci » .

Voilà, nous en avons fini avec le temps de la physique.

Un temps aux multiples facettes, qui semble faire osciller les savants entre deux tentations, celle de le relativiser, voire de douter de son existence , et celle de lui restituer toute sa puissance, sa présence bien concrète, bien agissante.

On est tenté, à ce compte-là, de se poser une question : le temps ne serait-il pas indéfectiblement lié à la matière, à la tendance innée, incontournable de cette dernière à l’évolution, à la complexification ? Y aurait-il du temps sans matière ?

Le temps est-il un mouvement, témoin du caractère dynamique, en aucun cas statique de notre Univers ?

Ce que nous nommons « temps » ne devrait-il pas plutôt être dénommé « changement » ou, encore mieux, « instabilité » ?

Une chose est sûre, quoiqu’il en soit : à l’échelle de notre univers, la nature n’aime pas ce qui est stable.

Et la Vie, dans tout ça ?

Encore un phénomène bien mystérieux, qui n’aurait jamais existé sans les étoiles.

Comme nous pouvions nous en douter, « le temps laisse aussi son empreinte dans les molécules du vivant ». Ce phénomène, les biologistes le désignent sous le nom d’ « horloge moléculaire ».

Depuis quelques années, il vient au secours des paléontologistes en butte au caractère « forcément incomplet » de leurs « archives ». En effet, « L’âge le plus reculé d’un groupe d’organismes [vivants] n’est […] jamais certain. En outre, certains fossiles sont difficilement identifiables, et on ne peut les rattacher avec certitude aux lignées des organismes vivants actuels […] beaucoup d’organismes ne se sont tout simplement pas fossilisés […] parce qu’ils n’étaient constitués que de tissus mous ».

Conséquence : « Aujourd’hui, pour décrire l’histoire de la vie, les spécialistes de l’évolution font [également] appel […] à l’ADN (du noyau cellulaire et des organites), aux ARN et aux protéines ».

L’horloge moléculaire fut découverte « dans les années 1960 », suite à l’étrange constatation, par les biologistes, que « des changements surviennent dans l’ADN et les protéines au cours du temps » et qu’ils se produisent selon un « rythme relativement constant » qui a vite permis de pointer du doigt et donc de  dater les moments où ont eu lieu les divergences », les séparations entre «  groupes phylogénétiques ».

Toutefois il fallut vite mettre un bémol à l’enthousiasme qui était né : « En pratique, l’utilisation de l’horloge moléculaire se révèle compliquée », confient E.DOUZERY et F.DELSUC ; on s’est rapidement rendu compte que le postulat de départ d’une « horloge globale » s’avérait trop rigide. A l’épreuve des expériences et de la réalité, on s’est aperçu que, par exemple, « pendant un même laps de temps, les génomes du rat et de la souris ont plus changé que ceux de l’homme et du chimpanzé » et que « l’ADN mitochondrial et nucléaire des tuniciers […] change plus rapidement que celui de leurs plus proches parents, les vertébrés » . « Ces disparités de rythme […] ont des causes multiples », parmi lesquelles, notamment, « la plus ou moins grande efficacité de la réparation de l’ADN » (les espèces qui « réparent mal leurs mutations » évoluant plus vite) et « la fréquence de la reproduction » (les espèces se reproduisant le plus souvent étant « sujettes à plus de mutations »). Au surplus – et pour compliquer encore les choses – « au sein d’une même espèce, différents gènes ou protéines peuvent évoluer à des vitesses différentes : […] plus une molécule est importante pour le fonctionnement de l’organisme, moins elle évolue vite ».

Cet ensemble de facteurs des plus complexes amène les biologistes à conclure qu’ « Il n’existe donc pas une, mais des horloges moléculaires, selon la molécule étudiée… »

Nonobstant cela, selon eux, « C’est un avantage : lorsque le taux d’évolution de la protéine est important, l’horloge représente un sablier utilisable pour étudier les courtes périodes ; lorsque le taux est faible », en revanche, elle peut s’appliquer aux « longues durées ».

La démarche actuelle des savants consiste à « assouplir l’horloge », en partant du principe que « les vitesses d’évolution ne varient pas trop brusquement le long des branches d’un arbre phylogénétique », étant donné que « le taux d’évolution d’une branche […] est proche de celui de la branche dont elle descend ». Ainsi, « l’horloge moléculaire est assouplie pour admettre des variations de taux d’évolution, mais à partir de critères mathématiques » qui pénalisent les variations trop importantes.

Cette méthode a, par exemple, permis de « remettre les bilatériens à l’heure ». « D’après la découverte, en 2004 [et en Chine du Sud], de fossiles , les animaux actuels à symétrie bilatérale [c'est-à-dire à « orientation avant-arrière, gauche-droite, et dorso-ventrale »] sont apparus il y a 600 millions d’années et se sont diversifiés […] il y a environ 540 millions d’années », époque dite de l’ « explosion cambrienne ». Or, d’après les calculs moléculaires effectués selon le principe de l’horloge assouplie, il s’avère en réalité que les fameux bilatériens « se seraient […] diversifiés au moins 100 millions d’années avant l’explosion cambrienne ». Dans un même ordre d’idée, « le registre fossile suggère que beaucoup de mammifères placentaires actuels sont apparus après la transition Crétacé-Tertiaire, il y 65 millions d’années. Or les études de datation moléculaire ont suggéré que l’origine des quatre rameaux majeurs de placentaires » […] était à situer au Crétacé, il y a 100 millions d’années ». C’est le moins qu’on puisse dire, « la paléontologie et la biologie moléculaire doivent poursuivre leur dialogue » !

Actuellement, les spécialistes de l’horloge moléculaire travaillent à « améliorer encore les modèles d’horloge assouplie ». Cela est rendu nécessaire par le fait que leurs actuels modèles « ne décrivent que des changements graduels et se produisant sur de longues durées », cependant qu’ils sont toujours incapables de « décrire des changements soudains ou épisodiques de taux d’évolution ». « Les âges fournis par les horloges moléculaires [étant] parfois empreints d’incertitude », il est bon de préciser qu’ils ne  peuvent que s’en tenir à des « fourchettes temporelles » et que, de toute façon, ils demeurent « tributaires de calibrations paléontologiques fiables ».

Nouvel article, après celui-ci : le temps, inscrit dans notre corps. Son rapport intime à notre chair.

Car c’est une réalité : nous sommes aussi des horloges, « synchronisées par la lumière » !

En mammifères diurnes que nous sommes, nous obéissons à un rythme appelé « rythme circadien », qui régit nos « cycles d’éveil et de sommeil » et qui est « calé » sur 24 heures ».

« Tous les organismes, de l’algue multicellulaire aux primates, sont soumis à des rythmes circadiens, dont la précision et la stabilité sont liées à l’existence d’une horloge interne. De nombreuses activités sont concernées : la prise alimentaire, la température corporelle, les sécrétions hormonales et surtout l’alternance de la veille et du sommeil »(BOURGIN, CHALLET, FELDER-SCHMITTBUHL et SIMMONEAUX).

Chez les mammifères, l’horloge circadienne principale est « localisée dans le cerveau », très exactement dans « les noyaux suprachiasmatiques » de l’hypothalamus, dont la destruction « perturbe, chez l’animal, les rythmes tant comportementaux (veille-sommeil) qu’hormonaux (la reproduction) ». Les neurones constituant ces zones sont de véritables « pacemakers circadiens , et chacun d’eux est une cellule-horloge autonome » ! Il existe de même, plus extraordinaire encore, des « gênes d’horloge », qui codent des « protéines-horloges » dont la totalité se trouve contenue dans chaque neurone-horloge. « Les protéines d’horloge présentent leur pic de concentration à des moments précis de la journée ».

Mais l’horloge centrale n’est pas seule. Elle est reliée à « de nombreuses horloges dites secondaires » avec lesquelles elle fonctionne aussi en synchronisation. Ces horloges secondaires se situent un peu partout dans le corps, mais particulièrement au niveau du cœur, du foie, du pancréas, des muscles et des tissus adipeux. « toutes les fonctions de tous les organes sont coordonnées pour être synchronisées avec l’alternance cyclique du jour et de la nuit ». Il y donc, dans tous les organes, des oscillations circadiennes.

Cependant, c’est l’horloge principale suprachiasmatique qui « se comporte comme un chef d’orchestre, donnant la mesure » de l’ensemble, ce qui n’empêche pas, parallèlement, de « nombreux mécanismes de rétroaction » d’intervenir entre elle et les horloges secondaires.

L’article nous fournit des exemples des effets de ces processus : ainsi, « La fréquence cardiaque augmente durant la journée et ralentit la nuit, ce qui permet à l’organisme de passer de l’activité au repos ».

Autre illustration : « Chez l’homme, on constate que la glycémie (=taux de sucre) est maximale en fin de nuit : cette anticipation des besoins garantit à l’organisme la quantité de sucre nécessaire quand il passe du repos à l’activité »

La « synchronisation de toutes les horloges » est une procédure assez complexe : en fait, il existe deux « modes de synchronisation » : dans le premier, le mode neuronal, les neurones suprachiasmatiques « se projettent surtout dans les noyaux paraventriculaires de l’hypothalamus [dont les neurones] sont eux-mêmes connectés à des neurones du tronc cérébral puis de la moelle épinière, lesquels se projettent vers les différents organes cibles de l’horloge circadienne » ; « Des connexions – des synapses – relient tous les neurones de ce circuit. Quand les neurones […] suprachiasmatiques reçoivent un signal lumineux (indiquant que le jour est levé), ils transmettent l’information circadienne au moyen de neuropeptides […] ou de neurotransmetteurs […]. Ce réseau neuronal recale les horloges secondaires sur l’horloge principale ».

A côté de cela, « un autre mode de synchronisation met en jeu les hormones » : quand la lumière est perçue par les cellules ganglionnaires de l’arrière-rétine, ces dernières « expriment un photopigment » appelé mélanopsine, qui est transmis aux noyaux suprachiasmatiques, dont les gênes-horloges se trouvent alors activés. C’est la mélanopsine qui « cale le rythme veille-sommeil sur 24 heures » en fonction de l’alternance lumière-obscurité à l’extérieur.

D’autre part, « la mélatonine est un important signal hormonal émis par l’horloge centrale », synthétisée par la glande pinéale et libérée « quand survient l’obscurité ; sous le contrôle des noyaux suprachiasmatiques ».

En fait, elle constitue un « somnifère naturel ». « Sa synthèse est bloquée par la lumière et sa concentration », minimale en journée, se voit aussi réduite « dès qu’on éclaire brièvement une pièce dans laquelle une personne dort » (c’est dire si elle est sensible à la lumière !). Cependant la lumière n’est pas le seul facteur à agir sur le fonctionnement de l’horloge biologique, puisque « l’heure des repas est un puissant synchroniseur des horloges périphériques dans le foie, le cœur, le pancréas ou le tissu adipeux ».

Dans l’ensemble, on sait maintenant que « l’horloge centrale est surtout synchronisée par la lumière, mais peu par l’alimentation », laquelle, avec « l’exercice physique » et les « interactions sociales », intéresse pour sa part les horloges secondaires.

Tout ceci se passe en le temps d’un jour. Pourtant, un autre cycle a également son importance : le cycle saisonnier. Des phénomènes concernant les populations animales lui sont liés : migrations, hibernation, modification de l’activité métabolique, qui tous impliquent une capacité de traduction des « variations environnementales en informations nerveuses et moléculaires ».

Une « photopériode (= « durée d’éclairement quotidienne ») courte signale l’hiver », cependant qu’une longue marque, au contraire, l’été.

La mélatonine étant « synthétisée et sécrétée uniquement durant la nuit » et, donc, « d’autant plus longtemps que la nuit est longue », il n’est pas étonnant que « la quantité globale [de cette hormone] dans l’organisme varie selon les saisons ». Or, un gène « dont l’expression est régulée par la mélatonine code une famille de peptides, les Kisspeptines », lesquels ont un « rôle primordial […] dans la régulation neuroendocrine de la reproduction ». Ainsi, « l’activité reproductrice est inhibée quand la photopériode est courte », du fait de la réduction de « la synthèse des kisspeptines », elle-même freinée par « l’augmentation de la production de mélatonine ».

Etonnant, non ?

La lumière a donc le pouvoir d’agir directement sur nous par le biais de ses variations qui communiquent avec notre organisme !

Par bien des côtés, nous ne sommes que des marionnettes de la lumière, qui, on en a maintenant la preuve, est la force qui nous tire du sommeil tout aussi bien que celle qui stimule notre activité reproductrice. Et voilà pourquoi les plages ensoleillées favorisent l’amour, tandis que le sombre hiver a, lui, la faculté de nous rendre léthargiques !

Mais ce n’est pas tout : le cerveau humain possède d’autres fonctions temporelles. En effet, il lui faut aussi savoir évaluer, percevoir « avec précision » les « durées brèves (inférieures à la minute) ». Sans cela, pas de réaction adaptée à l’environnement qui soit possible !

Des spécialistes en sont à s’interroger sur « notre sens du temps ».

Si le problème paraît ardu, des pistes, toutefois, se dessinent : « certaine aires cérébrales de la perception du temps ont d’ores et déjà été identifiées » (POUTHAS, CASINI, VIDAL).

Par ailleurs, « il existe également des aires non spécifiques mais tout aussi indispensables à cette perception : les aires impliquées dans la mémoire et l’attention » (aussi curieux que ça puisse paraître).

En fait, « l’évaluation du temps exige un sablier cérébral mais aussi des mécanismes attentionnels ».

« sablier cérébral », qu’est-ce à dire ?

Voici, en gros, l’explication : les neurones de « l’horloge cérébrale » émettraient des « impulsions électriques », métaphoriquement assimilées par les savants aux « grains de sable » d’un sablier. « Egrenées de façon continue », ces impulsions se trouveraient stockées par un « interrupteur » au moment où il faut évaluer une durée, « la quantité d’impulsions accumulées » déterminant « la durée écoulée ». « Mais  pour que l’évaluation soit correcte, il faut nécessairement que l’on fasse attention au temps qui s’écoule ».

On a réussi à montrer que « certaines régions cérébrales se comportent une base de temps et d’autres comme un accumulateur ».

Mieux même : on sait localiser les aires cérébrales qui permettent cette évaluation temporelle. Ce sont, essentiellement, les « noyaux gris centraux » (au centre de l’encéphale, vers le bas), les « aires motrices supplémentaires » (tout en haut et au milieu de la masse cervicale) et le « cortex préfrontal », en ce qui concerne les « mécanismes attentionnels et mnésiques » (juste derrière le front).

« les noyaux gris centraux et les aires motrices supplémentaires sont sollicités lorsque des mécanismes spécifiquement temporels sont mis en jeu – seraient-ils responsables du mécanisme d’accumulation, de remplissage du sablier cérébral ? ». Eh bien, nous avons la réponse : « les connections anatomiques étroites qui existent entre les noyaux gris et les aires motrices supplémentaires laissent supposer – de façon très schématique – que les premiers produisent les impulsions de l’horloge pendant que les seconds accumulent ces impulsions pour permettre d’estimer la durée écoulée » ; « Ces résultats ont été confirmés par les études faites sur les personnes atteintes de la maladie de Parkinson […] ».

L’article de Manon NOULHIANE, « Souvenirs et émotions – façonnés par le temps » est particulièrement intéressant, en ce sens qu’il nous fait réaliser que, sans perception du temps sous forme de passé / présent / futur, notre conscience ne pourrait pas être.

La conscience serait donc, d’abord, l’enfant de la mémoire : « mémoire immédiate » (celle de « l’immédiatement passé de quelques secondes qui se projette dans le présent ») qui « offrirait une unité et une continuité à l’expérience consciente » ; « mémoire secondaire » correspondant à la « connaissance d’un évènement auquel on ne pense plus , mais qui revient, enrichi d’une conscience supplémentaire » et donc, « objet d’une pensée ou d’une expérience antérieure ».

Sans « sentiment général du passé » en tant que son propre passé et sans localisation d’un évènement dans ledit passé, pas de « souvenir propre ». Mais cela ne s’arrête pas là : « cette mémoire permettrait en outre à l’homme de rompre avec l’écoulement irréversible du temps et de voyager dans le temps subjectif » !

Mais venons-en aux émotions, qui constitue le cœur de l’article : elles « créeraient une distorsion du temps perçu ». On sait qu’elles ont le pouvoir de modifier « le rythme de l’horloge interne […] réglée sur un rythme circadien » de 24-25 heures. En outre, on a constaté expérimentalement que « certaines situations ennuyeuses – ou stressantes – semblent plus longues que leur durée objective » et que, « quand nous repensons à de telles situations, le temps vécu s’étend ou se contracte selon les empreintes [émotionnelles] que les évènements ont laissées en mémoire ».

Il n’en reste pas moins que « cette coloration émotionnelle de l’évènement évolue au cours du temps et peut changer quand nous reconstruisons ultérieurement le souvenir de cet évènement ».

Certains tests « en laboratoire », consistant en la présentation, « pendant quelques millisecondes », de « photographies d’expressions faciales » représentant des émotions (joie, peur, colère, tristesse, dégoût, surprise) à des « participants » à qui l’on demande ensuite « de qualifier de « courte » ou de « longue » la durée pendant laquelle on leur a présenté ces visages », ont démontré qu’ « En général, les sujets surestiment les durées de présentation des visages exprimant la colère ou la peur ». Cela est lié au fait que ces expressions sont « interprétées comme des signes d’une menace imminente » et, donc, « accélèrent le rythme de l’horloge interne », ce qui a pour effet de ralentir subjectivement le temps afin de permettre à l’organisme de « réagir vite ».

« Les expression […] de joie et de tristesse provoquent aussi des surestimations temporelles, mais de moindre importance ».

Quoi qu’il en soit, « La présentation d’une image émotionnelle, même rapide, provoque une réaction émotionnelle » et « les images [à connotation positive] ayant une forte intensité provoquent une surestimation de la durée, alors que c’est l’inverse pour une intensité faible ».

D’autre part, il a été mis en évidence que « La durée des stimulus émotionnels était surestimée par rapport à celle des stimulus neutres ; cette surestimation était plus grande pour les stimulus négatifs que pour les positifs ». A titre d’exemple, la durée des « pleurs d’un bébé » parait « plus longue » que celle d’un « air de musique classique ».

Il faut savoir que « Ces effets émotionnels n’existent que pour des durées de présentation [de stimulus] inférieure à deux secondes. L’influence des émotions sur le temps subjectif serait éphémère » et « Au-delà de cette durée, l’émotion et l’intervalle temporel qui lui est associé seraient reconstruits en mémoire à long terme, et ils pourraient être modifiés au cours du temps ».

« Les relations entre le temps, la mémoire et les émotions prennent une toute autre dimension quand il s’agit de durées longues » (jours, semaines, mois, années). « Conserver la mémoire des évènement personnels passés serait essentiel au sentiment d’identité » et, de plus, « La mémoire requiert plus que la simple datation d’un fait passé », elle implique aussi que ce dernier soit doté d’ « une chaleur et [d’] une intimité ».

En 1932, un psychologue s’est aperçu que « l’intensité émotionnelle [des évènements] s’atténuait avec le temps, cette diminution étant plus importante pour les souvenirs d’évènements désagréables que pour ceux d’évènements agréables ».

Non seulement, comme disait le bon Léo Férré, « avec le temps, va, tout s’en va », mais l’on préfère, c’est là aussi très net, « oublier les mauvais souvenirs » !

En revanche, si l’ « on se souvient davantage des souvenirs […] agréables que des […] désagréables au bout de trois mois […] ce n’est plus le cas après 4,5 années ».

Il semblerait d’autre part que le fait de « répéter », en pensée ou « en parlant », « nos expériences vécues » […] augmenterait les évaluations positives, « les expériences désagréables » devenant « progressivement neutres et moins intenses », et les expériences agréables prenant, à l’inverse, une importance accrue .

« les évènements émotionnels seraient plus présents à l’esprit, feraient davantage l’objet de répétitions mentales et seraient plus souvent racontés à l’entourage », et la conséquence de ce phénomène serait double : d’une part, les souvenirs se trouveraient « consolidés », d’un autre côté, les répétitions  auraient pour effet de modifier le « jugement émotionnel » attaché au souvenir (« diminution de l’intensité des souvenirs désagréables » / « stabilisation de celle des souvenirs agréables »).

Ce qui ressort en conclusion, c’est que « Les connaissances actuelles en neuroscience et en psychologie s’accordent sur l’idée que les émotions structurent la perception du temps, organisent la mémoire et, donc, la façon dont on comprend la réalité mais que, « paradoxalement, elles introduisent aussi des distorsions » de cette dernière, certainement essentielles à l’individualisation.

Les derniers articles du dossier nous apprennent que la manière de percevoir le temps varie aussi en fonction des données culturelles humaines : ainsi, « L’essence profonde de l’identité occidentale implique » une conception linéaire du temps, laquelle revêt, pour elle, une importance majeure, cependant que, dans le cas des cultures Amérindiennes, c’est l’espace qui prime, tandis que le temps présente une structure cyclique qui implique un « rythme du monde […] circulaire, sans commencement ni fin ».

L’humanité aurait donc, actuellement, deux modes de rapport au Temps.

Une tentation surgit alors, à ce compte, celle de poser la question de savoir si le temps mathématique, le temps de la science physique (sous la forme de « la flèche du temps ») aurait oui ou non pu être conçu sans l’existence préalable de la notion de temps occidentale.

Allons plus loin encore (tant qu’on y est) : les mathématiques ne seraient-elles pas, elles aussi, une affaire de perception ?

Ce qui est sûr, ce qui saute aux yeux, quelque soit le cas de figure, c’est qu’un doute profond sur le Temps – ou, en tout cas, sur sa perception – traverse toute la série d’articles sur laquelle nous venons de nous pencher.

S’intéresser au temps sans s’intéresser à notre perception de ce dernier, est-ce de l’ordre du possible ?

On commence à en douter une fois toutes ces lectures faites et ça nous ébranle.

Le temps ne serait-il pas notre façon (en tant que matière) de vivre l’éternité ?

Est-il intimement lié à la présence de la matière, au dynamisme de notre Univers en expansion ? Aux deux  facteurs ?

Faut-il, plutôt que Temps, l’appeler « évolution » ou « entropie » ?

Sa nature est-elle uniquement d’ordre « thermodynamique » ?

A-t-elle à voir avec les « changements d’échelle » qu’on constate dans l’Univers (passage de l’infiniment petit à notre échelle moyenne, puis passage de notre échelle moyenne à l’échelle macroscopique ) ?

Le Temps, en tout cas, donne bien du fil à retordre à la pensée humaine !

Ce qui apparait comme certain, tout de même, c’est que nous sommes immergés dedans. Qu’il est inscrit au plus profond de nos chairs d’organismes biologiques.

Ce qui frappe, à la lecture de cette revue, c’est son côté protéiforme.

Ce qui gêne, c’est qu’il ne semble jamais être le même, selon l’angle d’approche (relativiste, quantique, cosmologique, biologique…). Comment interpréter cela ?

Et pourquoi sa nature se dérobe-t-elle ainsi à notre volonté de logique ?

Pourquoi reste-t-elle trouble, en dépit  de tous nos efforts pour y voir plus clair ?

Sont-ce encore les multiples lacunes de notre savoir qui sont en cause ?

P.Laranco